C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès du saxophoniste ténor, saxophoniste baryton et chanteur, Turk Mauro, le 15 août 2019, à Fort Lauderdale, Floride, des suites d’une longue maladie.
Avec sa disparition, c’est encore un peu de la mémoire du jazz à Paris et des liens tissés entre musiciens américains et français qui s’en va. A la fin des années 1980, il fut en effet l’un des piliers du Club de jazz Le Petit Opportun en compagnie de ses fidèles amis Michel Gaudry (b), Alain Jean-Marie, Jeannot Rabeson (p), François Laudet ainsi que son frère Ron Turso (dm).
On se souvient de son jeu très fluide au ténor, doublé d'une grande liberté rythmique avec une sonorité ample et parfois rugueuse qui évoque Gene Ammons, lequel, comme lui, jouait également du baryton et chantait le blues à merveille.
Turk Mauro nous avait fait le plaisir de deux intéressantes interviews dans Jazz Hot, détaillant son itinéraire et ses partis pris esthétiques et philosophiques à propos du jazz (Jazz Hot n°464, juin 1989 et Jazz Hot n°619, avril 2005). Elles sont indispensables et complètent, avec nostalgie, cette nécrologie en rappelant la voix et la personnalité d'un musicien profond, authentiquement amoureux du jazz et du blues…
Mauro A. Turso, de son véritable nom, est né à New York, le 11 juin 1944.
Cet enfant du Queens a grandi dans les années 1950 dans une famille originaire de
Bari en Italie, avec un père, Dominick Turso, musicien semi-professionnel de middle jazz, influencé par Lester Young, une mère pianiste de qualité et un frère, Ron, qui joue de la batterie. Il baigne dans un univers musical
riche en fréquentant le fameux Metropole Cafe à Broadway sur la 7e Avenue.
A peine adolescent, il peut entendre à l’extérieur du club des illustres
figures du jazz, de New Orleans tels que Tony Parente (cl) et d'ailleurs comme Sammy Price (p) et Sam Ulano
(dm). A 14 ans, il joue de l’alto et rejoint un an plus tard le syndicat des
musiciens jouant la plupart du temps dans l'orchestre familial. Il a également
l’occasion de voir en scène ses musiciens favoris que sont Coleman Hawkins
(ts), Charlie Shavers (tp), Roy Eldridge (tp), Claude Thornhill (p) entourés
d’une solide rythmique amenée souvent par Arvel Shaw (b) et Mickey Sheen (dm).
A force de visites régulières au Metropole Cafe, il devient un habitué et
croise souvent le vétéran Red Allen (tp) dont il deviendra le protégé plus
tard. Celui-ci est souvent accompagné de rythmiques prestigieuses dont Gene
Krupa (dm) et John Bunch (p) ou encore par Charlie Ventura (ts). En face du Metropole
Cafe, le bar le Copper Rail est un lieu où se retrouvent souvent les musiciens
de jazz après leur concert, et c'est pour le jeune Turk Mauro l'occasion
d'échanger avec ses idoles que sont Zoot Sims, Al Cohn, Dexter Gordon et tant
d'autres. C'est Jack Crystal (le père du célèbre acteur Billy Crystal) qui
l'invite à entrer dans le club pour boire un verre et lui présenter Red Allen
qui lui permettra de connaître ses premiers concerts professionnels. Gene Krupa
ne s'est pas trompé à l'époque en l'encourageant après l'avoir entendu en
club. En parallèle, il obtient son diplôme scolaire en 1962 et travaille dans
une banque avant de plonger définitivement dans l'univers de la musique notamment
par une tournée avec Roy Eldridge en 1966 et
une autre avec Ruby Braff la même année. Sa rencontre avec Billy Mitchell (ts), alors qu'il se produisait en club, est déterminante car elle lui permet
d'intégrer la formation de Dizzy Gillespie (1975-1976), puis celle du batteur
Buddy Rich (1976-1979) avec lequel il fera une tournée en Europe et
enregistrera trois albums principalement au saxophone baryton.
Son côté perfectionniste lui vaudra un travail régulier en
free-lance et de nombreuses dates au Blue Note à New York. A cette époque il entre
en studio pour une séance avec le chanteur Joe Caroll aux côtés de Ronnie Cuber
(bar) et Kenny Washington (dm) avant de participer en alternance avec Ricky
Ford au superbe album de Red Rodney (tp), The
3 R's (Muse), avec son ami Richie Cole (as) et Sir Roland Hanna (p) solidement
soutenus par George Duvivier (b) et Grady Tate (dm). C'est alors qu'il sort son
premier album en leader, The Underdog
(Jazzcraft Records), pour un magnifique chase
avec son aîné Al Cohn, entouré de l'excellent pianiste Hugh Lawson et du
batteur Ben Riley, connu pour sa collaboration avec Thelonious Monk.
Il publiera ensuite Heavyweight! avec le jeune guitariste Joe Cohn (le fils d'Al Cohn), mais l'album sera un
échec commercial, et Turk Mauro doit prendre un temps un emploi de chauffeur de
taxi pour subvenir à ses besoins.
C'est Sonny Rollins qui lui conseille de
partir en France tenter sa chance, et il deviendra un habitué des clubs
européens entre 1987 et 1994. Il sera d'ailleurs l'un des piliers de la cave
parisienne du Petit Opportun tout en continuant d'enregistrer pour des
vocalistes d'exception dont le pianiste et chanteur Dave Frishberg avec Glenn
Ferris (tb) en 1991, mais aussi Mark Murphy l'année suivante, puis le crooner
Frank J. Melville en compagnie du pianiste Jimmy Rowles et du batteur Al
Levitt.
Pendant sa période parisienne, le label Bloomdido lui permet
d'enregistrer trois superbes albums; le premier au Petit Opportun, ainsi qu'un Jazz Party en studio avec notamment
Alain Jean-Marie; puis il
retrouvera le pianiste Jimmy Rowles pour un superbe Love Songs.
Le 11 juin 1989, il fête ses 46 ans sur la scène du
Petit Opportun avec Ray Bryant (p) et Phil Woods (as) pour un concert
mémorable.
En 1994, il s'installe en Floride pour s'occuper de son père âgé et
devient l'un des piliers de la scène locale en se produisant régulièrement au
O'Hara's Pub avec la crème de la culture jazz locale mais aussi avec son ami
Richie Cole.
Après avoir rencontré le fondateur du célèbre label Prestige Records,
Bob Weinstock, qui vit également dans le sud de la Floride, il enregistre
deux albums pour le label Milestone. Hittin'
The Jug sort en 1995 sous la forme d'un all-stars en hommage à Gene Ammons
avec Dr. Lonnie Smith (org) et Duffy Jackson (dm, ex-Basie), avant
d'enchaîner deux ans plus tard avec The
Truth, un enregistrement en quintet.
En ce milieu des années 1990, il se produit beaucoup et
sera en tête d'affiche du Blue Note à New York avec le pianiste Ronnie Mathews
et le bassiste Bob Cranshaw.
En 2013, il retourne à New York pour se rapprocher
de sa fille et de ses petits-enfants, laissant un grand vide sur la scène jazz
de sa région d'adoption. Lui qui évoquait avec émotion ses rencontres avec
Pepper Adams, Johnny Griffin, Sonny Stitt, Jo Jones ou Eddie Lockjaw Davis,
avouait il y a peu de temps encore: «Aujourd'hui, je suis extrêmement fier et reconnaissant d'avoir pu côtoyer sur scène et en
dehors tous ces grands musiciens, mais je suis également un peu triste car
beaucoup nous ont quittés. J'essaye toujours de transmettre mon expérience à la
nouvelle génération de musiciens de jazz. J'aimerais également publier mes
mémoires si quelqu'un est intéressé.»
Il a rejoint aujourd'hui ses
amis musiciens de jazz disparus pour, on peut le rêver, une jam pleine de swing et de blues!
Le 18 octobre prochain, le saxophoniste et
producteur Joseph Cavaseno, avec l'aide de Ron Turso, sortira sur son label
l'album Heavyweight! paru en 1981
avec l'accord de Bob Porter de Contemporary Records.
David Bouzaclou photo Jean Szlamowicz
Turk Mauro et Jazz Hot: n°464-1989 et n°619-2005
SELECTION DISCOGRAPHIQUE
Leader CD 1977. The Underdog, Storyville 8265/15689
LP 1981. Heavyweight!, Phoenix Jazz Records 1004
CD 1987. Live in Paris, Recorded at «Le Petit Opportun»,
Bloomdido Records 006
CD 1988-90. Love Songs, Bloomdido Records 009
CD 1991. Jazz Party, Bloomdido Records 011
CD 1995. Hittin' the Jug, Milestone 9246-2
CD 1997. The Truth, Milestone 9267-2
Sideman LP 1963. Lou Dana and the Furies, Liberty Records CD 1976. Buddy Rich and the Big Band Machine, Speak No Evil, RCA Victor/Wounder
Bird Records 1503
LP 1977. Buddy Rich, Plays and Plays, RCA 1-2273 LP 1977. Buddy Rich, Killing Me Forcefully, Muza SX0643 LP 1977. Buddy Rich, Jam Session, Muza SX0655 CD 1977-78. Buddy Rich Big Band, Wham!, Label M 495717 LP 1978. Joe Carroll, Jumpin' at Jazzmania, Jazzmania Records 41222 LP 1979. Buddy Rich, The Exciting Buddy Rich, RCA 42786 LP 1979. Red Rodney, Richie Cole, Ricky Ford, The 3 R's, Muse Records 5290 CD 1990. Frank J. Melville, I'm Old Fashioned, Orange Blue Records 008 CD 1991. Dave Frishberg, Wher You What, Bloomdido Records 010 CD 1992. Mark Murphy, Another Vision, September Records 5113 CD 1996. Eric Allison, Mean Streets Beat, Contemporary Records 14080-2 CD 1996. Billy Marcus, Hamp, Contemporary 14083-2 CD 1997. Eric Allison, After Hours, Contemporary 14088-2 CD 2007. Tim Hauser, Love Stories, Paddle Wheel Records 522
VIDEOS 1986. Al Cohn and Friends, Zoot Sims Memorial Concert (présenté avec humour par Ira Gitler)
https://www.youtube.com/watch?v=7yvyw0c_rvY
2008. JazzBluesFlorida/jazz birthday part, Turk Mauro
2009. Miami Jazz Heritage | Turk Mauro «Jazzzzzzin' it up!» Miami Jazz Heritage est une association sans but lucratif fondée par le musicien et écrivain Bobby Ramirez en 2009
2009. Miami Jazz Heritage | Turk Mauro 2012. Turk Mauro en club avec Don Miller (b), Brian Murphy
(p) et Duffy Jackson (dm) https://www.youtube.com/watch?v=--B_7PuzPMA
2013. Turk Mauro Last Concert in Florida, At the Arts Garage
12/01/2013 «Turk Dirty Blues»
https://www.youtube.com/watch?v=jHbmeObmTfw 2015. Turk Mauro, «What a Little Moonlight Can Do» Turk Mauro (ts), Brian Murphy (p), Don Miller (b), Duffy Jackson (dm), *
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