Harold Mabern, Ginny's, Harlem, 2016
© Mathieu Perez
Le grand pianiste de jazz Harold Mabern est décédé ce 19 septembre 2019, au sommet de son art qui en faisait un formidable leader mais aussi un accompagnateur exceptionnel dont l’apport artistique est tel qu’on a du mal à le penser sideman.
Héritier de la tradition du piano de Memphis autour notamment des grands devanciers comme Phineas Newborn, il appartenait à une famille large d’héritiers de Booker Little et Louis Smith à George Coleman, Frank Strozier, Donald Brown, Charles Lloyd, Calvin Newborn, sans oublier les regrettés James Williams, Mulgrew Miller qui ont trop vite disparu également de la scène du jazz, en pleine possession de leur art et de leurs moyens.
Harold Mabern, dévoué au jazz corps et âme, comme tous ces musiciens sans concession, excellait dans le registre hard bop sans arrêt enrichi par les apports de cette belle génération musicale qui s’étend bien au-delà de Memphis, une expression musicale qualifiée aujourd’hui de «post bop», où l’énergie et la sensibilité la plus nuancée se conjuguent pour une musique d’une exigence rare, toujours virtuose et pourtant naturelle, puissante et pourtant d’une délicatesse extrême, directe dans l’expression et pourtant réfléchie, moderne, fraîche et pourtant si mûrie par des siècles d’histoire humaine, novatrice et pourtant classique par sa perfection formelle; un art sans aucune intention de démonstration, tout entier dévolu à une expression architecturée autour des solides fondations du blues, du swing et d’une expression pleine d’accent, d’éclat.
Harold Mabern était certes un disciple de Phineas Newborn dont il distillait certains traits de virtuosité, mais aussi de B. B. King et de la tradition du blues de sa ville natale, de John Coltrane par l’intensité qu’il savait mettre dans ses interprétations, de McCoy Tyner par la puissance d’attaque de son clavier, ses qualités rythmiques de main gauche et certains traits de l’esthétique pianistique.
Harold Mabern, un sage du jazz, possédait cette disponibilité exceptionnelle qui a fait de lui un artiste, un accompagnateur attentif mais aussi un messenger du jazz, un pont entre les générations.
On l’a vu ainsi accompagner des chanteurs-ses apportant à chacun-e des trésors d’environnement, mais aussi participer modestement à la carrière des plus jeunes, les amenant à un niveau d’excellence comme le réputé, aujourd’hui, Eric Alexander.
Ses qualités humaines l’amenaient aussi à animer régulièrement la Jazz Foundation of America, une institution new-yorkaise pour les vieux musiciens de jazz, et il s’y produisait avec la même conviction que dans tous les clubs du monde, ceux de New York le plus souvent, où il apportait aux soirées son intensité, la force de sa présence massive et tranquille et la beauté de sa musique subtile.
Car Harold Mabern a toujours su garder avec intégrité l’esprit du jazz. Il en a côtoyé dans son parcours le gotha, sans exclusive de générations, et une énumération, même partielle, en donne une idée spectaculaire: Joe Newman, Clark Terry, Lee Morgan, Art Farmer, Donald Byrd, Freddie Hubbard, Roland Kirk, Sonny Rollins, Benny Golson, Archie Shepp, Billy Harper, Bobby Watson, Grant Green, Wes Montgomery, Gene Ramey, Ron Carter, Chris McBride, Elvin Jones, Roy Haynes, Lionel Hampton, Sarah Vaughan, Irene Reid, Dakota Stanton, Joe Williams, Arthur Prysock, ses amis de Memphis et ses amis pianistes avec lesquels il a participé à nombre de projets collectifs (James Williams, Stanley Cowell, Mulgrew Miller…)!
A côté, il restait disponible pour tous, les jeunes musicien-nes, le public, les groupes, les labels, sur toutes les scènes du monde qu’il a régulièrement parcourues, toujours d’une grande simplicité et avec le sourire.
Sa disparition dans son environnement new-yorkais crée un immense vide, et le message du label Smoke Records annonçant son décès en donne une idée: «The world is a lot less beautiful today. It is with heavy hearts that we share news of sad and unexpected passing of Harold Mabern.»
Son œuvre est impressionnante, et pour en avoir une idée, nous vous recommandons de vous référer aux différents articles, interviews et comptes rendus parus dans Jazz Hot, en particulier les numéros n°650, 666, 681. Dans ce dernier article de 2017 figure la discographie la plus complète, mais quelques disques viendront compléter son œuvre. Elle permet, en complément des propos du sage Harold Mabern, de prendre conscience du monumental parcours artistique dont le disque laisse une trace importante, même si le plaisir de rencontrer un tel artiste en live a été un privilège pour tous ceux qui l’ont eu.
L’équipe de Jazz Hot partage la peine de sa famille et de ses nombreux amis. Le jazz a perdu ce 19 septembre 2019 l’une de ses grandes bibliothèques, et le fait que nous en perdions régulièrement, en raison de l’âge et de la richesse du jazz, ne diminue pas notre peine de penser que nous ne pourrons plus compter sur la présence, l’art et la personnalité exceptionnelle de Mr. Harold Mabern.