Onaje Allan Gumbs capture-écran de la vidéo de 2013 «A Child Is Born»
La disparition du pianiste, arrangeur et compositeur américain Onaje Allan Gumbs, né Allan Bentley Gumbs, des suites de la crise sanitaire qui touche les Etats Unis et dont la portée symbolique reflète encore plus les inégalités sociales de nos sociétés face à un épisode prévisible, laisse un regret aux amateurs de beau piano post-bop. Onaje Allan Gumbs est un musicien éclectique dans ses choix artistiques. Sans totalement sacrifier le jazz, il a eu une carrière prolifique au profit des musiques de consommation de masse, et il a aussi produit quelques albums dans le domaine de la soul et du funk. Une bonne maîtrise des différents claviers et synthétiseurs lui a ouvert de nouvelles perspectives économiques, tout en préservant «dans son jardin» un jazz dans le registre hard-bop ayant intégré dans les années 1970 les formes les plus modernes et les plus authentiques de la tradition afro-américaine. Il possède un superbe toucher associé à un jeu tout en nuances toujours au service du swing et qui trouve son zénith dans sa collaboration avec Woody Shaw, Nat Adderley ou Betty Carter. Un univers qui, dans ces contextes, prolonge avec singularité, en moins profond et puissant, le discours de McCoy Tyner tant dans l'approche de l'instrument que dans l’esthétique.
Ses soucis de santé depuis quelques années associés à un goût prononcé pour l'enseignement expliquent sa relative discrétion discographique dans le jazz et ses rares apparitions sur scène. A l'image de toute une génération de musiciens ayant fait les beaux jours des labels historiques tels que Muse, Bee Hive ou Strata-East, il avait trouvé un équilibre entre tradition et modernité. Il est décédé le 6 avril 2020 à l'âge de 70 ans au Saint Joseph's Medical Center à Yonkers, New York. Il laisse l’image d'un musicien refusant les étiquettes. Sa longue carrière l'amène à produire, arranger, composer ou jouer des claviers sur plus de 900 albums couvrant le jazz, la soul, le funk ou la pop au détriment sûrement d'un rôle de leader dans le jazz dont il avait l'envergure. Né à Harlem, New York, le 3 septembre 1949, il grandit dans le Queens et baigne dans un univers musical où le gospel tient une place particulière. Ses parents originaires des petites Antilles des Caraïbes, l'initient à la musique, surtout sa mère qui lui donne ses premières leçons de piano à l'âge de 7 ans. C'est le directeur d'une chorale dont il fait partie qui sera son premier professeur de piano avant qu'il ne découvre le jazz par le biais de la radio et de la télévision avec les thèmes d'Henry Mancini tels que «M. Lucky» et «Peter Gunn». Il découvre que dans ces génériques d'émissions de télévision, la musique est souvent écrite par des musiciens tels que Benny Carter, Quincy Jones ou J.J Johnson. Il dira souvent à ce sujet qu’Henry Mancini reste le numéro un des compositeurs les plus influents sur sa musique. C'est dans les clubs de jazz du Queens que le jeune adolescent donne ses premiers concerts avant d'aller étudier à la High School of Music and Art de New York en 1967. Il est également diplômé Bachelor of Music de la New York State University à Fredonia où il est le seul étudiant afro-américain de l'université. Cette formation lui permettra de s'aguerrir en tant qu'arrangeur et pianiste lors de sessions pendant des cours de danse à New York et même d'avoir une commande du pianiste Billy Taylor alors directeur musical du David Frost Show, pour écrire un arrangement. Au lycée, il avait fait la connaissance du guitariste Leroy Kirkland, ancien arrangeur et compositeur pour des formations de swing tels que celles d'Erskine Hawkins, Tommy et Jimmy Dorsey, mais aussi pour le fameux label Savoy Records à New York. Leroy Kirkland a aussi contribué au rhythm and blues/rock and roll en collaborant avec Screamin’ Jay Hawkins, Big Maybelle, Nappy Brown, Etta James, King Curtis tout en continuant à travailler en coulisses pour Ella Fitzgerald, Eddie Cleanhead Vinson, Cootie Williams, Bud Powell ou Charlie Parker. C'est Leroy Kirkland qui lui présente en 1971 le guitariste de Detroit, Kenny Burrell, à qui le jeune Onaje donne une démo. Le lendemain il reçoit un coup de téléphone pour jouer dans le quartet de Kenny Burrell au Baker's Keyboard Lounge à Detroit avec Major Holley (b) et Lennie McBrowne (dm). Cette expérience de sideman va lui offrir l'opportunité de jouer avec le Thad Jones/Mel Lewis Big Band et de collaborer avec les contrebassistes Larry Ridley et Buster Williams. C'est aussi à cette époque qu'il ajoute à son nom «Onaje», un vocable d'Afrique de l'Ouest signifiant «le sensible». Il fait également partie de la formation de la chanteuse Betty Carter, qui a toujours été une véritable école du jazz pour différentes générations de jeunes musiciens dont les pianistes John Hicks, Mulgrew Miller, Cyrus Chestnut, Stephen Scott ou Benny Green. En tant qu'objecteur de conscience, il est envoyé à Buffalo où il joue, enseigne. Onaje côtoie les pianistes Herbie Hancock, Ahmad Jamal, McCoy Tyner, les saxophonistes Roland Kirk et Eddie Harris sans oublier Freddie Hubbard et Norman Connors (dm) qui faisait partie d'une tournée de Pharoah Sanders. Il s'associe à différents projets du batteur avec des musiciens tels que Carlos Garnett, Gary Bartz, Charles Sullivan ou Reggie Workman dans un idiome plus libre. La deuxième partie des années 1970 est particulièrement riche pour le jeune Onaje. L'année 1974 est celle de la rencontre avec le trompettiste Woody Shaw avec qui il va rester plus de cinq ans, apportant le meilleur de son talent à une belle formation. La récente édition d’un concert dans un club de Hambourg en 1979, Onkel PÖ (cf. chronique), donne un bon exemple de ses qualités dans un double CD. Il poursuit en parallèle une collaboration avec Nat Adderley (tp) pour deux enregistrements (1976). Il participe aussi à deux enregistrements avec Bennie Maupin, comme pianiste et arrangeur (1977-78), à un album de John Stubblefield (1978) et sera fidèle à la chanteuse Sathima Bea Benjamin (1979, 1982 et 2006) . A la fin des années 1970, en pleine période jazz fusion, Onaje Allan Gumbs explore les claviers électriques et autres synthétiseurs auprès de Lenny White (dm) et Roy Ayers (p,vib) pour une musique funk de qualité. Il s'aventure également dans les concepts plus ouverts des avant-gardistes Ronald Shanon Jackson et Bill Lawswell tout en s'attachant à des projets d'un jazz plus dans l'air du temps (fusion) avec les guitaristes Kevin Eubanks ou Stanley Jordan (1984). C'est l'époque où il assure également une carrière de producteur, plutôt dans le registre de la soul music et du funk. En marge de ses activités musicales, il se tourne vers la méditation et le bouddhisme qui lui procurent une forme de sérénité spirituelle. Il est souvent sollicité pour des sessions de sideman par John Stubblefield (ts), Cecil McBee (b), T.K. Blue (as), John Blake (vln), Jay Hoggard (vib) ou le Spirit of Life Ensemble. Il travaille également pour le New York Jazz Repertory Company comme arrangeur lors d'un hommage à Miles Davis en 1975 au Carnegie Hall («Stella By Starlight») ainsi qu'avec le Collective Black Artists pour des orchestrations de l'œuvre du batteur Philly Joe Jones.
Bien qu’il ait enregistré quelques albums qui ont attendu des années pour être publiés (un bon Onaje, SteepleChase, en 1975, et Bloodlife, Ejano, 1985), sa carrière de leader débute «officiellement» lorsqu'il signe en 1988 pour le label Zebra Records, une filiale de MCA Records, chez qui il publie deux premiers albums. Il publie, seulement en 1994, sur le label Steeplechase, le superbe enregistrement solo datant de 1976 avec une version pleine de singularité et de lyrisme de «Giant Steps». En 2001, il retrouve Kenny Burrell pour un album Lucky So and So très straight ahead, au swing intense, avant d'enregistrer au Blue Note de New York avec le saxophoniste René McLean. Il entame par la suite une fructueuse collaboration avec le trio du contrebassiste Avery Sharpe ancien partenaire de McCoy Tyner avec Winard Harper à la batterie. Malgré de nombreux problèmes de santé, dont plusieurs AVC, il a continué à se produire jusqu'en 2016.
Jazz Hot partage la peine de ses proches, dont son épouse Sarah Wright, sa nièce Shameka Gumbs et son neveu Nero Gumbs.
SELECTION DISCOGRAPHIE Leader CD 1976. Onaje, Steeplechase 31069 CD 1985. Bloodlife: Solo Piano Improvisations Based on the Melodies of Ronald Shannon Jackson, Ejano Music, 711-2 CD 1988. That's Special Part of Me, Zebra Records 42120 CD 1991. Dare to Dream, Zebra Records 10382 CD 2003. Return to Form, Live at the Blue Note, Half Note 4915 CD 2004. Remember Their Innocence, Ejano Music 711-11 CD 2007. Sack Full of Dreams, Showplace Record Productions, Allegro Corporation, 18th & Vine 1051 CD 2010. Just Like Yesterday, Pony Canyon 30179
SidemanCD 1974. Carlos Garnett, Black Love, Muse 5040 CD 1974. Cecil McBee, Mutima, Bomba Records Japan BOM 1409, Strata-East 7417 CD 1974. Woody Shaw, Moontrane, Muse 5472 CD 1975. Larry Ridley, Sum of the Parts, Strata-East/Bomba 22201 CD 1975. Lenny White, Venusian Summer, Nemperor/Wounded Bird 435 CD 1975. Roy Ayers Ubiquity, A Tear to Smile, Polydor/Verve 0602527068817 CD 1975. Buster Williams, Pinnacle, Muse Records, 32 Jazz 32147 CD 1976. Betty Carter, The Betty Carter Album, Verve 835 682 – 2 CD 1976. Norman Connors, You Are My Starship, Buddah 5655 CD 1976. Nat Adderley, Hummin', Little David Records, Collectables 7793 CD 1976. Nat Adderley Septet, Don't Look Back, Steeplechase 31059 LP 1976. Rickie Boger, Slow Down, Baby, Muse 5084 LP 1977. Bennie Maupin, Slow Traffic to The Right, Mercury 1148 CD 1977. Art Webb, Love Eyes, Atlantic Records, Warner Bros. 28195 CD 1977. John Stubblefield, Prelude, Storyville/Solid 6978 LP 1978. Bennie Maupin, Moonscapes, Mercury 3717 CD 1978. Woody Shaw, Stepping Stones, Live At The Village Vanguard, Columbia 93646 CD 1978. Clint Houston, Watership Down, Trio Records 9310 CD 1978. Woody Shaw, Rosewood, Columbia 65519 CD 1979. Noël Pointer, Feel It, United Artist Records, Soul Music 5036 CD 1979. Steve Grossman, Persepective, Atlantic 8122-79599-4 CD 1979. Woody Shaw Quintet vol.1, At Onkel Pö's Carnegie Hall, Delta Music, Jazzline/PÖ Records, D77070 CD 1979. Bea Benjamin, Sathima Sings Ellington, Ekapa 05 CD 1979. Woody Shaw, Woody III, Columbia Records, Wounded Bird 5977 CD 1979. Shunzo Ohno, Quarter Moon, Electric Bird, Inner City 2418 LP 1979. Al Foster, Mr. Foster, Better Days Records, Nippon Columbia 7599 CD 1980. Shunzo Ohno, Antares, Electric Bird, King Records 2419 CD 1980. Buster Williams, Dreams Come True, Buddah 942 311 567–2 CD 1982. Sathima Bea Benjamin, Dedications, Ekapa 6220 LP 1983. Theadora Ifudu, This Time Around (Twice as Much), Thegart 37976 CD 1985. John Blake, Twinkling of an Eye, Gramavision 501-2 LP 1985. Jay Hoggard, Riverside Dance, India Navigation 1068 CD 1986. Ronald Shannon Jackson and the Decoding Society, Decode Yourself, Island 20010 LP 1986. Sathima Bea Benjamin, Memories And Dreams, BlackHawk 50203 CD 1986. Billy Cobham, Powerplay, GRP Records, Purple Pyramid 0508-2 LP 1987. John Blake, Adventures of the Heart, Gramavision 8705-1 CD 1987. Kevin Eubanks, The Heat of Heat, GRP-GRD 9552 CD 1988. Michael Carvin, First Time, Muse 600613 CD 1989. Terumasa Hino, Bluestruck, Blue Note 7 93671 2 CD 1990. Ronald Shannon Jackson, Virgin 47 CD 1991. Terumasa Hino, Live in Warsaw, Century 00373 CD 1991. Will Downing, A Dream Fullfilled, Verve 0011452-02 CD 1991. Gerald Albright, Live at Birdland West, Atlantic 28189 CD 2001. Carmen Lundy, This Is Carmen Lundy, Justin Time 174 – 2 CD 2001. Kenny Burrell, Lucky So and So, Concord Jazz 4951-2 CD 2002. Clifford Adams, Cliff Notes, Trentown 90436 CD 2004. Avery Sharpe Trio, Dragon Fly, JKNM 89895 CD 2006. Sathima Bea Benjamin, Song Spirit, Ekapa 003 CD 2008. Avery Sharpe, Legends & Mentors, JKNM 89896CD 2009. Bill Ware, Played Right, Cheetah Records, Pony Canyon 30151 CD 2009. Avery Sharpe Trio, Autumn Moonlight, JKNM 89897 CD 2009. Aaron Johnson, Songs of Our Fathers, Bubble-Sun 1001 CD 2010. Avery Sharpe Trio, Live, JKNM 89898 CD 2010. Tom Brown, S'Up, Cheetah Records, Pony Canyon 30170 CD 2010. Joseph Daley – Earth Tones Ensemble, The Seven Deadly Sins, Jaro Medien 4303-2 CD 2012. Towner Galaher, Panorama, Not On Label 616892806721
VIDEOS
1979. Woody Shaw Quintet: Onaje Allan Gumbs (p), Woody Shaw (tp), Carter Jefferson (ts), Stafford James (b), Victor Lewis (dm). Festival International de jazz, Antibes, émission TV FR3 réal. Jean-Cristophe Averty, «Dolphin Dance», «Theme For Maxime»,
1988. Night Music TV Show, Onaje Allan Gumbs with Dizzy Gillespie, Diane Reeves, David Peaston
2009. Onaje Allan Gumbs Trio: Marcus McLaurine (b), George Gray (dm), the Nuyorican Cafe, East Village, New York «Left Side of Right»
2010. Onaje Allan Gumbs Project: Victor Bailey (b), Omar Hakim (dm), Billy Spaceman Patterson (g) Chuggy Carter (perc) «Inner City Blues»
2011. Onaje Allan Gumbs quartet, Long Beach Jazz Festival New York «A Child Is Born»
2013. Interview de Onaje Allan Gumbs par le contrebassiste Jonah Jonathan
2013. Onaje Allan Gumbs Solo, 23 mai, réal/prod. Jonah Jonathan, Jazzmusiciansvoice «A Child Is Born»
2013. Onaje Allan Gumbs Trio, Conrad Korsch (b), Vince Ector (dm), live at Le Poisson Rouge, New York «One Step Back, Two Steps Up»
2014. Onaje Allan Gumbs, Neil Clark (perc), Gregory Jones (b), at Adinkra House, Bronx, NY, 11 avril «Remember Their Innocence»
2016. Onaje Allan Gumbs, Mem Nahadr (voc) at Manhattan Center Studios, New York, 17 mai, Full Moon Film Productions «Watu»
2016. Adrienne West & Onaje Allan Gumbs at Langston Hughes Library, Corona, NY, 9 avril «Just One of Those Things»
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