Jimmy Cobb, Jazzaldia San Sebastián 2012 © Jose Horna Jimmy COBB
Jazz Legend
Drums Legend était
déjà le titre de la dernière interview que Jazz
Hot a publiée en 2006 de ce monument de la batterie qui vient de
disparaître, d’un cancer, à son domicile de Manhattan en ce printemps si
dévastateur pour les aînés et la mémoire du jazz. James Wilbur Cobb, né l’année de la Grande Crise disparaît
donc au moment d’une autre crise, et, entre-temps, il a contribué par son
talent exceptionnel à illuminer cette planète pendant que d’autres s’acharnent
à l’assombrir. Jimmy Cobb nous a accordé deux intéressantes interviews dans le dernier quart de siècle, la première à Leslie Gourse en 1995 (Jazz Hot n°523), la seconde à Frank
Steiger en 2006 (Jazz Hot n°634),
l’occasion de deux belles couvertures et d’un récit vif et piquant d’une vie
bien remplie, avec ses moments épiques et tragiques auprès de nombreux grands artistes du jazz, gotha dont il fait indubitablement partie. La qualité
exceptionnelle d’une discographie impressionnante sur le plan quantitatif et la
clarté de son expression sur son instrument sont gravées pour en témoigner, et
la discographie n’est qu’un temps de la vie d’un musicien qui se déroule aussi
sur la scène, dans le quotidien artistique. Nous n’allons pas déflorer ces interviews de Jimmy Cobb,
plutôt vous donner une idée de l’esprit de Jimmy Cobb, de son parcours pour
vous inciter à retrouver dans ces deux numéros sa voix et ses récits, d’autant
que dans la seconde interview se trouve une discographie très précieuse de 250
disques, dont une grosse dizaine en leader –il en a depuis rajouté une autre dizaine–, la plupart est donc en sideman. On sait qu’en
jazz, à ce niveau, les sidemen n’en sont plus, mais qu’ils sont partie
intégrante du processus de création d’œuvres enregistrées, de ce jazz de
qualité supérieure, hors d’âge comme on le dirait pour les grandes liqueurs.
Nous complétons en fin de cette biographie nécrologique cette discographie. Pourtant Jimmy Cobb est resté toute sa vie très modeste sur
son œuvre, toujours avec une pointe d’humour qui fait son charme et sa légèreté
aérienne qu’on retrouve dans son jeu: «J’étais
un jeune homme qui avait une place que tous les autres dans le business
auraient voulue et beaucoup auraient pu le faire aussi bien que moi. Il s’est
trouvé que c’était moi, et j’y prenais beaucoup de plaisir.»
Jimmy Cobb © Umberto Germinale-Phocus
Le parcours de Jimmy Cobb commence à Washington, DC, la
Capitale, dans le ghetto, comme il le rappelle: «De nombreux endroits nous étaient interdits et, de ce fait, on passait
notre temps à déambuler dans le quartier. On entendait toutes sortes de
musiques. Je passais devant l’église baptiste, et je les entendais s’éclater
sur une musique que je reconnaissais parce que j’étais catholique. Mon oncle
avait une collection complète de disques de blues, du Sud. J’avais donc
quelques bases.[…] J’avais plein de disques et plein de copains qui venaient à
la maison pour les écouter.» Sur son petit boulot de serveur, il économise
pour s’acheter une batterie, une «Slingerland
comme Gene Krupa», prendre quelques cours avec un percussionniste de
l’orchestre symphonique local, et se lancer à l’adolescence et sans autre
préparation que l’envie de la jeunesse, l’urgence et la nécessité de réussir, pendant
une guerre qui lui offre des opportunités d’engagement pour un début de
carrière professionnelle, accompagnant au hasard des besoins Buck Hill, Shirley
Horn et beaucoup d’autres moins connus.
Keter Betts, Dinah Washington et Jimmy Cobb, c. 1951-53 © photo X de presse/Universal
A la fin des années 1940, la rencontre de Keter Betts est
déterminante car le bassiste l’entraîne à New York, en 1950, dans son groupe,
où jouent déjà Earl Bostic (as, ss, cl), Gene Clarence Redd (tp, vib), Cliff
Small (p).
La seconde rencontre majeure du jeune Jimmy (il a 22 ans)
est celle de la survoltée Dinah Washington, un an plus tard en 1951, avec qui
il va vivre cinq ans. «Une éternité!»,
dit-il avec malice. Il tourne partout avec elle, parfois avec Earl Bostic et
souvent avec le pianiste Wynton Kelly et Keter Betts qui deviennent la section
rythmique de référence de Dinah Washington. «Elle vivait dans le même immeuble que Dizzy et Erroll Garner. Il n’y
avait que des musiciens. C’était génial!» On ne peut que rêver de ce récit
de Jimmy Cobb, d’autant que dans cette époque, il croise aussi la route sur scène
à Philadelphie, pour une semaine, de Charlie Parker, Miles Davis, Milt Jackson… Grâce aux tournées avec Dinah, Jimmy a rencontré Cannonball et
Nat Adderley en Californie, et quand il se sépare de sa «tendre» amie, dans la
seconde partie des années cinquante, il finit par remplacer l’excellent Specs
Wright dans le groupe du saxophoniste aux côtés de Sam Jones (b). Puis,
Cannonball ayant dissous son orchestre pour rejoindre Miles Davis dans le
quintet avec Philly Joe Jones, Jimmy intègre la petite formation de Dizzy
Gillespie avec Wynton Kelly et Sam Jones. Enfin, Philly Joe Jones, fidèle à sa légende, manquant
souvent à l’appel chez Miles, Jimmy finit par le remplacer, et c’est ainsi
qu’il fait partie, parmi beaucoup d’autres enregistrements avec Miles Davis, de
la session du fameux Kind of Blue qui
lui colle à la peau (la question rituelle dans toutes les interviews) car il
était le dernier survivant de ce grand succès artistique et commercial, ce dont
il plaisante: «Je n’ai jamais pensé qu’il
serait meilleur que le reste de ce que nous avons enregistré ensemble.» Et
à notre demande d’explication, il répond:«Je
ne pense même pas que Miles le pourrait s’il était ici.» En effet, de 1958 à 1962, Jimmy Cobb va enregistrer plus de 20 disques avec Miles Davis, de 58 Sessions à The Sorcerer, au sein de formations all stars comptant John Coltrane, Cannonball Adderley, Paul Chambers, Wynton Kelly, Bill Evans, la liste est longue (cf. la discographie de Jimmy Cobb, Jazz Hot n°634 et la discographie de Miles Davis, Jazz Hot n°483)
«So What»: Miles Davis, John Coltrane, Wynton Kelly, Paul Chambers, Jimmy Cobb «Walkin’»: Jimmy Cobb, Wynton Kelly, Paul Chambers accompagnent accompagnés par le Gil Evans Orchestra, New York, 2 avril 1959 - Source:YouTube John Coltrane, le 28 mars 1960, Düsseldorf - Source: Youtube L’important dans ce passage chez Miles, outre la production de ce que beaucoup d’amateurs de jazz considèrent comme le sommet de l’art du trompettiste, c’est que Jimmy Cobb constitue avec Wynton Kelly et Paul Chambers l’une des meilleures sections rythmiques que le jazz a comptées, et qu’après Miles, Wynton, Paul et Jimmy vont prolonger leur complicité amicale et artistique pour de nombreux engagements et enregistrements, en trio, sous le nom de Wynton Kelly souvent ou pour répondre, ensemble, aux demandes d’autres grands artistes très friands d’une telle conjonction de talents (Donald Byrd, Wes Montgomery, Clark Terry, George Coleman, Joe Henderson…). Certaines rencontres donnent lieu à des enregistrements pour Riverside, Vee Jay qui ont immortalisé une des perfections de l’Art du Trio. Ce parcours à trois a contribué pour Jimmy à saisir beaucoup d’opportunités de rencontres comme nous le rappelle cette longue discographie (Benny Golson, Bunky Green, Bobby Timmons, Sonny Red, Pepper Adams, Curtis Fuller, Jay Jay Johnson…).
Jimmy Cobb, Walter Booker, Wynton Kelly, The Dom, New York City, mid 1960’s © Raymond Ross Archives/CTSIMAGES
Jimmy accompagne ses deux amis jusqu’à la mort, prématurée,
de Paul Chambers succombant à la tuberculose en 1969, dans cette première
dépression de l’histoire du jazz qui se joue à la fin des années 1960.
L’industrie de la musique commerciale, de mode, et la société de consommation de masse, comme l'impasse du racisme ancré dans la société américaine tragiquement conclue par la mort du Dr. Martin Luther King, Jr., ont eu, comme aujourd’hui, des conséquences humaines catastrophiques dans le monde des artistes de jazz. On l’a lu
dans les récits biographiques des nombreuses nécrologies de ce printemps 2020:
Henry Grimes, Giuseppi Logan, Jymie Merritt… La réalité de la condition afro-américaine et du système de santé
d’alors aux Etats-Unis ajoutent des tragédies à ce premier grand creux du jazz. Cette situation n’a malheureusement pas vraiment changé en 2020 où
l’actuelle crise économique et dépression consécutive que connaît le jazz mettent en danger la survie même de cette
expression en tant qu’art identifié, secteur artistique indépendant, une
construction d’un siècle. En ce printemps 2020, on ne compte plus le nombre de
musiciens de jazz qui ont besoin de la solidarité financière des amateurs de
jazz pour simplement pouvoir se soigner ou survivre*. On ne compte plus ceux qui sont morts prématurément, non d'une épidémie mais de cette crise d'inégalité, raciale et sociale.
Wynton Kelly suit, peu après, Paul Chambers dans une mort
prématurée due à un infarctus lié à une série de crises d’épilepsie en 1971: «Il buvait beaucoup. Wynton disait que la
mort de Paul avait provoqué ses crises d’épilepsie.», se souvient Jimmy
Cobb.
A partir de 1970, le survivant Jimmy Cobb a rejoint Sarah
Vaughan pour un autre grand volet de sa carrière. Il reste avec la grande
chanteuse pendant sept ans, jusqu’à 1977, appréciant la variété des registres,
du trio avec voix jusqu’au big band. La virtuosité et la liberté musicale de
Sarah Vaughan ne peuvent que ravir un instrumentiste qui possède déjà son art sur
le bout des baguettes.
Jimmy Cobb est déjà une légende sur son instrument et, à
compter du moment où il quitte la formation régulière de la grande chanteuse en
1977, il accompagne beaucoup de musiciens et de groupes de haut niveau, une multiplicité de
rencontres en all stars, comme le Great Jazz Trio avec Hank Jones où il alterne à la batterie avec Al Foster et Tony Williams, avec plusieurs beaux enregistrements (Threesome, 1982; The Club New Yorker, 1983; NY Sophisticate: a Tribute to Duke Ellington, 1983; Monk's Mood, 1984). Le
musicien fait toujours étalage de la finesse de son jeu de cymbales, de son
swing, du blues ancestral, de sa musicalité et de son sens des nuances. Kenny Drew, Ronnie Mathews,
Walter Davis, Jr., Ricky Ford, Red Garland, Jimmy Raney, Sonny Stitt, David
Newman, Richie Cole, Phil Woods, Etta Jones, Nancy Wilson, Hank Jones, John Hicks, Frank
Morgan, Kenny Barron, sans oublier son ami de longue date, Nat Adderley (plus
d’une dizaine d’albums sont enregistrés sous le nom de Nat Adderley entre 1980 et 2000) ni Von Freeman, le ténor de légende
de Chicago, pour lequel Jimmy Cobb a enregistré le premier disque en 1972, Doin’ It Right Now (Atlantic), et le
dernier en 2006, Good Forever (Premonition, Jazz Hot
n°635), avant le décès de Von en 2012. Il rappelle à ce propos l’humour propre à
leur rencontre, Von lui demandant: «J’aimerais
que tu joues comme Jimmy Cobb.» et Jimmy répondant: «Ok, ça, je peux le faire!»
Dans ces années post Sarah Vaughan, le jazz auquel contribue Jimmy Cobb continue d’être exceptionnel de qualité, il n'est nullement besoin de le préciser… Jimmy Cobb
enregistre alors son premier album en leader en 1981 à 52 ans, So Nobody Else Can Ear (E.S.Tee 49). Il n’abuse pas de
sa notoriété pour enregistrer en leader, préférant toujours le
collectif all stars, une appellation
et une qualité (star) dans le jazz
qui font référence au talent et non à la notoriété ou au commerce.
C’est ainsi que vers les années 1990, devenu un aîné, Jimmy
Cobb commence à fréquenter les musiciens des nouvelles générations qui ne se
sont d’ailleurs pas privés de faire appel, avec délicatesse et admiration, à son talent mais aussi à sa mémoire et à son
leadership en tant qu’aîné.
Jimmy Cobb, Festival de Jazz de Vitoria 2009 © Jose Horna
Jesse Davis (as) l’a invité dès 1991 sur son enregistrement Horn of Passion (Concord Jazz), Peter
Bernstein (g) en 1992 sur son Somethin’s
Burnin’ (Criss Cross), Antonio Hart (as) en 1993 pour son hommage à Woody
Shaw et Cannonnball Adderley: For
Cannonball and Woody (Novus), Dado Moroni (p) en 1994 sur Insights (Jazz Focus), Roy Hargrove (tp) en 1995 pour Family (Verve). Roy Hargrove va être, dans le dernier quart de siècle, un des compagnons réguliers de Jimmy Cobb. Le trompettiste est un artiste de la dimension et de la famille esthétique de Jimmy Cobb qui a très vite perçu dans son cadet les qualités hors normes qui ont accompagné toute sa vie de batteur.
Jimmy Cobb finit par céder à leurs instances à la fin des années 1990 en parrainant un groupe, Cobb’s Mob (la
bande à Cobb), qui dit assez sa préférence pour le collectif. Le premier opus enregistré par ce groupe, Jimmy Cobb's Mob, Only for the Pure at Heart (Fable/Lightyear), est le signal d'un vrai second souffle discographique de haute volée qui permet à Jimmy Cobb d'enregistrer environ un disque par an dans les années 2000, soit une vingtaine d'enregistrement sous son nom pour la plus grande partie, la nouvelle orientation de son œuvre liée à son statut de légende. C'est ce qu'éclaire la discographie qui prolonge l'article, ainsi qu'une partie des vidéos. Jimmy Cobb a continué d’être très actif et est devenu un leader de sessions d'enregistrement et de tournées à un âge où d'autres prennent la retraite. Dès 1998, il rend hommage à ses deux «frères» en jazz des années 1950-1960: Tribute to Wynton Kelly and Paul Chambers est enregistré en trio en compagnie de deux musiciens italiens, Massimo Faraò et Aldo Zunino, avec lesquels il renouvelle l'expérience dans les années 2000 (Taking a Chance on Love, 2001, puis Cobb Is Back in Italy, 2002) dans sa «période italienne».
Car à côté d'un moment très faste sur le plan discographique dans les années 2000, Jimmy Cobb tourne dans le monde entier, en particulier en Europe dont il parcourt les scènes festivalières avec régularité, avec parfois Mulgrew Miller (p), Buster Williams (b), Joey DeFrancesco (org), Larry Coryell (g), un savant mélange de générations, récoltant la reconnaissance, les prix et les hommages dus à un chemin artistique toujours sur les sommets du jazz. On le voit en Italie, Espagne, etc., et c'est l'occasion pour lui de belles rencontres avec des musiciens de toutes les nationalités et de toutes les générations.
Jimmy Cobb reçoit le Prix Spécial lors du Festival Jazzaldia de San Sebastián, 20 juillet 2012, entouré de Larry Coryell, Mulgrew Miller et Eric Reed © Jose Horna Eric
Alexander (Jazz Hot n°666), qui s’est
fait une spécialité, et sans aucun doute le plaisir, d’accompagner ses aînés (Lin
Halliday, Freddy Cole, Cecil Payne, Harold Mabern, Jimmy Cobb, Pat Martino, Joe
Chambers, Melvin Rhyne… à Chicago et New York) dans lesquels il trouve sa propre
inspiration pour enraciner sa musique, a réussi à le convaincre d'enregistrer, et Jimmy Cobb
trouve dans ces rencontres au sein de Cobb’s Mob un plaisir renouvelé, sans
changer sa manière, sa simplicité de contact et la qualité de son expression comme
dans le Cobb’s Groove en 2003 (Milestone), produit par Todd Barkan, gravé officiellement par le Jimmy Cobb’s Mob. Jimmy Cobb n’a pas abandonné les anciens: il a enregistré avec Hamiet Bluiett (1995), Ernie Watts (1997), Harold Ashby (1998); Richard Wyands est associé à Cobb’s Groove en 2003, et le pianiste est encore présent dans le bel enregistrement de Von Freeman, Good Forever (Premonition), en 2005. Jimmy Cobb se fait visiblement plaisir en construisant une seconde partie d’œuvre où il est à la manœuvre, et ses choix sont comme toujours
les meilleurs. En 2006, il retrouve Hank Jones pour West of the 5th (Chesky). C’est un autre ancien, Ellis Marsalis, lui aussi
victime de ce printemps 2020 mortifère, qui l’accompagne sur un album en leader
pour le nouveau label créé par Branford Marsalis dans la collection Marsalis
Music Honors Series.
Jimmy Cobb est invité dans ces années 2000 par plusieurs
jeunes musiciens dont la notoriété est encore à faire: Ron Di Salvio en 2005, Steve
Haines en 2009, Federico Bonifazi en 2015 et Emmet Cohen en 2016, poursuivant
ainsi l’œuvre de transmission auprès des nouvelles générations dont lui-même a bénéficié dans son jeune âge.
Larry Willis (p), Vincent Herring (as), Wallace Roney (tp), Javon Jackson (ts), Rahsaan Carter (b), Jimmy Cobb (dm)
Kind of Blue Band au XXXIIIe Festival de Jazz de Vitoria-Gasteiz 2009 © Jose Horna
Il fait dans ce dernier chemin quelques hommages: à Miles
Davis qui a contribué à l’un des moments
essentiels de son développement (Remembering
Miles: Tribute to Miles Davis en 2011), à la musique de Thelonious Monk en
compagnie de Randy Brecker (Monk: A NYC
Tribute en 2012). En 2014, il réunit le Cobb's Mob pour un enregistrement pour Smoke Sessions, The Original Mob, avec Peter Bernstein, Brad Mehldau et John Webber.
En 2018, il retrouve l’harmoniciste Hendrik Meurkens, déjà
croisé en 1999 dans New York Nights,
pour un Cobb’s Pocket, clairement un
hommage d’Hendrik à son aîné, entouré du fidèle Peter Bernstein et de Mike
LeDonne.
Malgré un cancer dépisté en 2018, pour lequel sa fille
Serena a dû se résoudre à lancer un appel à la solidarité en pleine épidémie de
Covid-19 en raison du délabrement et de l'inégalité du système sanitaire du «pays le
plus riche du monde»*, Jimmy Cobb poursuit donc une activité intense, toute
entière tournée vers son Art, le jazz, avec un dernier enregistrement This I Dig of You, chez Smoke Sessions Records en 2019, dont il existe une émouvante vidéo retraçant les conditions d'enregistrement, d'autant que c’est aussi le dernier enregistrement d’Harold Mabern disparu à l’automne 2019
(cf. nos tears),
et que ces deux indispensables du jazz sont entourés de deux proches: Peter
Bernstein et John Webber, deux musiciens d'une grande sensibilité. On entend les témoignages de l'ensemble des musiciens, de Jimmy et Harold en particulier, un autre testament musical et par la voix, un condensé du parcours de lumière de ce grand artiste qu'était Jimmy Cobb. Le titre du disque et premier thème est d’Hank Mobley, le grand ténor croisé chez Miles Davis en 1961 (trois enregistrements en commun: Someday My Prince Will Come, Columbia; In Person at the Blackhawk, Columbia; Miles Davis at Carnegie Hall, Columbia) et le dernier thème du disque, «Full House», est une composition et un album de Wes Montgomery (Riverside, 1962), en quintet avec Johnny Griffin au ténor, auquel participa Jimmy Cobb au sein du trio magique avec Wynton Kelly et Paul Chambers. Une évocation, point final de sa discographie, qui confirme que Jimmy Cobb avait le sens de la perfection autant dans la précision «horlogère» de son jeu de batterie que dans l'organisation de ses enregistrements et de sa mémoire.
Joey DeFrancesco (org), Jimmy Cobb (dm), Larry Coryell (g), Jazzaldia san Sebastián 2012 © Jose Horna
La dernière parution de Jimmy Cobb qui nous est parvenue en fin d'année 2019, l’un de ses derniers
enregistrements en leader date de juin 2016. Le batteur a lui-même produit Remembering U, sur son propre label dont
c’était le premier et dernier numéro, un hommage rempli de nostalgie et
pourtant de promesses à ceux qui ont accompagné son chemin d’excellence (cf. la
chronique parue récemment dans Jazz Hot). C’est aussi l’un
des derniers disques parus où l’on peut écouter avec les excellents Javon
Jackson, Tadataka Unno et Paolo Benedettini, le regretté Roy Hargrove disparu
en 2018, et on s'arrête comme toujours sur le splendide jeu de cymbales, la
musicalité qui sont la signature de Jimmy Cobb. C’est enfin le
dernier disque enregistré par Rudy Van Gelder avant son décès (cf. Tears, Jazz Hot n°677), le célèbre
ingénieur du son qui a accompagné le parcours de Jimmy Cobb sur tant
d’enregistrements.
On le voit, comme Molière et la plupart des musiciens de jazz, Jimmy Cobb est mort en scène. Jimmy Cobb aura eu cet art de la mise en scène
jusque dans l’ordre de ses parutions, dans le choix de ses titres, avec ces disques qui sonnent aujourd’hui
comme des cadeaux faits à tous les amateurs de jazz, un témoignage d’un long parcours lumineux même quand il fut marqué de tristesse avec les disparitions de ses compagnons
artistes qui ont jalonné sa longue vie, Paul Chambers, Wynton Kelly bien
entendu, mais aussi beaucoup d’autres compagnons car Jimmy Cobb appartient à la
légende du jazz depuis plus de 70 ans, il a donc perdu la plupart de ses compagnons artistes, et quels artistes!
Jimmy Cobb a été distingué en 2009 par une bourse du NEA
Jazz Masters (National Endowment for the Arts, la plus haute récompense en
matière de jazz aux Etats-Unis).
Dans Remembering
U, le premier titre, «Eleanor», est dédié à son épouse Eleana Tee Steinberg
Cobb –qui donne aussi son nom au label sur lequel est produit le premier disque en leader «officiel» de Jimmy Cobb, enregistré en 1981, "So Nobody Else Can Hear: the Session” et un second enregistrement, Yesterdays en 2001– à laquelle Jazz Hot adresse ses
sincères condoléances ainsi qu’à ses deux filles Serena et Jaime Cobb.
Yves Sportis Photos Umberto Germinale, Jose Horna, Raymond Ross Archives/CTSIMAGES et images extraites de diverses vidéos
* Deux hot news
récentes, de 2020, que vous pouvez retrouver parmi d’autres sur le même sujet dans
le fil d’informations des hot news de Jazz Hot, l’évoquent: • 6 février
2020-Solidarité envers les musiciens malades (suite) La prise en charge des
musiciens prenant de l'âge et nécessitant des soins médicaux onéreux continue
de mettre les artistes et leurs familles en difficulté, comme nous le
rapportions encore dans notre hot news du 12/11/19, à propos de Barry Harris et
de Lucien Barbarin, qui vient malheureusement de nous quitter. C'est
aujourd'hui le cas du grand Jimmy Cobb, 91 ans (Jazz Hot n°634), qui mobilise
les soutiens. La batteur, qui doit à présent limiter son activité pour
préserver sa santé, ne peut faire face aux coûts des traitements et aides à
domicile qui lui sont devenus indispensables. Une collecte de fonds a été
lancée par sa fille Serena: gofundme.com/f/jimmy-cobb • 15 mars
2020-Solidarité envers les musiciens malades (suite) Cela devient un triste
feuilleton que celui des nouvelles qui se succèdent en provenance de musiciens
en grande difficulté face à l'âge, aux ennuis de santé et à une impossibilité
de financer leurs traitements. Après Barry Harris (qui va mieux), Jimmy Cobb
dont la famille continue de récolter des fonds pour payer ses soins à domicile,
nous apprenons que Pat Martino (Jazz Hot n°649), atteint par une grave
affection pulmonaire et un problème à la main gauche qui l'empêchent d'exercer
son art depuis novembre 2018, lance à son tour un appel aux dons pour l'aider à
régler ses factures médicales: gofundme.com/f/pat-martino
•Dans le même
registre de la condition des artistes-musiciens de jazz: voici la photo prise
le 17 septembre 2014 à Town Hall, New York: Les membres de la campagne «Justice For Jazz Artists», créée par le syndicat 802, passaient devant la
Commission des Affaires culturelles du Conseil municipal de New York pour
défendre la Resolution 207-A. Une Resolution qui soutient cette campagne visant
à contraindre les clubs de jazz new-yorkais à cotiser au régime de pension des
musiciens. Elle a été votée le 8 octobre 2014, mais n’a eu aucun prolongement
juridique. Une douzaine de musiciens avaient témoigné dont Jimmy Cobb. A la fin de son
témoignage, Jimmy Owens s'était levé et avait joué «Nobody Knows the Trouble
I've Seen».
Jimmy Owens (flh), Gene Perla (b), Jimmy Cobb (dm),
Bertha Hope (p), Keisha St-Joan (voc), City Hall, NYC, 17 septembre 2014 ©
Mathieu Perez
*
JIMMY COBB et JAZZ HOT: n°523-1995, n°634-2006
SITE: www.jimmycobb.com
DISCOGRAPHIE de Jimmy COBB, part 2 Complément de la
discographie publiée dans Jazz Hot
n°634 en novembre 2006: nous reprenons la discographie complète en leader-coleader depuis le premier disque de Jimmy Cobb en 1981 et avons ajouté la discographie en sideman depuis 2000, le reste de l'impressionnante discographie de Jimmy Cobb sous le nom d'autres musiciens est donc dans Jazz Hot n°634, avec la seconde interview.
CD 1981. Jimmy Cobb, "So Nobody Else Can Hear: the Session”, E.S.Tee 49 (=CD Expansion 6)Jimmy Cobb (dm), Freddie Hubbard (tp,flh), Steve Satten (cnt,perc), David Liebman (ss,afl), Pee Wee Ellis (ts,arr), Larry Willis (p), Pete Levin (synth), Steve Kahn (g), Walter Booker (b), Victoria Berdy, Jimmy Strassberg (perc), Gregory Hines, Marilyn Redfield (voc), Bill Cosby (mc)
CD 1997. Jimmy Cobb, Tribute to Wynton Kelly and Paul Chambers, General 3301 Jimmy Cobb (dm), Massimo Faraò (p), Aldo Zunino (b)
CD 1998. Jimmy Cobb's Mob, Only for the Pure at Heart,Fable/Lightyear 54264-2 Jimmy Cobb (dm), Richard Wyands (p), Peter Bernstein (g), John Webber (b),
CD 2000. Hideaki Yoshioka, Moment to Moment, Venus TKCV-35098 Hideaki Yoshioka (p), Jamil Nasser (b), Jimmy Cobb (dm)
CD 2001. Jimmy Cobb, Yesterdays, E.S.Tee 50 Jimmy Cobb (dm), Roy Hargrove (tp), Jon Faddis (tp), Mike Brecker (ts), Marion Meadows (ss), Eric Lewis (p), Peter Bernstein (g), John Webber (b)
CD 2001. Jimmy Cobb, Taking a Chance on Love, Azzurra Music 076 Jimmy Cobb (dm), Marco Tamburini (tp), Massimo Faraò (p), Aldo Zunino (b)
CD 2002. Jimmy Cobb Trio, Cobb Is Back in Italy, Azzurra Music 054 Jimmy Cobb (dm), Massimo Faraò (p), Aldo Zunino (b)
CD 2003. Jimmy Cobb’s Mob, Cobb’s Groove, Milestone 9334-2 Jimmy Cobb (dm), Eric Alexander (ts), Richard Wyands (p), Peter Bernstein (g), John Webber (b)
CD 2005. Ron Di Salvio Featuring Jimmy Cobb, Essence of Green, A Tribute to Kind of Blue, Origin Records 82478 Ron Di Salvio (p), Jimmy Cobb (dm), Derrick Gardner (tp), Pat Terbrack (as), Diego Rivera (ts), Ken Morgan (fl, bar), Rodney Whitaker (b), Andy Inglat (voc-ténor), Aubrey Johnson (voc-sop), JC Coffey (voc-bass), Johnaye F. Kendrick (voc-alto)
CD 2005. Jimmy Cobb,Marsalis Music Honors Series: Jimmy Cobb, Rounder 460002Jimmy Cobb (dm), Ellis Marsalis (p), Andrew Speight (sax), Orlando Le Fleming (b)
CD 2006. Hank Jones, West of 5th, Chesky 313 Hank Jones (p), Christian McBride (b), Jimmy Cobb (dm)
CD 2006. Jimmy Cobb, Cobb's Corner, Chesky 327 Jimmy Cobb (dm), Roy Hargrove (tp), Ronnie Mathews (p), Peter Washington (b)
CD 2006. Von Freeman, Good Forever, Premonition 669179-07682-2 Von Freeman (ts), Richard Wyands (p), John Webber (b), Jimmy Cobb (dm)
CD 2008. Jimmy Cobb Quartet, Jazz in the Key of Blue, Chesky 344 Jimmy Cobb (dm), Roy Hargrove (tp,flh) Russell Malone (g) John Webber (b)
CD 2009. Steve Haines Quintet with Jimmy Cobb, Stickadiboom, ZOHO 200903 Steve Haines (b), Jimmy Cobb (dm), Rob Smith(tp,ss), David Lown (ts), Chip Crawford (p), Thomas Taylor (dm)
CD 2011. Jimmy Cobb, Remembering Miles: Tribute to Miles Davis, Eighty-Eight's 18851 Jimmy Cobb (dm), Eddie Henderson (tp), Tadataka Unno (p), John Webber (b)
CD 2012. Jimmy Cobb/Randy Brecker, Monk: A NYC Tribute feat. Jimmy Cobb & Randy Brecker, Jazz’n’Arts 6112 Jimmy Cobb (dm), Randy Brecker (tp), Gunnar Mossblad (ts), August-Wilhelm Scheer (as), Jim Ridl (p), Tony Marino (b)
CD 2014. Jimmy Cobb, The Original Mob, Smoke Sessions 1407 Jimmy Cobb (dm), John Webber (b), Brad Mehldau (p), Peter Bernstein (g)
CD 2015. Federico Bonifazi, You'll See, Steeplechase 33125 Federico Bonifazi (p), Eric Alexander (ts), John Webber (b), Jimmy Cobb (dm)
CD 2016. Jimmy Cobb, Remembering U, Jimmy Cobb World 1001 Jimmy Cobb (dm), Roy Hargrove (tp), Javon Jackson (ts), Tadataka Unno (p), Paolo Benedettini (b)
CD 2016. Emmet Cohen Featuring Jimmy Cobb, Master Legacy Series Volume 1, Cellar Live 31616 Emmet Cohen (p), Jimmy Cobb (dm), Godwin Louis (as), Yasushi Nakamura (b)
CD 2018. Hendrik Meurkens, Cobb’s Pocket, In+Out Records 07588 Hendrik Meurkens (harm), Jimmy Cobb (dm), Mike LeDonne (p), Peter Bernstein (g)
CD 2019. Jimmy Cobb, This I Dig of You, Smoke Sessions 1905 Jimmy Cobb (dm), Harold Mabern (p), Peter Bernstein (g), John Webber (b)
*
VIDEOS
Chaîne YouTube de Jimmy Cobb (une série de vidéos sont réunies sous un même lien)
1959. Jimmy Cobb, John Coltrane (ts,as), Miles Davis (tp), Emmett Berry (tp), Johnny Coles (tp), Louis Mucci (tp), Clyde Reasinger (tp), Ernie Royal (tp), Jimmy Cleveland (tb), Bill Elton (tb), Frank Rehak (tb), Rod Levitt (tb), Bob Northern (frh), Julius Watkins (frh), Bill Barber (tu), Eddie Caine (fl), Romeo Penque (fl), Danny Bank (bcl), Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b), Gil Evans (arr,cond) «The Duke», «So What», «New Rhumba», «Blues for Pablo», 2 avril, The Robert Herridge Theater TV Show, CBS/Studios 61, New York, NY
1960. Jimmy Cobb, John Coltrane (ts), Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b), «Walkin’», 28 mars, Dusseldorf, RFAllemagne, DVD Jazz Icons 1976. Jimmy Cobb, Sarah Vaughan, Carl Shroeder (p), Bob Magnuson (b), «Lover Man», Paris
1978. Jimmy Cobb, Sarah Vaughan, Carl Schroeder (p), Walter Booker (b), Waymon Reed (flh), «I’ll Remember April», «East of the sun», «Your Blase», Helsinki, Finlande
2000. Jimmy Cobb, Hendrik Meurkens (vib,harm), Dado Moroni (p), Ray Drummond (b), «Voyage», avril, Subway Jazz Club, Cologne, Allemagne
2001. Jimmy Cobb, interview, extrait de The Miles Davis Story, Sony/Colombia
2006. Jimmy Cobb, Mulgrew Miller (p), Buster Williams (b), Tuscia in Jazz, Ronciglione, Italie
2009. Jimmy Cobb, Larry Willis (p), Buster Williams (b), Wallace Roney (tp), Javon Jackson (ts), Vincent Herring (as), «All Blues», Bridgestone Music Festival, São Paulo, Brésil
2012. Jimmy Cobb, Workshop in Moscow, Russie, Ilya Lushtak (trad.,g), Ivan Farmakovsky (p), Alexey Podymkin (p), Vladimir Nesterenko (p), Roman Salmasov (b), Peter Vostokov (tp), Alexander Sakharov (tp), Igor Butman (ts), Iliya Morozov (as), Oleg Butman (dm), Edward Zizak (dm), 3 juillet
2013. Jimmy Cobb, Tadataka Unno (p), Paolo Benedettini (b), Javon Jackson (ts), «My Shining Hour», «John Paul Jones, aka Trane's Blues», «If I Were a Bell», «You Don't Know What Love Is», «Bolivia», «Someday My Prince Will Come», Live at the Village Vanguard, 21-22 août, Wbgo 88.3fm, Npr music, New York, NY 2014. Jimmy Cobb, interview, 22 novembre, NYU Steinhardt Jazz, Series at SubCulture/Dr. David Schroeder, New York, NY 2019. Jimmy Cobb, Harlod Mabern (p), John Webber (b), Peter Bernstein (g), «This I Dig of You», enregistrement Smoke Sessions Records, New York, NY
2019. Jimmy Cobb, Tadataka Unno (p), Paolo Benedettini (b), Javon Jackson (ts), Shawn Monteiro (voc), «Pistachio», «Eleanor», «Remembering U», «JC’s AC», Live at JALC-Dizzy’s Club, 25 novembre, New York, NY
|