Lucien Juanico, C.I.M., Paris,
25 mai 1982 © Michel Laplace
Le
trompettiste Lucien Juanico est décédé dans une maison de retraite à
Juan-les-Pins. Selon ses proches, l'isolement dû au confinement l'aurait
emporté... le lendemain de Michel Decourrière.
Lucien
Juanico a étudié la trompette à Alger auprès de Clément Perrin. Il m'avait
écrit: «J'ai débuté par le
classique, et par goût je me suis mis au jazz puis à la variété». Il
fréquente l'accordéoniste et chef d'orchestre à Radio-Alger, Lucien Attard
(1928-2007). C'est avant Attard et son ami trompette Jean-Pierre Balzano que
Lucien arrive à Paris. Il m'a dit avoir joué dans la Musique du 3e Régiment
d'Infanterie Coloniale. Il complètera ses connaissances trompettistiques à Paris
auprès de Raymond Sabarich. Dès 1951, il «fait le métier» en jouant pour les
chefs d'orchestre de variétés jazzy et de jazz comme Eddie Warner (1952),
Jacques Hélian, Michel Legrand, Jean-Claude Pelletier (1965), Fred Gérard
(1965, au Casino de Biarritz, avec Roger Guérin, Alex Renard, tp) et Raymond
Lefèvre. Il a travaillé au Lido et à
l'Olympia.
Je l'ai rencontré le 25 mai 1982, lors d'une répétition des
New Old Sharks de Fred Gérard au C.I.M. d'Alain Guerrini, à Paris. Il y
remplaçait Roger Guérin pour le travail de section, laissant la section
rythmique seule dans les espaces de solos (j'ai comblé le trou dans «My Blue
Heaven»). Charly Hernandez était au sax ténor tandis que le reste de la section
outre Fred et lui, comprenait Michel Delakian et Jean Baissat. On le voyait
encore à la télévision en mars 1992, avec Ben & sa Tumba.
Il s'est retiré à
Juan-les-Pins où il fut le voisin de son ami Jean-Pierre Balzano. Son épouse
était la chanteuse Paola. Lucien Juanico a enregistré pour André Persiani
(1955, 1958, orthographié à l'époque «Persiany»), Christian Chevallier (1955), Dany Doriz (mai 1966, arrangements
de Gérard Poncet, avec Fred Gérard, Pierre Sellin, tp, Gaby Vilain, tb, Denis
Fournier, as, Dominique Chanson, ts, Alphonse Masselier, b, Marcel Blanche, dm,
EP Homère), les Trumpet Brothers de Jacques Jay (1961-65, avec Jean-Pierre
Balzano, tp, Marc Steckar, tb, Harry Perret, ts, Véga) et sous son nom (1966,
«OK Big Bill», 45-tours Homère 1011, notamment).
Fred Gérard, X, Lucien Juanico, C.I.M., Paris, 25 mai 1982 © Michel Laplace
En 1973, ses préférés en jazz, m'avait-il dit, étaient Clifford Brown et Doc Severinsen.
Le meilleur hommage que l'on puisse rendre à Lucien Juanico, c'est de réécouter
les enregistrements remarquables des big bands français des années 1950 et du
début des années 1960 (malheureusement, YouTube
et autres ne donnent pas les personnels comme ci-dessous). Pour la trompette, à
côté de solistes «jazz»(anciennement désignés «hot»), de classe comme Bernard
Hulin, Fernand Verstraete, Fred Gérard, Pierre Sellin et surtout Roger Guérin,
de premiers pupitres remarquables comme Robert Fassin, Henri Van Haeke, Pierre
Thibaud, Georges Gay, Maurice Thomas et surtout, à nouveau, Fred Gérard, il y
avait une multitude de musiciens de section, rompus au phrasé ternaire, comme,
dans le désordre, Lucien Juanico, Vincent Casino, Michel Decourrière, Jacques
Jay, Yves Lalouette, Jean Liesse, Loulou Vezant, Roger Deblock, Marcel Cimino,
Al Mone, René Léger, Jean Baissat, Gilbert Dias, Alex Caturegli, Louis
Laboucarié, Lucien Roman, Georges Bence, Michel Poli, Pierre Dutour et même
Georges Jouvin (également soliste dit «mélodique») pour n'en citer que quelques-uns auxquels s'étaient intégrés les Alex Renard et Christian Bellest de la
génération antérieure ou encore des reconvertis du traditionnel au mainstream
comme Jean-Claude Naude. Sans eux pas de big bands, appelés grands orchestres à
l'époque. Ils seront peut-être égalés par la suite (Ivan Jullien, Tony Russo,
Michel Barrot, Kako Bessot), sauf dans le phrasé ternaire, mais jamais
dépassés!
Bien sûr, ces noms ne sont guère connus des amateurs de jazz surtout intéressés
par «le solo» au point d'assimiler dans un ordre hiérarchique d'intérêt ne
correspondant pas à la réalité, le trompette solo au premier trompette de
l'orchestre. Or dans la pratique, le soliste joue le plus souvent une partie
secondaire (souvent dans l'expérience du signataire, la 2e ou 4e trompette). Le premier trompette, rarement soliste, est le plus qualifié en
technique notamment dans le registre aigu, mais il doit aussi connaître la
musique, à savoir les styles jazz pour mener toute la section comme un seul
homme selon une articulation pertinente et efficace des phrases écrites, avec
un feeling simulant l'improvisation. Il en allait ainsi depuis l'invention du
big band jazz par Fletcher Henderson (avant Duke) d'où la méconnaissance, par
exemple, du talent d'un Russell Smith, premier trompette, chez les jazzfans et
les «critiques». Il faut tout le talent d'artistes comme Lucien Juanico pour
compléter en section les notes de l'harmonie en épousant le style imposé par le
premier trompette. Lucien Juanico était aussi un bon soliste «mélodique». Toute
une époque semble décidée à rejoindre l'ombre… Texte et photos: Michel Laplace
SOURCE: Le Monde de la Trompette et des
Cuivres de Michel Laplace (2014-2020)
SELECTION DISCOGRAPHIQUE
Leader
45t 1966.
Lucien Juanico et sa trompette, OK Big Bill, Homère 1011
Sideman
LP 1955.
Christian Chevallier. Big and Small, Columbia FP 1056
LP 1955.
André Persiany et son Orchestre. Jazz Stars Series, Columbia FP 1058
LP 1958.
André Persiany et son Orchestre. Swingin' Here and There, Pathé 2C054-11721
45t 1966.
Dany Doriz. Flirt à gogo, Homère 1012
VIDEOS
Christian
Chevallier (p) et son orchestre: Fred Gérard (tp1), Lucien Juanico, Christian
Bellest (tp), Roger Guérin (solo tp), André Paquinet (tb1), Nat Peck, Charles
Verstraete (tb), Dave Amram (frh), William Boucaya, Jean Aldegon (as), Bobby
Jaspar (solo ts), Jean-Louis Chautemps (ts), Armand Migiani (bass-sx), Pierre
Michelot (b), Christian Garros (dm), Paris, May 26, 1955, Nice Joke
https://www.youtube.com/watch?v=7lOLxhv_TzE
André
Persiany (p) et son orchestre: Fred Gérard (tp1), Lucien Juanico (tp), André
Paquinet (tb1), Charles Verstraete (tb), Teddy Hameline, André Dabonneville
(as), Armand Conrad (ts), Guy Lafitte (solo ts), Michel de Villers (bs), Benoît
Quersin (b), Teddy Martin (dm), Paris, May 31, 1956, Swingin' the new A.P.
Blues
https://www.youtube.com/watch?v=m-6R9hUsO7k
André
Persiany (p) et son orchestre: Pierre Thibaud (tp1), Lucien Juanico (tp),
George Gay (tp, solo en re-recording), Sandy Fall, Bill Tamper (tb), Teddy
Hameline (as1), Michel Attenoux (as, solo en re-recording), Armand Conrad (ts),
Georges Bessières (ts, solo en re-recording), Michel de Villers (bs: solo en
re-recording), Pierre Cullaz (g), Paul Rovère (b), Christian Garros (dm),
Paris, February 21, 1958, Jive at Five
https://www.youtube.com/watch?v=9hoUTfMRMng
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