Roger Mennillo
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25 jan. 2021
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2 janvier 1926, Marseille, Bouches-du-Rhône - 25 janvier 2021, Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
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© Jazz Hot 2021
Roger Mennillo, Pelle-Mêle, février 1992 © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
Roger MENNILLO (Roger Mennillo et Ugo Lemarchand duo) Le pianiste de jazz, Roger Mennillo, pédagogue réputé dans la région provençale et animateur-créateur du festival de jazz de Saint-Cannat, est mort le lundi 25 janvier 2021 d’une attaque cardiaque à son domicile de Saint-Cannat, village situé sur la Nationale 7, à quelques kilomètres au nord-ouest d’Aix-en-Provence.
Troisième d’une famille d'origine italienne qui comptait cinq enfants, Roger Edmond Mennillo est né à Marseille le 2 janvier 1926. Ses deux aînés, Oscar et René, avaient vu le jour à Milan où leur père, un petit industriel, était fabricant de pâtes. Après la marche sur Rome des chemises noires et la prise du pouvoir par Mussolini, la vie de cette famille napolitaine au sens large (la fratrie), qui s’était installée dans la Capitale lombarde à la fin du siècle précédent, devint très difficile; d’autant que ses membres ne faisait pas trop mystère de leurs opinions politiques. Sérieusement menacé, comme sa sœur et son frère, par les fascistes locaux «pour avoir refusé de prendre la carte du parti fasciste», le père de Roger se réfugia avec sa famille à Marseille en 1923; son épouse ayant la phobie du voyage en bateau, il s’était dans sa fuite arrêté dans le port de Provence tandis que ses frère et sœur poursuivirent leur migration vers New York: biographies italiennes communes et maintes fois reproduites dans l’entre-deux-guerres. Jusqu’à l’âge de 13 ans, Roger conserva la nationalité italienne; et ce ne fut qu’à la veille de la guerre aux fins de bénéficier d’une certaine protection civique, que les parents et toute la fratrie, ses aînés et ses jeunes frère (Robert) et sœur (Violette), acquirent la nationalité française. Comme beaucoup de migrants arrivant dans la cité phocéenne, la famille habita Le Panier, vieux quartier historique massaliote pauvre et cosmopolite situé tout autour de l’Hôtel de Ville et de l’Hôtel Dieu; ses ruelles enchevêtrées et populeuses descendant au Vieux Port où se déroulaient à la même époque les aventures d’un autre musicien de jazz, Banjo(1). Les Mennillo n’y résidèrent pas très longtemps. Ils étaient déjà partis quand, pendant la dernière guerre, pour éradiquer la Résistance avec la collaboration des édiles locaux, les Allemands le rasèrent le 1er février 1943(2).
Avant de quitter la Lombardie, l’industriel milanais avait assuré ses arrières; il avait pris la précaution d’expédier par chemin de fer à Marseille ses stocks de semoule qui lui permirent de reprendre ses activités. Sans avoir fait fortune, le père et la famille de Roger avaient enregistré une sensible amélioration de leur situation sociale. Le père avait même opéré une reconversion professionnelle en devenant shipchandler (avitailleur) sur le port. Comprenant alors Oscar, René, Roger, Robert et Violette, la famille changea de quartier en s’installant dans un immeuble bourgeois Napoléon III au 4 place Sadi Carnot, dans la première partie de l’avenue de la République. Vivant dans une certaine aisance, elle possédait même un piano sur lequel le père en rentrant chez lui s’adonnait à son plaisir musical, quand sa mère chantait des airs d’opéra et sa jeune sœur, Violette, inscrite au Conservatoire de Marseille s’y exerçait pour devenir une pianiste classique accomplie.
Roger Mennillo dans la classe du conservatoire au début des années 1950 © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
Ce fut dans cet environnement que Roger grandit. La musique y était très présente. La tradition familiale héritée de son passé napolitain, auquel il resta fidèle et très attaché toute sa vie, aurait dû l’inciter à s’orienter vers le chant lyrique et l’opéra. Mais l’enchaînement des événements fut plus complexe; depuis les années 1930, comme chez tous les gamins de sa génération, une nouvelle musique venue d’une Amérique mythique, où vivaient de «pas si lointains» cousins, s’empara de ses oreilles adolescentes. En 1934, un public nombreux avait déjà assisté au concert donné à l’Odéon de Marseille par Louis Armstrong(3) accompagné par l’orchestre d’Herman Chittison. Sur les ondes françaises, la diffusion des disques de jazz remportait un franc succès auprès des adolescents. Django Reinhardt et Stéphane Grappelly (avec un "y" alors) au sein du Quintette du Hot Club de France avaient acquis la célébrité comme toutes les vedettes de cette nouvelle musique et les grands orchestres américains qui vinrent en France dans l’entre-deux-guerres: Louis Armstrong, Coleman Hawkins, Benny Carter, Duke Ellington eurent très tôt ses faveurs.
Concert Louis Armstrong, à l’Odéon, Marseille, 1934 © photo X, Collection privée
Au sortir de la guerre, Voice of America et la radiodiffusion française renaissante lui permirent de découvrir les autres big bands –Count Basie, Artie Shaw et surtout Glenn Miller, l’idole de la Libération– ainsi que Benny Goodman et Lionel Hampton qui ne manquèrent pas de le séduire plus encore. Sur le piano familial, Roger s’essayait à reproduire d’oreille, comme son père avant lui, les airs qu’il entendait à la radio ou sur le phonographe familial. Après des études à l’école d’ingénieur de Saint-Barnabé qu’il fréquenta en dilettante(4), préférant s’adonner aux plaisirs du piano dans un bar voisin, Roger commença sa carrière professionnelle dans l’entreprise de son père. En juillet 1949, Roger se maria. Tout en travaillant pour subvenir aux besoins de sa nouvelle famille, il poursuivit ainsi sa quête musicale. Bien que revendiquant être autodidacte et avoir par lui-même découvert les règles de l’art, il se rendait bien compte que, sans formation, ni musicale ni pianistique, ses progrès étaient très et même trop lents à son goût. Sentant le besoin d’acquérir un certain savoir technique musical, encouragé par ses parents et son épouse, il s’inscrivit en 1952 au Conservatoire de musique de Marseille, alors dirigé par André Audoli(5), en classe de chant(6) où il suivit son cursus de trois ans avec le professeur Lagarde, acquérant au passage une bonne maîtrise du solfège. Alors qu’il venait de connaître la paternité avec la naissance de sa fille Corinne (1954)(7), il obtint son premier prix de chant en 1955. Sur la lancée de son succès, il tenta l’aventure parisienne en 1956 pour acquérir le statut de chanteur lyrique à la Radio nationale. Il y donna plusieurs prestations(8). Cependant la Méditerranée et son soleil, la douceur de la vie familiale surtout lui manquaient. Il revint à Marseille et reprit le collier au sein de l’entreprise familiale enregistrant la naissance de sa seconde fille, Bernadette(9) en 1957.
Un récital de chant du jeune Roger Mennillo, c. 1955 © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
Ses années d’études très académiques au conservatoire lui avaient néanmoins permis d’acquérir un certain bagage musical et de faire de réels progrès au piano. A la fin des années 1950, Roger Mennillo entra dans le paysage jazzistique de Marseille se liant rapidement au courant stylistique dominant de la ville, le bebop. Cette entrée ne fut cependant pas facile. Elle exigeait une sorte d’adoubement et le passage par la case «faire le métier», c’est-à-dire jouer dans des orchestres locaux de danse et d’animation pour les loisirs où se recrutaient les musiciens de jazz. Il s’y plia, car c’était le prix à payer pour accéder à ce qui était son ambition, le piano jazz. De tout temps, sauf pour les personnes disposant de moyens familiaux importants, à Marseille comme à Paris d’ailleurs, le jazz n’a en effet jamais permis à ses musiciens, même les plus brillants et les plus célèbres, d’en vivre exclusivement. Ce qui n'a pas découragé les vocations dans le jazz: ainsi les trois neveux de Roger Mennillo, Claude, Fred et Jean-Marc Mennillo, sont tous trois batteurs de jazz.
Roger Mennillo, pianiste de jazz, c. 1960 © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
Roger, comme les autres, after hours –après son travail dans l’entreprise familiale et plus tard après ses heures d’activité dans le courtage en assurances– «fit le métier». Il joua en solo, en combos, en grande formation pour animer des soirées plusieurs années et y acquit une réelle compétence professionnelle qui le servit dans le domaine musical qui l’intéressait. Ainsi, il eut l’occasion de jouer avec pratiquement tout ce que Marseille compta de musiciens de talents. Ce fut aussi pour lui l’occasion de mettre à profit son expérience de musicien professionnel(10) et d’en tirer une méthode d’accès à la musique beaucoup moins rébarbative, plus accessible, surtout pour les «grands commençants»; selon Christiane Brégoli, cofondatrice du Festival de Jazz de St-Cannat avec Roger, qui en fit l’expérience en tant qu’étudiante pianiste: «cette méthode d’enseignement globale était claire et unique». Avec le temps, Roger gagna en notoriété tant comme pianiste de jazz que comme pédagogue.
Jo Mouillé, Gérard Cardi, Joël Gregoriades, Roger Mennillo Marseille, c. années 1980 © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
De 1945 à 1970, mais sans être une mode populaire, le jazz connut un succès certain à Marseille et s'enracina. A l’initiative d’associations et de personnalités locales diverses, en concurrence voire en rivalité de générations (c'est l'histoire du jazz en France) –Hot Club de France (Paul Mansi), Jazz Club du Sud-Est (Roger Luccioni), et d’autres encore–, les grands noms du jazz, expression de tous les courants de cette musique, de Louis Armstrong (1934) à Charlie Mingus/Eric Dolphy (20 avril 1964) en passant par le Big Band de Dizzy Gillespie (Opéra de Marseille en 1948), Charlie Parker (1949, au Cinéma Chave), Bud Powell, Coleman Hawkins, Modern Jazz Quartet, Oscar Peterson, Jazz Messengers d’Art Blakey, Erroll Garner, Duke Ellington Orchestra, Hal Singer, Sonny Criss, Thelonious Monk (1963, 1970), Ray Charles, Miles Davis, John Lee Hooker, T-Bone Walker, Jo Jones et Milton Buckner, Memphis Slim, Oscar Peterson… eurent l’occasion de se produire dans les différents lieux (Opéra, Gymnase, Alcazar, Salle St-Georges, clubs, cinémas, salles diverses, hôtels…) de la cité phocéenne. Réalité surprenante de ces époques, la plupart de ces manifestations se déroulaient à guichets fermés! Ce ne fut donc pas une surprise si de nombreux enfants de la ville –Marcel Bianchi, Georges Arvanitas, Marcel Zanini, Christian Gaubert, et de nombreux autres puis plus tard, à chaque génération, Jean-Paul Florens (g) et Henri Florens (p), Michel Zenino (b), Claude Vesco (g), Philippe Milanta (p), Olivier Temime (sax), Jean-Pierre Arnaud (dm)…– sont devenus des musiciens de jazz reconnus. Or après cette période de «petite euphorie jazzique» des trente années qui suivirent la fin de la guerre, l’activité jazz diminua sensiblement à Marseille au début des années 1970. Georges Mory (Jazz Musique Ouverte) entretint la flamme en organisant quelques beaux concerts à Marseille et dans sa proximité Aixoise (Dizzy Gillespie…). La création des festivals dans les années 1970, étendant la surface du jazz au-delà des seuls Antibes/Juan-les-Pins (1960) et Salon-de-Provence (1967), souvent dans la proximité de Marseille, organisés par des connaisseurs de jazz comme Albert Maioli à Salon, George Wein à Nice, Guy Labory à Nîmes, Jean-Paul Boutellier à Vienne (Châteauvallon-1972, Nice-1974, Nîmes-1976, Marciac-1978, Grenoble-1979, Vienne-1981…) redonnent une vigueur au jazz de culture par la multiplication des scènes.
Roger Mennillo et Jannick Top en club en 1969 © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
Dans l'émouvant hommage qu’il rend à son ami et maître disparu, Roger Mennillo, le contrebassiste Michel Zenino soulignait son rôle très particulier: «Quelle chance d’avoir rencontré Roger, qui était, je m’en suis rendu compte avec le recul, un OVNI dans le paysage musical marseillais. A cette époque, à la fin des années 1970, il n’y a pas de scène jazz, pas un seul musicien professionnel ne pouvait gagner sa vie en jouant cette musique dans la région. Marseille est un désert culturel sur le plan musical.» (cf. L'hommage repris dans son entier après cet article).
L’impossibilité de vivre du jazz à Marseille après 1970 que le contrebassiste constate était aussi la réalité du jazz en France et à Marseille de 1945 à 1970. Les grands anciens (Georges Arvanitas, Christian Gaubert, Marcel Zanini…) ont déjà été obligés de quitter la ville et sont allés à Paris, pôle international obligé du jazz et des arts à ce moment, et ils vivaient de la musique, mais pas que de jazz! Pour se limiter aux pianistes, mais c'est vrai pour beaucoup de musiciens de jazz –en France comme aux Etats-Unis– on connaît entre autres le parcours de Bob Castella, René Urtreger et Georges Arvanitas qui racontait qu’il faisait deux ou trois séances d’enregistrement de variété par jour («et je gagnais bien ma vie avec», disait-il, «pour pouvoir jouer du jazz en club le soir "avec une paie de misère!”». Ce que ne fit pas Roger qui reconnaissait: «Pour préparer un avenir, il faut aller à Paris, et je n’ai jamais voulu y aller. Une fois Georges Arvanitas (1931-2005) m’a dit: "Qu’est-ce que tu fiches encore ici?" Je lui ai répondu que j’étais chez moi!»(11).Roger Mennillo, Christophe Levan, Christian Escoudé et Jean-Marc Mennillo, Festival de St-Maximin, 1978 © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
Roger intervint dans la vie du jazz à Marseille en tant qu’«ancien», par l'âge et par son expérience, et en tant que «moderne», son expression le portant vers le jazz coltranien et post coltranien, dans une phase transitoire vers la fin des années 1970, quand Roger Luccioni et son cercle se mirent en retrait; surtout après 1980 quand une nouvelle génération marseillaise, musiciens et amateurs, fréquentant les festivals de la région, celle du Cri du Port, reprit le flambeau parce que le jazz de culture (scènes, concerts) y périclitait, concurrencé depuis le début des années 1960 auprès de la jeune génération par les musiques commerciales, le rock, la pop music, le début des «musiques ethniques» et de la musique improvisée; ces influences se mêlant dans l'appellation «jazz», devenant selon les sensibilités parfois jazz-rock, jazz-fusion, musique improvisée ou musiques actuelles selon les appellations et les époques voire world music. L'action du Cri du Port fut l'occasion d'un recentrage sur le jazz de culture dans les années 1980 (Lionel Hampton, Dizzy Gillespie, Art Blakey et les Jazz Messengers, Mingus Dynasty, Stan Getz & Chet Baker, Bobby Hutcherson, Harold Land, Cedar Walton, Archie Shepp, Chico Freeman, Cecil McBee, Freddie Waits, Don Cherry, Lester Bowie, Bobby Few, Martial Solal, Robin Kenyatta…), surtout le jazz de culture de la génération bebop, post bop et post coltranienne. La Grande Parade de Nice faisait déjà depuis quelques années le travail de mise en lumière de l'ensemble des générations du jazz, et, avec d'autres festivals, permettaient au blues, en tant que style, de reprendre pied dans le grand courant de la musique afro-américaine, car toutes les générations du jazz étaient encore bien vivantes et créatives contrairement au discours institutionnel de l'époque Jack Lang, de quelques musiciens en cour (sous l'influence des subventions) et aux pratiques commerciales de l’industrie musicale de masse et de mode. Sans en avoir une conscience claire à de rares exceptions près (Jazz Hot à partir de 1990), des amateurs de jazz de culture, parfois musiciens, reconvertis en organisateurs pour partager leur passion, redonnaient une cohérence globale à cette histoire de civilisation en opposition au discours de mode et/ou élitistes des dominants du moment, et avant la bascule vers la politique d'animation des années 2000 à 2020 excluant progressivement le jazz de «ses» festivals.
Roger Mennillo, Jazz à Beaupré, 8 juillet 2017 © Ellen Bertet
Ce fut d’ailleurs Michel Antonelli, animateur pendant plus de 30 ans du Cri du Port, une association et une scène toujours en activité en 2021 même si sa philosophie a changé, qui, enregistrant au Studio Cactus à Marseille les 29, 30 juin et 1er juillet 1991, produisit le premier album de Roger Mennillo à 65 ans, en solo, Expression (Toufou 1302 Série Jazz Marseille Volume 2). En fait, Roger assura à Marseille une transition stylistique, du bebop au monde post coltranien, sans rupture, d’où son impact auprès des musiciens et sur certains jeunes amateurs marseillais venus au jazz dans les années 1970-1990 avec les albums Atlantic et Impulse! de John Coltrane des années 1960. Son intérêt et son implication furent essentiels pour cette découverte par ces jeunes gens du style de McCoy Tyner en particulier dont Roger Mennillo est l'un des bons prolongements en France, bien qu'il soit l'aîné du regretté pianiste de Philadelphie disparu en 2020. On comprend d'autant mieux son émotion dans le témoignage de Roger, à l'occasion du décès de McCoy Tyner.
Le rôle de Roger Mennillo après 1980 fut déterminant et spécialement auprès des jeunes musiciens. Son enseignement, qui ne cessait de rayonner dans la région (Avignon, Marseille, Aix-en-Provence, Saint-Cannat plus tard), parce qu’en relation avec les évolutions du public, devint évident car il rattachait les branches nouvelles à la tradition du jazz. Ce qui l’amena à coopérer à l’action éducative au sein du Conservatoire de Marseille, d’Avignon pour participer aux différents jurys de la région, accompagnant aussi le développement de l'enseignement du jazz de la région, comme ce fut le cas à Marseille et à Salon avec l'IMFP.
Personnage réservé, Roger Mennillo apparaissait ainsi au grand jour. Comme Georges Arvanitas –autre pianiste marseillais réputé qui avait dans son portefeuille une feuille de papier 21x29 remplie recto/verso des noms de jazzmen (en minuscules caractères) avec lesquels il avait travaillé– Roger travailla avec beaucoup de musiciens au cours de sa carrière: les locaux, Paul Pioli, André Jaume, Hervé Meschinet, Michel Zenino, Jean-Pierre Arnaud, Louis et Philippe Petrucciani, les Frères Christophe et Philippe Levan, Bernard Camoin, Fred Mennillo, Bernard Abeille, Vincent Seno, Roger Rostan, Joseph Crimi, Gérard Murphy et tous les autres, français ou étrangers de passage: Benny Waters, Michel Gaudry, Wallace Davenport, Guy Lafitte, Jean Loup Longnon, Maxime Saury, Bibi Rovere, Ray Drummond, Keith Copeland, Francesco Castellani, Barry Altschul, Ben Aronov, Larry Schneider, Daniel Humair, Christian Escoudé, Greg Hutchinson, Daniel Huck, Ulrich Wolters, Eddie Marshall… Il se mit alors à beaucoup travailler au développement de plus en plus régionalisé de la culture, notamment celle du jazz. C’est ainsi qu’il organisa autour de lui une structure permanente en 1989, Art-Expression, un aboutissement dont le groupe Expression, dont l'existence datait déjà du milieu des années 1980, fut sans doute à l'origine. Et il se produisit dans les nouveaux clubs et lieux qui s’ouvrirent à la fin des années 1970 en région provençale.
Le trio de Roger Mennillo avec Joseph Crimi (b) et Roger Rostan (dm, caché), février 1992, Pelle Mêle, Marseille © photo X, Collection Roger Mennillo by courtesy
Il fut alors programmé au Pelle-Mêle, au Saint-James, à l’Espace Julien et même au Dôme-Zénith à Marseille. A Aix-en-Provence, il ouvre le Hot Brass et se produit à l’Opéra. Il travaille également au Jazz Club de Valence et parfois même fait quelques escapades à l’étranger comme à Vinnenden, dans le Bade-Wurtemberg à quelques kilomètres de Stuttgart. Mais Roger reste un homme du sud de la France; et les Festivals furent ceux qui lui étaient proches: Saint-Maximin, Château-Arnoux, Radio-France à Montpellier, La Seyne-sur-Mer, Avignon, Les Cinq Continents à Marseille et surtout, depuis 1998, celui qu’il organise lui-même à Saint-Cannat qui eut plusieurs appellations (cf. affiches ci-dessous) en fonction de sa localisation dans la commune, pour prendre récemment le nom de Festival Roger Mennillo. Comme à quelques kilomètres de là, à Salon-de-Provence, Albert Maioli, dont le parcours paraît étrangement proche et qui appartient à la même génération, et au-delà de sa carrière proprement dite de musicien, voulut faire partager sa passion du jazz à un public élargi en créant le Festival de Jazz de Salon-de-Provence à la fin des années soixante, Roger Mennillo ressentit le même besoin de construire et de laisser une entité qui lui survécût, devenu le Festival de Jazz Roger Mennillo, à Saint-Cannat. Mais dans cette entreprise d’une autre ampleur, il ne fut pas seul et les circonstances, pas seulement fortuites, jouèrent alors un rôle tout aussi important que sa volonté.Chris Brégoli et Roger Mennillo © photo X, Collection Chris Brégoli by courtesy En effet, la nouvelle orientation de Roger Mennillo intervint à la suite de sa rencontre avec l’une de ses élèves en 1997, Christiane Brégoli. Celle, que ceux qui fréquentèrent ce festival de jazz du mois de juillet dont elle est la cheville ouvrière, connaissent sous le nom de «Chris», raconte les circonstances dans lesquelles elle connut le pianiste: «Je souhaitais prendre des cours car je jouais d’oreille main droite et main gauche, sans jamais savoir où, pourquoi et comment je mettais les doigts. J’en étais arrivée à détester m’entendre, et je voulais améliorer mon cas! J’ai donc eu des rendez-vous avec trois profs différents. A chaque fois, je n’ai assisté qu’à un seul cours. Ils jouaient de façon très plaisante, mais me proposaient de lire une partition en me donnant quelques conseils sur des détails isolés… Une amie, à qui je racontais mes misères, me dit alors que son frère, pianiste classique, avait pris des cours de jazz à Marseille avec un "mec super", et qu’il s’était régalé… Le lendemain, j’étais chez lui; c’était Roger… Je ne savais pas comment exprimer mes attentes musicales; mais dès qu'il a parlé, j’ai su que j’avais frappé à la bonne porte. C’était une méthode d’enseignement solide, globale, claire, unique en son genre: c’était parfait!(12)» Ce fut ainsi que Roger se rapprocha de Saint-Cannat où Chris et lui organisèrent une association, Art et Expression, créée en 1989.
Kenny Barron, le parrain, Jean Pelle, l'ami et présentateur, et Roger Mennillo, Jazz à Beaupré, juillet 2009 © Felix W. Sportis
Avec l’aide de la commune et de son maire, Jacky Gérard, qui y vit tout le parti que la collectivité pouvait tirer de l’enthousiasme de ce duo dans son animation culturelle, les deux compères purent donner libre cours à leur imagination et leur passion pour le jazz; et ils en avaient beaucoup pour des activités peu dispendieuses en définitive car le jazz de culture est l'animation culturelle la moins budgétivore: cours de musique de jazz tout au long de la semaine, sur plusieurs instruments avec quelques musiciens régionaux de talent –Jo Mouillé (sax), Francesco Castellani (tb), Christophe Castan (g), Roger Mennillo (p), pour en citer quelques uns–, mais également avec une soirée musicale mensuelle en fin de semaine dans un restaurant de la commune; ce que peu de municipalités de cette taille dans la région étaient en situation de pouvoir proposer à ses habitants. Quant au Festival, orienté vers le piano en raison de la sensibilité instrumentale de ses deux créateurs, il couronnait un projet global et parvenait à parfaire un ensemble aussi cohérent que brillant.
Ce qui, depuis 2019, est devenu le Festival de Jazz Roger Mennillo(13), commença en 1998 dans les Carrières de Rognes, endroit majestueux certes mais aux dimensions peu adaptées et moins encore maîtrisables pour une telle manifestation en Provence au climat, même en été, plus froid qu’on peut le penser. L’endroit n’en accueillit pas moins plusieurs éditions avant de se déplacer pendant plus de dix saisons au Château de Beaupré grâce à l’hospitalité des propriétaire du lieu, la famille Double: Hank Jones, Kenny Barron, Monty Alexander, Kirk Lightsey, Eric Reed, Jacky Terrasson, Dena DeRose, Dianne Reeves, Gonzalo Rubalcaba, Mulgrew Miller, Ron Carter, Chucho Valdés, Willie Jones III, etc., y furent accueillis, d’abord dans la cour de l’édifice avant de migrer dans le majestueux parc couronné de platanes à l’extérieur, quand le succès fit qu’il fut indispensable d’augmenter la capacité d’accueil. Car cette manifestation estivale, jamais très étendue en durée, devint, par sa programmation only jazz, aussi brillante qu’équilibrée, une référence dans l’itinéraire festivalier du sud de la France. Le week-end de Jazz à Beaupré, dans le déclin programmatique des années 2000 à 2020 des grands festivals de la région, était attendu par les amateurs de jazz. Roger, son directeur artistique, et Chris, en «petite main» et organisatrice dirigeant avec maestria et efficacité, firent merveille. L’organisation y est précise mais jamais policière. Grâce à la qualité de l’accueil, les spectateurs furent traités en invités à partager un moment de culture dans des lieux de culture; même les soirées de Mistral, le fléau pour la musique de l'été en Provence, la prévenance –distribution de couvertures– était de mise.
N’eût été la contraction des pourtant bien modestes crédits en 2019 qui toucha essentiellement le domaine culturel –surtout lorsqu’on observe l’actuelle valse des crédits accordés sans garantie à big pharma au titre de la covid 19–, la manifestation s’y serait maintenue. Elle dut migrer vers d’autres cieux, Le Mas de Fauchon, belle auberge de la commune implantée dans un cadre provençal de carte postale, un endroit intime aux dimensions plus modestes; en témoigne le superbe concert en piano solo qu’y donna Kenny Barron, un génie fidèle du festival, pour la 23e édition, en l’absence regrettée de son ami Roger, déjà souffrant le 11 juillet 2019. Saint-Cannat, où il vécut le dernier quart de siècle de sa vie, permit par conséquent au pianiste marseillais d’atteindre un double objectif: prolonger son plaisir musical avec un nouveau trio de dimension internationale constitué de Ray Drummond (b) –ils se sont rencontrés à l’occasion du Festival– et de Keith Copeland (dm), et de mener à bien sa volonté de partage de sa passion pour le jazz et ses musiciens dans un festival qui maintenant porte son nom, une évidence.
Ron Carter Trio: Mulgrew Miller (p), Ron Carter (b) et Russell Malone (g), Jazz à Beaupré, 16 juillet 2010 © Félix W. Sportis Marseillais de naissance, Roger Menillo, parce qu’ouvert au monde, s’évada des rives du Vieux-Port et de sa Provence natale sans jamais, contrairement à Marius, les quitter. Son histoire fut un long périple intérieur du golfe de Naples à celui de Marseille et après plusieurs escales imaginaires sur les docks de New York, Philadelphie, Chicago, son voyage le ramena sans cesse aux bords du Lacydon, son port d’attache, source de sa création. Comme toutes les belles histoires, cet Ulysse du clavier eut la persévérance de Pénélope pour tisser son ouvrage. Sa biographie «apparaît bien comme le point focal commun de l’histoire collective et individuelle.»(14); reflet fidèle de temps de mutations, elle s’inscrit dans l’histoire, celle d’une époque perturbée par les turbulences du XXe siècle venues troubler l’espace de la Méditerranée dont il fut l’un des remarquables enfants. «Les hommes font leur propre histoire, dit-on, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé.»(15) Au plan du jazz, il en fut l’admirable illustration.
Willie Jones III (dm), Darryl Hall (b), Dena DeRose (p), Roger Mennillo et Jean Pelle, Jazz à Beaupré, 12 juillet 2014 © Félix W. Sportis
Homme réservé, ayant un sens élevé des responsabilités, Roger Mennillo avait la générosité et l’humilité des artistes de talent, la fidélité des hommes conscients de leur héritage.
Samedi 29 janvier 2021 à 10h, une foule d’amis étaient venue l’accompagner en sa dernière demeure, le caveau familial où reposent ses parents, au cimetière du Puy-Sainte-Réparade. Trois, parmi ses fidèles élèves devenus ses collègues, étaient présents pour l’accompagner: Ugo Lemarchand (ts), Philippe Gallet (b) et son neveu Fred Mennillo (dm) lui ont fait une émouvante dernière jam: «On the Sunny Side of the Street», «The Man I Love», «Blues», «Misty», «All of Me» et «Body and Soul» ont rythmé ces funérailles qui se prolongèrent jusqu’à midi et demi. Les présents avaient les yeux «beaucoup rouges», comme on dit en Provence, en écoutant l'adieu de sa fille Bernadette et les textes lus comme celui de Michel Zenino.
L’équipe de Jazz Hot partage la tristesse de Violette, Corinne, Bernadette, Chris, Jean-Marc, Claude, Fred et les autres…
Félix W. Sportis avec la complicité de l'équipe de Jazz Hot Nous remercions Bernadette Mennillo-Leportois et Christiane Brégoli (documentation et témoignages) Photos Ellen Bertet et Félix Sportis
1. Claude McKay, Banjo, Collection La Rive Noire, André Dimanche, Marseille 1999, 338 p. 2. Après une rafle de trois jours (22, 23 et 24 janvier), au cours de laquelle l’armée allemande aidée par la police marseillaise de l’intendant de police Maurice de Rodellec de Porzic, du préfet du département Roger Lemoine, en tout plus de 10.000 policiers français, sous les ordres de René Bousquet, 6000 personnes, dont 782 Juifs déportés par la Gare d’Arenc le 24 janvier 1943 vers l’Allemagne, furent arrêtées. Après une évacuation de 20.000 habitants du quartier, le 1er février 1943, les troupes du génie de l’armée allemande sous le commandement du général SS Carl Oberg procèdent à la destruction par explosifs de 1200 immeubles représentant 14 hectares de la ville. 3. Paul Mansi soutenait qu’à cette occasion, Louie serait resté à Marseille et aurait séjourné trois semaines dans la ville où il avait fait une conquête. (Charles Hugh, «Paul Mansi ou les péripéties d’une carrière dans le show Bizness! Premier épisode», One More Time, Revue de l’Association Genevoise des Musiciens de Jazz, n° 262 décembre 2003/janvier 2004, p 11). 4. "Je taillais l’école pour aller jouer dans le bar du coin où il y avait un piano”, «Roger Mennillo le 4 janvier 2013», Jazz en Provence. 5. Ce pianiste né à Marseille en 1899 et mort à Alleins (Bouches-du-Rhône) en 1961, qui dirigea l’établissement de 1940 à 1961, avait en 1948 préfacé un petit opuscule du compositeur Lucien Excoffier au titre signifiant pour les chanteurs, Le Manuel des intonations, Editions Dulbecco, Toulon. André Audoli sera remplacé par Pierre Barbizet à la tête du Conservatoire de Marseille en 1963. 6. La classe de chant, qui recrutait parmi les adultes (personnes ayant connu la mue de leur voix) ne nécessitait pas de concours d’entrée dans l’établissement. Il suffisait alors d’avoir une belle voix; et Roger en possédait une (sa fille Bernadette raconte qu’il chantait sous la douche au ravissement de tous). 7. Maintenant installée en Allemagne. 8. Semble-t-il enregistrées mais à ce jour non répertoriées à l’INA. 9. Fit des études de piano classique au Conservatoire de musique de Marseille où elle obtint un premier prix avant de poursuivre sa carrière en devenant professeur de musique dans l’Education nationale. 10. Jusqu’à sa retraite, période à laquelle il put donner la pleine mesure à sa passion du jazz, Roger continua à travailler: au sein des activités familiales, notamment dans une conserverie installée au Puy-Sainte-Réparade, commune dans laquelle se trouve le caveau familial où il est inhumé, puis en tant que courtier en assurances. Il fallait en effet subvenir aux besoins d’une famille de deux enfants, ses deux filles Corinne et Bernadette, qui firent des études. 11. «Roger Mennillo le 4 janvier 2013», Jazz en Provence. 12. Courriel de Chris Brigoli à FWS du 31 janvier 2021. 13. Ce fut à l’occasion du concert, donné par Kenny Barron en piano solo le 11 juillet 2019 au Mas de Fauchon à Saint-Cannat, que la manifestation, à laquelle Roger malade ne put pas assister, que le maire de la commune, Jacky Gérard, annonça que le festival, à l’avenir, porterait le nom de son fondateur, absent cette année pour raison de santé. 14. Lucien Sève. |
Comptes rendus du Festival de jazz de Saint Cannat dans Jazz Hot:
Sélection Discographique
1991. Roger Mennillo, Expression, Jazz Marseille Volume 2, Toufou 1302 2004. Roger Mennillo, "Bigoudis", RDC Records 40083 (avec Ray Drummond, Keith Copeland) 2015. Roger Mennillo/Ugo Lemarchand, Thinking of Ben, Autoproduit
VIDEOS
2020. Roger Mennillo, «It Could Happen to You», février
2019. Roger Mennillo, interview, musique, «avoir une passion saine, artistique, littéraire...», club La cave aux artistes du Hublot, Aix-en-Provence, 17 janvier
2017. Roger Menillo, Laure Donnat (voc), Ugo Lemarchand (ts), Jazz à Beaupré, 8 juillet, © Art-Expression/NovaSud/MProvence
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C’est avec une très grande tristesse que j’apprends le décès du pianiste Roger Mennillo. Beaucoup d’images et de souvenir me reviennent en mémoire. Je dois tant à Roger! La première fois que je l’ai croisé, il était assis au fond de la salle D6 du Conservatoire de Marseille où, à l’autre extrémité, je passais ma première audition de fin d’année. J’avais 19 ans et étais pour la première fois à la contrebasse que j’avais commencée 6 mois auparavant. A la fin de mon audition, cet homme que je ne connaissais pas, assis à gauche de Guy Longnon, m’interpelle de sa silhouette imposante: «Dis-donc, tu es le fils de Charles? Purée…!!! Dis à ton père qu’il m’appelle, il faut qu’on parle.»
J’appris le soir même que Roger faisait danser avec mon père, guitariste, dans les restaurants des Goudes. Peu de temps après il m’appelait pour mon premier gig de jazz avec Jean-Marc Mennillo, son neveu, et Jean-Paul Florens (mon ex-prof de guitare jazz). J’essuyais les plâtres (ou plutôt le purin car c’était une ancienne porcherie ) dans le tout nouveau « Hot Brass » près d’Aix-en-Provence.
Quelle chance d’avoir rencontré Roger, qui était, je m’en suis rendu compte avec le recul, un OVNI dans le paysage musical marseillais. A cette époque, à la fin des années 1970, il n’y a pas de scène jazz, pas un seul musicien professionnel ne pouvait gagner sa vie en jouant cette musique dans la région. Marseille est un désert culturel sur le plan musical. Double punition pour les musiciens dans un contexte où le jazz connaît un peu partout une traversée du désert. L’ouverture à cette époque du Pelle-Mêle, seul club marseillais, et du Hot-Brass son alter ego aixois, sont les signes avant coureur d’un regain qui prendra vraiment son envol au milieu des années 80.
Roger fait le métier, après avoir travaillé dans les assurances au début; il anime les nuits musicales marseillaises dans les cabarets comme l’Abbaye de la Commanderie dans le quartier de l’Opéra. Il est aussi un professeur de piano réputé. Il a un grand nombre d’élèves qui sont un véritable fan club. Il les réunit régulièrement pour des concerts privés. Là, il peut donner libre court à sa passion pour McCoy Tyner, le jazz moderne et la composition. Oui Roger joue ses propres compositions. Pour le milieu musical marseillais de l’époque, face à quelqu’un qui tente d’affirmer sa personnalité musicale, les réactions sont plutôt du genre: «Oh MA-lheureux! mais pour qui Y se prend lui-là!» Il n’y a pas d’artiste-musicien dans ce domaine à Marseille, personne n’enregistre d’album à cette époque. Seuls, les amateurs éclairés se consacrent au jazz avec déférence et humilité. On se contente d’essayer de reproduire. Créer, composer, c’est faire preuve de prétention. Mais Roger ne se pose pas ce genre de questions. Il est à fond. Il entraîne tout le monde dans sa passion. Il fédère. Certains de ses élèves créent par exemple les concerts au CNRS qui seront un des trop rares lieux à programmer du jazz régulièrement.
Le trio Expression se produit régulièrement au Pelle-Mêle et partout où il peut avec Jean-Pierre Arnaud ou Jean Marc-Mennillo à la batterie. Parfois en quartet avec Jo Mouillé, André Jaume, Hervé Meschinet… Chaque fois Roger amène de nouveaux morceaux relevés de McCoy Tyner du dernier album paru, de Keith Jarrett, etc., ou des arrangements «à la McCoy Tyner» comme «Colchique dans les prés», «Old Man River» ou encore de nouvelles compositions. Je découvrais la plupart des morceaux en les jouant car, à cette époque qui semble aujourd’hui l’Antiquité, il n’y avait ni YouTube ni Spotify encore moins de smartphone. On n’avait qu’un nombre limité de vinyles… (à part quelques collectionneurs) et on allait sonner chez un copain pour lui rendre visite afin d’écouter tel ou tel album qu’il était le seul parmi nos connaissances à avoir. Que de morceaux, d’albums, d’artistes j’ai découverts grâce à toi Roger!
Ce qui est drôle c’est que Roger, pour moi, était un vieux –à 19 ans tout ceux qui ont plus de 30 ans sont des antiquités– enfin quoi… c’était un quadra’ qui portait complet veston, là où, années 70 obligent, j’étais plutôt baba-cool à cheveux longs. Il jouait de la musique de danse avec mon père, et le mot «variétés» était une insulte pour ma génération. Et pourtant, Roger partageait avec nous l’amour de la même musique, surtout l’urgence de la jouer. Il était encore plus à fond que nous les «djeuns».
Roger était quelqu’un de généreux. Quelques années plus tard, nous devions jouer un concert dans un restaurant de la Roque D’Anthéron. Nous en sommes au café dans l’arrière salle, le patron nous dit un truc du genre: «Dans 5-10 mn, on a fini de servir le dessert, vous pouvez entrer en scène.» Le téléphone (du resto, le portable n’a pas été inventé) sonne, c’est Jane qui me dit: «Je pars à la clinique, je vais accoucher.» Ni une ni deux, je plie la basse et file en quatrième vitesse à Marseille pour arriver à temps pour voir mon fils Thomas naître. Par la même occasion, je plante Roger et Jean-Pierre Arnaud les laissant jouer en duo. Quelques jours après, à ma grande surprise, Roger vint me donner mon cachet. Quand je le refusais, car je ne pensais pas que le patron le lui ait donné, il me répondit: «Tu achèteras quelque chose pour le petit.»
Puis, après plus de dix ans de collaboration, nous nous sommes perdus de vue lorsque je suis monté à Paris. J’ai eu le plaisir de le recroiser une paire de fois. Il m’avait invité dans les années 2000 lors d’une édition de Jazz dans la ville. C’était très touchant de l’entendre pour la première fois depuis toutes ses années se raconter. Nous étions à table, Place aux Huiles, avant le concert, et il nous raconta à Fred, Claude –ses neveux, tous batteurs– et moi, le départ dans la nuit de ses parents fuyant l’Italie des chemises noires. L’oncle décidant de partir aux USA et ses parents de s’établir à Marseille. Roger était très réservé…
La dernière fois que j’ai joué avec Roger, c’était il y a une dizaine d’année –time flies!– à Saint-Cannat. Là où il avait créé le Festival Jazz à Beaupré et continué à enseigner au sein de son association Art-Expression. Ce fut un beau concert aux côtés de Tommy Halferty et du regretté Keith Copeland. Les années passaient mais Roger jouait toujours avec la même énergie et passion.
Mon cher Roger, bravo pour tout ce que tu as accompli, merci pour tout ce que tu m’as donné, pour ton exemple. Je suis ravi d’avoir fait ce bout de chemin avec toi. Adieu l’artiste. Tu resteras dans mon coeur. Mes sincères condoléances à Christiane, Jean-Marc, Claude, Fred, toute sa famille… CODA À la demande d'Henri Florens (p), que je viens d'avoir au téléphone, en panne de messagerie, je vous relate l’anecdote suivante: «Michel, la première fois que je t'ai entendu, c'était au Pelle-Mêle. Je demande à Jean Pelle: "Mais qui c'est ce bassiste? je le connais pas."» Et Jean de répondre après m'avoir nommé: «"C'est Roger qui l'a déniché… Ce Mennillo, c'est le Art Blakey marseillais!".»
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