Julian Bahula
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1 oct. 2023
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13 mars 1938, Eersterust, Pretoria (Afrique du Sud) - 1er octobre 2023, Sandton, Johannesburg (Afrique du Sud)
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© Jazz Hot 2023
Le batteur et percussionniste sud-africain Julian Bahula est décédé le 1er octobre à 85 ans. Combattant résolu contre le régime d'apartheid, il fut l'un de ceux qui mêlèrent des percussions traditionnelles à la scène jazz d'Afrique du Sud, créant, avec l'ajout de la guitare et de la flûte, une rencontre entre le jazz et les musiques africaines dont il fut un acteur depuis son exil londonien.
Julian Sebothane Bahula est né et a grandi dans le canton d’Eersterust,
un «township» (bidonville-ghetto) situé à 15 km du centre de Pretoria. En 1958, année où le théoricien
de l’apartheid Hendrik Verwoerd devient premier ministre et où le système ségrégationniste
qui régit le pays se durcit et s’institutionnalise, la famille Bahula, comme tous les autres
propriétaires sud-africains «natifs» de la zone, est expropriée et déplacée de
force dans le township de Mamelodi. Cette situation ne laisse évidemment pas indifférents les militants afro-américains des droits civiques comme Harry Belafonte qui dès 1960 soutient professionnellement et financièrement les artistes sud-africains (An Evening with Belafonte/Makeba, 1965, RCA Victor) se battant pour la fin de l'apartheid et à partir de 1962 pour la libération de Nelson Mandela, figure de l’ANC (African National Congress). C'est dans ce contexte artistique tourné vers la lutte politique que Julian Bahula commence à jouer de la batterie dans
un groupe de jazz, The Crotchets, puis monte un trio, The Malombo Jazz Men, avec
Philip Tabane (g, 1934-2018) et Abbey Cindi (fl, 1937) avant de substituer à la batterie les tambours
traditionnels utilisés dans les rituels Malopo, ce qui crée la
sensation lors du deuxième Castle Lager Jazz Festival de Soweto, township de Johannesburg, en 1964. Les
Malombo Jazz Men sont d’ailleurs mis à l’honneur, avec le batteur Early Mabuza (?-1969), sur le
LP Castle Lager Jazz Festival 1964
(His Master’s Voice). Avec le départ de Philip Tabane, remplacé par Lucky Ranku
(g, 1941-2016), le groupe devient The Malombo Jazz Makers et enregistre trois
albums à succès pour le premier label sud-africain de jazz, Gallo: Malompo
Jazz (1966), Malombo Jazz Makers Vol.
2 (1967) et Down Lucky's Way
(1969).
En 1966, l’Afrique entière est secouée par le coup d’Etat fomenté par la CIA au Ghana contre le mythique Kwame Nkrumah qui avait accueilli jusqu’à son décès en 1963 W.E.B. du Bois, militant anti-ségrégation dès le tout début du XXe siècle. Cette même année, Julian Bahula entame une activité
anti-apartheid clandestine, notamment en transmettant des messages dissimulés dans ses tambours à des responsables de l’ANC dont le manager du trio, le photographe Peter
Magubane, est membre. Julian Bahula se lie aussi avec
les activistes étudiants Steve Biko (qui mourra en détention en 1977 après
avoir été torturé par la police) et Strini Moodley, et participe à leur tournée
clandestine de théâtre et de poésie, «Into the Heart of Negritude» directement en référence aux travaux du Congrès de la Sorbonne de 1956 et du concept né en 1935 sous la plume du poète Aimé Césaire.
Ayant enfreint les
lois en se produisant dans des lieux ségrégués, Julian Bahula est poursuivi pour raisons politiques et se réfugie à Londres en 1973,
rapidement rejoint par Lucky Ranku avec lequel il fonde le groupe Jabula et
enregistre chez Camille Records les disques Jabula
(1974) et Thunder Into Our Hearts (1975)
qui comprennent également le saxophoniste sud-africain Dudu Pukwana
(1938-1990). Le percussionniste crée les labels Jabula puis Tsafrika. Il se marie en 1978 avec Liza Breen Carpenter, rencontrée au Ronnie's Scott, et ils organisent ensemble des soirées de
musique africaine au 100 Club à Soho (à proximité du Ronnie’s Scott et du Pizza
Express) où sont programmés des musiciens comme Fela Kuti (voc, s, 1938-1997), Miriam
Makeba (voc, 1932-2008), Hugh Masekela ou Manu
Dibango. Il poursuit également la lutte anti-apartheid en participant à
des manifestations politiques ou à des collectes de fonds et enregistre plusieurs albums, dont Freedom Yes! Apartheid No! (1979, A-Disc), avec une autre activiste et compatriote résidente britannique, Pinise Saul. A partir de la répression de Soweto (1976-1977), aussi bien à l’international qu’en Afrique du Sud, la pression contre l’apartheid s’intensifie et Nelson Mandela devient un symbole. C’est dans ce cadre que le 17 juillet 1983, Julian Bahula
est un des co-organisateurs à l’Alexandra Palace, au nord de Londres, d’«African
Sounds for Mandela», premier grand concert de soutien au leader de l'ANC, à l’occasion de son 65e anniversaire. Julian
Bahula s’y produit avec sa formation Jazz Afrika, ainsi que Hugh Masekela et le groupe anglo-guinéen Orchestre Jazira. L’enregistrement
live du concert est publié chez Tsafrika. Mais en 1986, la dissolution par le gouvernement de Margaret Thatcher
du Greater London Council qui lui fournissait une aide financière substantielle,
contraint Julian Bahula à arrêter sa programmation et ses groupes.
Après l’abolition de l’apartheid en 1991, il retourne régulièrement en Afrique
du Sud. Il obtient par jugement que ses anciennes maisons de disques lui versent
les droits d'auteur qu’elles avaient indument encaissés. En 1994, il enregistre Wind of Change (JSB) avec Chico Freeman. Quelques temps après, il est victime d’un
grave accident de voiture en Afrique du Sud, suivi d'une longue convalescence. Sa discographie en leader se clôt en 2007 avec Live Again édité sur le label historique Gallo. En 2012, il reçoit la médaille d’or de l’Ordre d’Ikhamanga, la plus
haute distinction artistique sud-africaine. Tombé gravement malade au cours de l'année 2023, il était revenu, quatre jours avant son décès, finir ses jours sur sa terre natale pour y être enterré, selon ses vœux.
Il laisse
dans le deuil sa seconde femme, Pinky Miles (épousée après le décès Liza Breen en 2016), son neveu Kenneth Bahula, trois petits-enfants et dix arrière-petits-enfants.
Jérôme Partage
Image extraite de YouTube Avec nos remerciements
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VIDÉOGRAPHIE
Julian Bahula en 2015 devant l'hôpital de Westbury (Angleterre), où il réside, image extraite de YouTube
Chaînes YouTube de Julian Bahula https://www.youtube.com/channel/UCMYHCsJVL3kgP2HG51K9qRw https://www.youtube.com/channel/UCAS2rifXKAKp9s9Py49h41Q
1964. Julian Bahula, The Malombo Jazz Men: Philip Tabane (g), Abbey Cindi (fl), «Foolish» Fly», album Castle Lager Jazz Festival 1964, His Master's Voice, Orlando Stadium, Soweto, Johannesburg, Afrique du Sud, 26 septembre https://www.youtube.com/watch?v=0wK-FFe9SyU
1969. Julian Bahula, Malombo Jazz Makers: Lucky Ranku (g), Abbey Cindi (fl), album Down Lucky's Way, Continental Records/Gallo https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_lyJSNylk3e3hzel8tgS6TToR-BhhHvtPA
1975. Julian Bahula, Jabula: Jim Dvorak (tp), Nick Evans (tb), Dudu Pukwana (as), Bob Howse (as,cl), Ken Eley (ts,ss), Lucky Ranku (g,perc), Frank Roberts (kb), Mogotsi Ernest Mothle (b), Spartacus R (eb), Graeme Morgan (dm), Jim Chambers , Jimmy Thomas (backvoc), «Thunder Into Our Hearts», album Thunder Into Our Hearts, Caroline Records, Chalk Farm Studios et Decibel Studios, Londres, Royaume-Uni, novembre-décembre https://www.youtube.com/watch?v=nwVgwuQG_iM
1994. Julian Bahula, Chico Freeman (ts), Frank Williams (ts), Mickey Jacques (g), Peter Lemer, Geoff Castle (kb), Louis Jardim (perc), album Wind of Change, JSB https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_m4zEf-6jDMCO4-Uio6GJXm6bXtI5-8LDo
2007. Julian Bahula, Derek Nash (s), Geoff Castle (p,kb), album Live Again, Gallo
2015. Interview de Julian Bahula, Westburry, Angleterre
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