Peter Brötzmann
|
22 juin 2023
|
6 mars 1941, Remscheid (Allemagne) - 22 juin 2023, Wuppertal (Allemagne)
|
© Jazz Hot 2023
Peter Brötzmann, Vision Festival, New York, 2014, image extraite de YouTube
Peter Brötzmann, saxophoniste et clarinettiste allemand au cœur de l’avant-garde européenne, est décédé à l’âge de 82
ans, le 22 juin 2023. Reconnu internationalement, entre autres par Cecil Taylor et Sonny Sharrock dont il a été le partenaire, sa sonorité
puissante a raisonné sur six décennies où se sont mêlés «improvisation libre»,
jazz-rock, musique électronique et folk, entre autres activités artistiques.
Peter Brötzmann est né en 1941 à Remscheid, une grande ville industrielle de construction mécanique et machines
outils de la Ruhr, bombardée par la Royal Air Force en juillet 1943, occupée à partir de 1945 successivement par les Américains puis les
Britanniques, et dont la
reconstruction se prolongera jusqu’aux années 1960 dans le cadre
du Plan Marshall (1948). Elle est donc englobée
en 1949 dans la nouvelle République Fédérale d’Allemagne (RFA). Dans sa jeunesse,
il se met à écouter du jazz sur Voice of America(1), en cachette de
ses parents, et apprend la clarinette en autodidacte par admiration pour Sidney
Bechet. De 17 à 21 ans, il étudie l’art à l’Université de Wuppertal, non loin
de sa ville de naissance, où il intègre le mouvement artistique pluridisciplinaire
Fluxus, fortement influencé par John
Cage qui a côtoyé les Dadaïstes de l’entre-deux guerres à Paris. En parallèle, il se mêle à la scène jazz locale après être passé au
saxophone et avoir découvert Eric Dolphy. Son diplôme en poche, Peter se marie en 1962 avec Krista Bolland et son
fils Caspar naît; il mène d'emblée une double carrière de peintre-graphiste-designer et de musicien.
En 1965, il monte un trio free jazz avec le bassiste Peter Kowald et
le batteur suédois Sven-Åke Johansson en compagnie desquels il grave un premier
album édité sur son propre label, créé en 1967, BRÖ, For
Adolphe Sax (1967), suivi de Machine
Gun (1968, BRÖ) enregistré en octet (avec les ténors Evan Parker et Willem
Breuker) en mai 1968, peu après la première action de la Fraction armée rouge d'Andreas Baader (2 avril), l’assassinat de
Martin Luther King (4 avril) et ce mois de mai où différentes
explosions sociales et politiques ont lieu dans le monde développé, en quête de plus de
libertés et d’un mode de vie moins bourgeois. C'est dans ce contexte que Peter Brötzmann, dans la continuité de son engagement artistique anti-académique, s’inscrit dans
une opposition autant contre le pouvoir américain englué dans la guerre au Vietnam et les assassinats de militants politiques et même de gouvernants de
l’Amérique Latine à l'Afrique que contre la société allemande qui ne s’est
dénazifiée qu’en façade(2): «Notre
génération d’après-guerre voulait une chose: se débarrasser des vieux restes de
trucs nazis. (...) Nous n’avons eu aucune réponse de la part de nos parents. Ils ne
voulaient pas en parler. Nous avons donc dû trouver des réponses à nos
questions ailleurs.»(3) Ce manifeste musical intervient dans un
contexte de rapprochement entre musiciens de l’avant-garde européenne au sein de
formations transnationales aboutissant en 1969, à Berlin-Ouest, à la création du
label indépendant Free Music Production (FMP) par Peter Brötzmann, Peter Kowald,
Alexander von Schlippenbach (p) et le producteur Jost Gebers (1940-2023). FMP
publie ainsi Elements (1971) de Peter
Brötzmann, Fred van Hove et Han Bennink (dm, Pays Bas), un trio
auxquels Don Cherry, Albert Mangelsdorff (tb) et Misha Mengelberg (p) se joignent
régulièrement.
Jouant principalement du saxophone ténor et alto, mais aussi du
soprano, du baryton, des clarinettes et du tárogató, un instrument à anche issu
du folklore hongrois, Peter Brötzmann partage la scène et les studios avec de
nombreux improvisateurs européens et américains comme Cecil Taylor (Olu Iwa, 1986, Soul Note) ou Sonny
Sharrock au sein du groupe Last Exit (1986-94, avec Bill Laswell, b) et
en duo sur l’album live Whatthefuckdoyouwant (1987, Trost, sorti
en 2014). Il se produit aussi avec son fils devenu guitariste, Caspar (Last Home, 1990, Pathological Records),
et fonde en 1993 le Die Like a Dog Quartet avec Toshinori Kondo (tp), William
Parker (b) et Hamid Drake (dm) qui sortira plusieurs albums jusqu’en 1999. Développant
des projets variés comme son Chicago Tentet en 1997, il parcourt les scènes
d’Europe, des Etats-Unis et du Japon. En outre, ses œuvres graphiques illustrent bon nombre de ses pochettes de disques et sont l'objet d’expositions en
Allemagne et dans plusieurs pays dont les Etats-Unis et l’Australie.
Souffrant ces dernières années d’une maladie pulmonaire, il a
néanmoins poursuivi son activité, livrant en 2017 un album solo (I Surrender Dear, Trost) et un live au Jazzfest Berlin de 2022 (Catching Ghosts, ACT) avec le joueur de
guembri, Majid Bekkas, et Hamid Drake.
Il laisse dans le deuil son fils Caspar et sa
fille Wendela. Jazz Hot partage leur peine.
Jérôme Partage et Hélène Sportis Images extraites de Youtube
Avec nos remerciements
1. Voice of
America est le plus grand diffuseur
international américain (radio, télévision, internet) relayé dans le monde
entier par des stations affiliées. Il s’adresse avant tout aux opinions
publiques étrangères. Créé en février 1942 par le gouvernement des Etats-Unis,
VOA a commencé a émettre en Grande-Bretagne puis s’est étendu à l’Afrique du
Nord et à l’Italie, au fur et à mesure de l’avancée des Alliés. A la fin de la
guerre, VOA diffusait en quarante langues. De 1955 à 2003, l’émission Voice
of America Jazz Hour, présentée durant
plus de quarante ans par Willis Conover (1920-1996) a été un outil très
efficace de promotion du jazz (dont la finalité était la propagande
d’Etat), y compris en URSS, atteignant jusqu’à 30 millions
d’auditeurs. Bien que VOA soit interdite sur le sol américain de 1948 à 2012, l’émission y bénéficia également d’une importante audience (loi Smith-Mundt,
section 501(a): «information produced by VOA for audiences outside the
United States shall not be disseminated within the United States», c'est
la période de propagande pendant la guerre froide et la chasse aux
sorcières).
SITES INTERNET: www.peterbroetzmann.com
*
VIDÉOGRAPHIE
Peter Brötzmann (ts) et Peter Kowald (b), Palais de la culture et de la science, Varsovie, Pologne, 17 octobre 1974, image extraite de YouTube
Chaînes YouTube de Peter Brötzmann
1974. Peter Brötzmann, Alexander von Schlippenbach (p), Peter Kowald (b), Paul Lovens (dm), Palais de la culture et de la science, Varsovie, Pologne, 17 octobre
1995. Peter Brötzmann, Toshinori Kondo (tp), William Parker (b), Hamid Drake (dm), Jazzfest Berlin, 5 novembre
2014. Peter Brötzmann, William Parker (b), Hamid Drake (dm), Vision Festival, New York, NY
2019. Peter Brötzmann, Han Bennink (dm), Brötzmann Festival, Café OTO, Londres, 4 septembre https://www.youtube.com/watch?v=1y6R7QBWYJA https://www.youtube.com/watch?v=AuESrbnTPv4 https://www.youtube.com/watch?v=fyDb1OR2si4
2022. Peter Brötzmann, Majid Bekkas (guembri,voc), Hamid Drake (dm,perc), album Catching Ghosts, ACT, live au Jazzfest Berlin, 4 novembre https://www.youtube.com/watch?v=5G4akVyfE7w
*
|
|
|