Jona Dunstheimer
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1 mai 2024
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17 novembre 1957, Hanovre, R.F. Allemagne - 1er mai 2024, Paris
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© Jazz Hot 2024
Jona Dunstheimer à la fête des 80 ans de Jazz Hot, le 29 mars 2015, Fond'Action Boris Vian, Cité Véron, Paris XVIIIe © Ellen Bertet
Jona DUNSTHEIMER
Groove Jona, Groove!
Jona avait téléphoné à Jazz Hot pour
nous inviter à aller l’écouter, et nous nous étions rencontrés la première fois
en février 1992 au Clipper, un restaurant-pub du boulevard de Strasbourg (Xe
arrdt.), non loin du New Morning, puis à l'automne 1992 alors qu’il essayait de
lancer une programmation régulière dans un nouveau lieu, le Franky’s
Bar, avenue de Friedland (VIIIe
arrdt.), créant cette année-là Free Sons, une
structure pour organiser des concerts et
promouvoir des artistes comme Boris Blanchet, Julien Loureau, Benoit Delbecq:
Jona avait sans arrêt des idées et de nouveaux projets en tête! On le
retrouvait avec plaisir pour ses formations du quartet (Trumpet Melodies) au
big band (Chéri B), au gré des finances et gigs de la fine équipe, toujours
en compagnie de sa grand-mère adorée, Kay Dunstheimer, une femme douce à
l’humour corrosif-british, rappelant dans sa mise et sa posture un élégant
tanagra aux yeux pétillants d’espièglerie, flanquée de Yafa, leur vieux chien
placide mais encore grand amateur de caresses, un duo poétique et affectueux de
relations publiques aux concerts de Jona, mais surtout son soutien indéfectible,
même lors des jams turbulentes du Caveau des Oubliettes. C’est à l’occasion de
la sortie avec son groupe de leur premier CD, Be Rich (1994, Free
Sons), –ce qu’il était sans conteste sur le plan humain–, dont il avait
composé les thèmes(1), que Jona s’est
raconté pour la première fois dans Jazz Hot au printemps 1995 (Jazz
Hot n°521, cf. infra), ayant déjà eu un compte rendu dans le n°479
de novembre 1990.
Parler avec Jona, c’était d’abord retourner
vers des temps d’érudition et de la mémoire familiale, quand internet et le wokisme
n’avaient pas encore commencé la réduction de têtes de la cancel culture.
Car le grand-père de Jona n’était autre que le sociologue des religions et
sinologue, Guillaume G.H. Dunstheimer (1898-1984, cf. notice BNF), obligé
de fuir l’Allemagne nazie dès 1933, allant jusqu’à Marseille pour retrouver son épouse, elle-même passée par un autre chemin d’exil depuis le Reich pour
limiter les risques de se faire prendre à deux. Le père de Jona était donc né
en France et Jean-Pascal, futur Jona, bien que né à Hanovre an 1957, viendra au monde
avec la nationalité française dont il était fier. De l’Allemagne, il gardera dans
son élocution française un très léger accent, car deux ans après sa naissance,
ses parents se séparent après avoir tenté la vie parisienne. Sa mère, Eva Fiebelkorn
née en 1932 à Hambourg –cité fondatrice de la Ligue hanséatique au Moyen Age–,
rentre à Hanovre, où elle manifestera autant contre le nucléaire que la Guerre
au Vietnam, développant très tôt un mode de vie alternatif dans la campagne de cette
autre grande ville hanséatique, entre restauration d’une belle ferme à Heiligendorf,
musique, architecture (son métier) et où les artistes en herbe ou de cœur
circulent sans invitation. C’est donc dans cet environnement préservé, ouvert, indépendant
et dynamique que Jona démarre très tôt la musique dont le solfège, la théorie,
la flûte traversière et la guitare dont l’initiation se fera par sa mère et sa
grand-mère, le chant et la percussion. Il acquiert aussi à cette époque son
esprit collectif et indépendant. Il vient en France en 1977 pour intégrer le
CIM en arrangement et composition, pratiquant trop assidument la guitare,
instrument qu’il doit abandonner en raison d’une tendinite récalcitrante. Il
passe alors à la trompette classique avec Guy Touvron (1950-2024) et obtient un
premier prix de conservatoire en 1990. En 1995, il écrit une méthode, Les
Gammes extraordinaires, un développement de six gammes utilisées pour la
composition dans le jazz(2).
L’imagination en alerte pour trouver
une solution pragmatique à la portée de tout le monde, doté d’une énergie
optimiste et le sens de l’organisation rivé au corps, Jona avait monté depuis
1984 l’orchestre Chéri Big Band qui devient Chéri B et comprendra jusqu’à
quinze musiciens, un chanteur et une danseuse, jouant les standards notamment
de Wayne Shorter ou d'Horace Silver. Quelques années après, cinq des musiciens
(Claude Wrobel, as; Georges Giraubit, ts; François Tardieux, g; François
Savart, vln;) dont Jona, se mettent à composer, parfois aussi en collectif,
entre jazz, funk, musiques brésilienne et cubaine, la dimension groove et
danse étant centrale pour eux. Pour donner une chance de pérennité à cet ensemble,
ses membres fondateurs ont un métier alimentaire en parallèle. Grâce à Eric
Donnart (b), un musicien qui improvise un studio d’enregistrement chez lui,
Chéri B sort une cassette de dix titres, Quand la lune se lève (1990).
Patchwork Jona Dunstheimer & Chéri B réalisé par Nana Cola © Collection Nana Cola by courtesy
Après avoir eu le choc du décès très
soudain de sa mère en février 1994, Jona s’accroche à son côté pragmatique pour
faire vivre l’activité musicale de Chéri B, et sort le disque Be Rich en
décembre. Déjà Production est crée le 5 juillet 1995, comme entreprise
de régie technique son et lumière pour les spectacles vivants, implantée dans
les Hauts-de-Seine (Boulogne-Billancourt puis Chatillon) alors qu’il habite
toujours avec sa grand-mère dans leur havre de liberté et de sérénité familiale
rue Mouton-Duvernet, son rocher dans le doux et suranné XIVe arrondissement de
Paris.
En 1996, un CD 2
titres sort, L’Enfance du Lard de Chéri B (Free Sons), et Jona se
démultiplie tous azimuts, trouvant son rythme de croisière entre festivals,
concerts, enseignement de la trompette-jazz-funk et gestion de sa jeune
entreprise.
Le 26 septembre 1999, Kay décède et
la peine est palpable dans l’église Saint-Pierre-de-Montrouge au Carrefour
Alésia (XIVe arrdt.), où nous nous trouvons, un peu curieusement, car Kay
était non croyante mais elle a souhaité que ce soit son ami le prêtre de cette
église qui réconforte ceux qui l’aimaient: elle avait tant discuté avec lui…
Cette année-là, Jona rencontre Nana,
sa compagne qui a deux enfants, Nathan et Agathe(3) sur laquelle il va veiller avec une infinie tendresse quand elle se lance à partir de 2009 dans une carrière de chanteuse de jazz et de musique brésilienne.
Au fil du temps, le
professionnalisme reconnu de Jona lui permet de travailler aussi bien pour le
théâtre, la danse qu'en évènementiel important jusqu’à des prestations de 2000
personnes. Jona développe aussi en parallèle sous cette raison sociale une
activité de production et d’édition, gagnant également une clientèle hors jazz
tels le Crillon, Aéroports de Paris, la Salle Gaveau, Hermès, le Parc des
Expositions de Paris, une jolie réussite pour ce forcené du travail à l’esprit
vif et profond, à la joie de vivre égale à sa générosité attentive.
Début janvier 2015, la période ne s’était pas encore
assombrie des attentats dont celui de Charlie Hebdo (7 janvier) lors duquel
Cabu, un Ancien de la Rédaction de Jazz Hot, avait été assassiné parmi ses
collègues; et sortant de la trêve des confiseurs, Jona nous avait envoyé un mot pour les 80 ans de la revue. Car Jona venait toujours volontiers aux
fêtes de Jazz Hot, avec sa trompette, des parenthèses pour nous
voir dans le tumulte de la vie, mais pour cet anniversaire à la
Fond’Action Boris Vian (cf. infra), deux mois après les attentats et en
dépit de l’atmosphère pesante et de l’état d’urgence compliquant tout, Jona,
malgré une activité professionnelle intense, avait tenu à s’occuper lui-même de
l’organisation technique pour la quinzaine de jours d'exposition, les trois
tables rondes et les deux gros concerts-jams y participant lui-même car il
avait aussi apporté sa trompette! Cette fois-ci, nous célébrions plus que
jamais le jazz live contre les assassinats de ceux qui le détestent (de
la musique dégénérée vue par les nazis en 1937 aux islamistes qui voudraient
bâcher et bâillonner toute liberté d’expression artistique), et nous retrouvions Jona,
encore cette fois, présent, solide et solidaire comme toujours, avec sa
chaleureuse complicité, comme si le temps se suspendait, combatif et en
résistance après ce qui venait de secouer la France et Jazz Hot,
aussi à cause du décès de Cabu, quelques semaines avant, mais aussi en filigrane
de la mémoire biographique de ses grands-parents.
Jona Dunstheimer en duo de guitares avec Sean Gourley à la fête des 81 ans de Jazz Hot chez Fusun et Hervé Levet, le 7 mai 2016 © Jérôme Partage
En 2018, Jona avait déjà eu des problèmes
cardiaques, devant arrêter définitivement la trompette, mais il continuait chaque
jour à composer avec sa guitare.
Alors le décès de Jona, si brusque,
si tôt, même s’il n’a pas souffert, nous a volé le temps de partager, avec celui
qui était devenu un membre de la Rédaction au fil du temps, d’autres moments
authentiques autour du jazz et autres sujets, nous a empêchés de fêter les
90 ans de Jazz Hot en mars 2025: il y aurait joué de la guitare, puisque
la trompette était devenue nuisible à sa santé, ou chanté si la tendinite avait
refait surface, ou papoté, mais c’est triste de penser, Cher Jona, que nous ne te verrons plus.
Jona repose au cimetière du Montparnasse, dans son cher XIVe arrondissement, auprès de ses grands-parents. Amis et proches furent nombreux en cette douce après-midi du 24 mai pour l'accompagner jusqu'à sa dernière résidence, parmi eux le bassiste José Fallot ou Azou, l'ancien patron du Café Universel (Paris Ve). Sa belle-fille Agathe a pris la parole pour rendre hommage à cette belle âme, pleine de générosité et d'humour, avant d'interpréter a capella «Let Me In» de la chanteuse de R'nB Alicia Keys, un titre que Jona lui avait recommandé et qu'elle fit sonner comme un gospel. Le trompettiste Sylvain Gontard, que Jona appréciait beaucoup, vint également jouer quelques mesures de «Amazing Grace».
Nous adressons à Nana, Agathe et
Nathan ainsi qu’à leurs proches nos chaleureuses condoléances.
Hélène, Yves, Jérôme & Jazz Hot Team Photos Ellen Bertet et Jérôme Partage, Collection Nana Cola by courtesy
Avec nos remerciements à Nana Cola pour sa disponibilité
1. CD 1994, Be Rich, Jona Dunstheimer (comp,tp,voc),
Georges Giraudbit (ts), Claude Wrobel (as), Olivier Mialet (tp), Stéphane
Nicault (kb), François Savart (vln), Hervé Duprez, François Tardieux (g),
François Barbe (b), Bruno Leclercq (dm), Véronique David, Olivier Périgueux
(perc)
2. Méthode de trompette: Jona Dunstheimer, Les Gammes extrordinaires, Gérard
Billaudot, Paris, France, 1995
3. Agathe Iracema, Jazz Hot n°654, Hiver 2010
CD 2010. Agathe Jazz
Quartet, Believe in Romance, DEJADISC03
CD 2013. Agathe Iracema,
Brazilian Music Band, DEJADISC04/BMB01
LP 2014. Agathe Jazz
Quartet, I Got Rhythm, DEJADISC05
Site DÉJÀ Production: www.dejaprod.com
JONA DUNSTHEIMER & JAZZ HOT
Jazz Hot n°479, 1990, compte-rendu
concert
Jazz Hot
n°521, 1995, Interview et chronique CD Be Rich, de Chéri B
Jazz Hot n°672, 2015, 80 ans de Jazz
Hot
VIDÉOGRAPHIE
Chaîne YouTube de Jona Dunstheimer
https://www.youtube.com/@dejaprod
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