Alex Poul (Paul en danois) Riel est né le 13 septembre 1940 à Copenhague, cinq mois après le début de l’occupation du Danemark par l’armée allemande. Son père, coiffeur pour dames, parvient dans ce contexte à subvenir aux besoins de la famille même si l’argent manque. A la Libération, celui-ci nourrissant une attirance pour la batterie et le jazz, il bricole une caisse claire à son fils et lui fait écouter ses disques; la présence militaire américaine étant importante au Danemark, le jazz y circule facilement. En 1953, encouragé par ses parents, Alex, alors âgé de 14 ans, commence à prendre des cours particuliers au domicile de Børge Ritz Andersen, membre d’un orchestre symphonique, qui lui apprend à lire les partitions et le fait même participer à des répétitions. Mais c’est le jazz qui intéresse Alex dont les modèles sont Big Sid Catlett et Zutty Singleton. Vers 17 ans, il se rend à une compétition jazz organisée par Tono –label danois créé en 1937– accompagné de son père qui le pousse à s’assoir à la batterie, l’amenant à effectuer ses premiers pas sur scène. Dans la foulée, Alex enregistre pour ce même label un titre avec le sextet The Black and Blue (Søren Schrøder, tp, Jørgen Eiding, cl…) compris dans un LP compilant les groupes dixieland danois. A la demande de son père, il apprend la coiffure pour gagner sa vie mais ses premiers engagements dans les orchestres dixieland de Svend Baaring (s), Arnvid Meyer (tp), Henrik Johansen (dm) et, les étés, dans la station balnéaire de Rågeleje sur la côte nord, un haut-lieu du jazz, lui permettent de devenir musicien professionnel. 

 

Dès l'arrivée à Copenhague en 1961 du ténor Brew Moore (1924-1973), un émule de Lester Young originaire du Mississippi, Alex Riel intègre son quartet comprenant le jeune prodige de la contrebasse Niels-Henning Ørsted Pedersen (1946-2005) et le pianiste américain Harold Goldberg qui est à l’origine du rachat par Herluf Kamp-Larsen du Café Montmartre, créé en 1959 par Anders Dyrup. C’est d’ailleurs le Brew Moore Quartet qui officie pour la réouverture du club dans la nuit du 31 décembre 1961 au 1er janvier 1962. Le club prendra le nom de Jazzhus Montmartre(2) en 1963. Dans Jazz Hot n°607, Niels-Henning Ørsted Pedersen (NHØP) nous avait décrit la situation du jazz à Copenhague à cette époque: «Tout a commencé à la fin des années cinquante. Stan Getz s’est marié avec une Suédoise, et il aimait bien Copenhague. Il y avait un type assez riche qui voulait créer un club sur le modèle de ce qui existait en France et aux Etats-Unis. Il a ouvert le Montmartre. Oscar Pettiford est venu vivre à Copenhague à ce moment-là. Mais Stockholm avait démarré un peu avant, et Copenhague a suivi le mouvement. Je jouais dans un autre club avec les étoiles montantes du jazz danois quand le premier Montmartre a fermé. Il a été racheté par celui qui devait le rendre célèbre, Herluf Kamp-Larsen. Avec le batteur William Schiöpffe et le pianiste Bent Axen nous sommes devenus la section rythmique maison vers 1960.» Parallèlement, Alex Riel apprend beaucoup du batteur de Pittsburgh, PA, Joe Harris (1926-2016), installé à Stockholm depuis 1956, auquel il prête en retour sa batterie et assiste à ses concerts lorsqu’il est de passage au Jazzhus Montmartre. Alex Riel en intègre d’ailleurs ponctuellement la rythmique maison quand William Schiöpffe (ou Schiøpffe, 1926-1981) –un autre de ses modèles– lui demande de la remplacer pour le dernier set.

 

En 1963, Alex Riel intègre officiellement la rythmique du Montmartre, où NHØP tient la contrebasse, à la même période que le Catalan Tete Montoliu (1933-1997) qui restera le pianiste maison jusqu’en août 1964. Cette première époque au Montmartre est documentée par une dizaine d’enregistrements le plus souvent en quartet avec une tête d’affiche américaine, parfois en quintet avec le renfort d’un soufflant danois: Roland Kirk, Sahib Shihab (octobre 1963), Archie Shepp avec le baryton Lars Gullin (novembre 1963), Kenny Dorham avec les trompettistes Rolf Ericson puis Allan Botschinsky (décembre 1963) et surtout Dexter Gordon entre juin et août 1964. Les sessions avec le ténor qui a enregistré deux ans plus tôt les albums Go! et A Swinging Affair pour Blue Note, sont captées par un étudiant de 20 ans, Nils Winter, futur fondateur du label SteepleChase en 1972. Cette matière engrangée au Montmartre alimentera son catalogue, les live avec Dexter paraissant en LP à partir de 1979.





Tete Montoliu est ensuite remplacé par Kenny Drew (1928-1993), passé par un séjour de trois ans à Paris avant d’élire domicile à Copenhague en 1964. Pas moins d’une douzaine d’enregistrements, entre janvier et septembre 1965, témoignent de cette seconde époque du trio: Ben Webster (janvier-février, puis septembre), Stuff Smith avec un autre violoniste, Poul Olsen (mars-avril), de nouveau Dexter Gordon (juin-août) et Art Farmer avec le ténor Bent Jaedig (septembre). 1965 est une année marquante pour Alex Riel. Le 31 janvier, il reçoit des mains de Duke Ellington et de son batteur Sam Woodyard, à la fin du concert de l’orchestre au Falkoner Center de Copenhague, le prix du musicien de jazz danois de l’année que NHØP avait obtenu l’année précédente (cf. vidéographie). Duke, facétieux, en profite pour surprendre Paul Gonsalves auquel il «présente» Alex Riel alors qu’il dort derrière son pupitre. Or Duke ignore que son ténor et le batteur danois se connaissent: ils venaient de jouer ensemble au Montmartre!





Autre étape importante, en août 1965, Alex Riel entraîne ses deux partenaires du Montmartre en studio pour graver un premier disque en leader: Alex Riel Trio (Fona) avec Kenny Drew et NHØP! Parallèlement, il était devenu membre, dès la fin 1964, du Danish Radiojazzgruppen –qui se fera connaître sous le nom de DR Big Band–, formation fondée en 1961 et dirigée à partir de 1962 par Erik Moseholm (b, 1930-2012). Alex Riel y côtoie son complice, l’incontournable NHØP, mais aussi la fine fleur d’un jazz danois en pleine effervescence, sous l'aiguillon de cet apport de racines américaines, avec laquelle il a déjà partagé la scène du Montmartre: Allan Botschinsky, Bent Jaedig, Bent Axen (p), Jesper Thilo, Palle Mikkelborg (tp). Alex enregistre ponctuellement avec le big band jusqu’en 1972. Désormais accompagnateur expérimenté, Alex Riel devient également le batteur attitré de Bill Evans lors de ses tournées en Scandinavie entre novembre 1965 et octobre 1966, en trio avec NHØP puis Eddie Gomez.



Au sortir de cette expérience, Alex Riel commence à diversifier son activité musicale. Entre 1967 et 1972, il participe à la création du groupe de rock Savage Rose (à l’affiche du festival de Newport en 1969) qui connaîtra un succès commercial important. Toujours en 1967, il monte un quintet avec Palle Mikkelborg, comprenant Bernt Rosengren (ts), Teddi Tengstedt (p) et Bo Stief (b), qui est programmé au festival de Prague. En 1970, le Reil-Mikkelborg Quintet remporte le premier prix du festival de Montreux et se produit à Newport. Au début de cette décennie, le tandem Riel-Mikkelborg monte un autre groupe –de fusion– V8, alors qu’Alex retrouve à l’occasion la rythmique du Montmartre (Kenny Drew et Bo Steif) pour accompagner Jackie McLean ou Ben Webster. Il est aussi sideman en studio ou en festival de Barney Kessel, Al Cohn, Zoot Sims, Herb Geller, Wayne Marsh, Lee Konitz, Eddie Lockjaw Davis, Archie Shepp qui l’emmène vers le free, et toujours Dexter Gordon.

 

Au début des années 1980, Alex Riel est partie prenante du groupe fusion Santa Cruz (Daylight, 1983-84, Skylight). Sur toute la décennie et la suivante, il est impliqué dans diverses formations danoises (cf. discographie) et enregistre en compagnie de Doug Raney, Al Grey, ainsi que Chet Baker et Joe Pass au sein du NDR Big Band. En 1989, il tourne en trio avec Niels Lan Doky (p) et Gary Peacock (b). Entre 1993 et 1999, Alex Riel grave six albums en leader dont deux à New York avec Jerry Bergonzi, Michael Brecker et Mike Stern: Unriel! (1997) et Rielatin' (1999) réédités par Stunt Records.

 

En 2000, le batteur part en tournée avec le NDR Big Band et son invité, Abdullah Ibrahim (aka Dollar Brand), tandis qu’en 2003 il met sur pied son propre trio constitué de Heine Hansen (p) et Jesper Lundgaard (b). Ensemble, ils sortiront deux albums: What Happened? (2003-04) et The High and the Mighty (2005) chez Cowbell Music. En dehors de ses projets personnels qui se succèdent à un rythme soutenu, Alex Riel effectue deux collaborations suivies: l’une avec le pianiste suédois Jan Lundgren –en trio avec Jesper Lundgaard sur huit albums entre 2001 et 2007–, lequel l’invite aussi en 2014 à son festival d’Ystad, l’autre avec le saxophoniste Benjamin Koppel (1974) pour sept disques entre 2003 et 2009. En 2006, il forme un duo de batteurs avec son filleul Stefan Pasborg (1974), dont les parents sont des amis proches et qu’il a formé à l’instrument. Leurs performances qui s’étalent jusqu’en 2019 sont rassemblées sur les albums Drumfaces et Universe: Live (Stunt Records). En septembre 2010, il fête ses 70 ans lors d'une soirée spéciale au Jazzhus Montmartre et, comme pour boucler la boucle, son ultime enregistrement en leader y a été capté en 2021, à la tête de son trio renouvelé avec le virtuose Marian Petrescu et Joel Locher.

 

Alex Riel est décédé à 83 ans le 9 juin 2024 à Liseleje, une petite localité à 60Km de Copenhague, sur la côte nord de la grande île de Seeland.

Jazz Hot partage la peine de sa famille et de ses proches.

Jérôme Partage

Photos AlexRiel.dk by courtesy,

Image extraite de YouTube

Avec nos remerciements

SITE INTERNET: www.alexriel.dk

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