Horace Parlan at Union Chapel, 15 may 1997 © David Sinclair
Love and Peace
Le magnifique pianiste Horace Lumont Parlan nous a quittés le 23 février 2017 à Korsør, au Danemark où il s’était installé en 1972, sans retour, après son départ des Etats-Unis.
Il est né en 1931 à Pittsburgh, une terre de pianistes de jazz, la ville d’Erroll Garner (1921), Dodo Marmarosa (1925), Ahmad Jamal (1930), Sonny Clark (Herminie, 1931) et avant eux du grand Earl Hines (Duquesne, 1903) et de la phénoménale Mary Lou Williams (elle est née à Atlanta en 1910, mais elle arrive à Pittsburgh à l’âge de 4 ans).
Horace Parlan commence l’étude du piano à 8 ans, auprès de Mary Alston, qui va lui apprendre à dominer un handicap majeur, une paralysie importante du côté droit, conséquence d’une poliomyélite contractée à 5 ans.
Le jazz et le handicap est un grand thème de réflexion, un modèle même, parce que dans le jazz, il a existé de nombreux artistes handicapés, et pour certains, ils sont devenus, chacun sur leur instrument, des absolus. On connaît la tradition des guitaristes aveugles, dans le blues en particulier, née de la nécessité de vivre, car justement aveugles, ils n’avaient pas d’autre choix, d’autre emploi possible. On se rappelle bien entendu la cécité d’Art Tatum, Ray Charles, Lennie Tristano.
Mais pour Horace Parlan, le handicap touche à l’absence de mobilité physique d’un côté, d’une partie de ses membres, et de ses doigts paralysés. L’absence d’usage de la main droite pourrait être comparée au handicap de Django Reinhardt, autre phénomène, sauf que Django a appris avec ses dix doigts avant de devoir se réadapter. Mais cette terre fertile en pianistes et ce professeur, Mary Alston, vont produire un miracle. Horace, aidé également par le bassiste Wyatt Ruther, va réussir à développer une technique corporelle qui lui permet, à force de travail et de volonté, de tourner autour de sa main droite figée pour lui permettre de participer à la création d’accords, sa main gauche et son corps accompagnant, compensant, un jeu à nul autre pareil. Parmi ses influences tardives, Bud Powell, pour l’intensité, et Horace Silver, pour la richesse harmonique, viendront compléter une palette très originale. Horace Parlan va d’ailleurs bénéficier de l’entraînement de ses concitoyens et contemporains Ahmad Jamal et Sonny Clark. Il étudie la musique classique avec le même professeur qu’Ahmad Jamal, M. James Miller, qui reste également l’un de ses maîtres révérés. Il s’intéresse au jazz dès sa première adolescence, et continue ses études au Pittsburg Musical Institute et au Carnegie Institute. Il entreprend, avec le soutien familial, des études de droit à l’Université de Pennsylvanie, interrompues par un accident d’automobile.
Dès 1952, il devient musicien professionnel de la scène locale, et c’est avec Tommy et Stanley Turrentine, puis Sonny Stitt à Washington qu’il commence dans les années cinquante une carrière de haut niveau dont témoigne la belle discographie qui suit ce texte. Il côtoie alors en jam session en particulier les Gigi Gryce, Art Farmer, Cannonball Adderley, et il rencontre Booker Ervin, Charles Mingus, qui ne prend que plus tard conscience du handicap du musicien qu’il a engagé.
C’est au sein de la formation du bassiste qu’Horace Parlan enregistre ses premiers grands disques de 1957 à 1960 (Blues & Roots, Mingus Ah Um). Horace s’est installé à New York en effet en 1957 et côtoie ainsi le fameux jazz workshop mingusien, les Jimmy Knepper, Shafi Hadi, Dannie Richmond, etc., et au poste de pianiste, où se succèdent à cadence accélérée les plus grands talents (Richard Wyands, Roland Hanna, etc.), c’est Horace Parlan qui va durer le plus longtemps dans cette période (deux ans environ), si l’on excepte peut-être Don Pullen dans la dernière partie de la vie de Charles Mingus.
La profondeur «blues & spiritual» du jeu d’Horace Parlan tire ses racines du cadre familial (un père Pasteur), et n’est pas pour rien dans cette intensité que ses collègues apprécient, et dans la musique du grand contrebassiste. Horace Parlan restera d’ailleurs un mingusien de cœur, ne manquant jamais de rappeler que ce fut sa collaboration la plus importante. Quand il quitte le workshop en 1959, Horace Parlan rejoint l’altiste Lou Donaldson avec qui il enregistre trois disques et surtout pénètre dans l’univers Blue Note où il va donner en leader une belle mesure de son jeune talent. De 1960 à 1961, au sein d’un collectif coopératif, dans l’air du temps, The Playhouse Four, il grave sept disques, aujourd’hui réunis dans un bon coffret Mosaic. George Tucker (b) et Al Harewood (dm) sont ses fidèles compagnons. Les amis de Pittsburgh, Tommy et Stanley Turrentine, sont ses invités et des habitués du label. Booker Ervin et Grant Green sont enfin présents sur deux séances. Il y a encore Sam Jones, Billy Higgins, et le petit monde de Blue Note est ainsi réuni pour de passionnants enregistrements.
En Sideman, l’ascenseur est renvoyé, et Horace Parlan accompagne Dexter Gordon, Eddie Lockjaw Davis, Dave Bailey, Slide Hampton. L’activité est intense, au rythme approximatif de deux sessions d’enregistrement par mois. De 1963 à 1966, Horace Parlan accompagne régulièrement Booker Ervin, Roland Kirk, gardant ainsi un pied dans le monde mingusien dont les solistes s’autonomisent et enregistrent quelques beaux albums.
La fin des années soixante semble en revanche devenir très difficile. Il y a peu d’enregistrements (un album, Salt Song, en 1971 avec Stanley Turrentine) pour documenter cette période d’une petite dizaine d’années, où pourtant Horace Parlan continue de jouer, et accompagne en particulier Gerry Mulligan.
Horace Parlan at Union Chapel, 15 may 1997 © David Sinclair
Peut-être poussé comme beaucoup d’autres par cette période difficile, et peut-être par d’autres considérations1, Horace Parlan s’installe en Europe, à Copenhague au Danemark en 1972, qu’il ne quittera plus et dont il deviendra un citoyen. Il a découvert la ville en 1970 lors d’une tournée où il accompagnait Miriam Makeba.
Dans ce cadre, une autre patrie du jazz, où se trouvent déjà de fabuleux musiciens comme Ben Webster (qui décède en 1973), Dexter Gordon, Ed Thigpen, Kenny Drew, Sahib Shihab, parfois Bud Powell, Johnny Griffin, et beaucoup d’autres, il est plus à son aise, et il reprend une production discographique en leader interrompue depuis une dizaine d’années grâce à la rencontre de Nils Winther, le créateur du label SteepleChase en 1972, et qui enregistre les concerts du Jazzhus Montmartre. Horace Parlan grave pour lui onze albums en leader de 1973 à 1984 dont le premier s’intitule justement Arrival (1973). Il accompagne également la prestigieuse diaspora musicale, Dexter Gordon (Stable Mable, 1975), Frank Foster (The House That Love Built, 1982), Idrees Sulieman (Bird’s Grass, 1976, Groovin’, 1985), toujours pour SteepleChase, mais aussi Gene Ammons (in Sweeden, 1973), Eddie Lockjaw Davis (Jaw’s Blues, 1981) pour Enja, le label allemand fondé à Munich en 1971 par Matthias Winckelmann et Horst Weber. C’est aussi à cette fin des années soixante-dix que la rencontre se fait avec Archie Shepp pour deux albums en duo chez SteepleChase, autour du blues et du spiritual, qui restent parmi les disques essentiels de la décennie (Goin’ Home, 1977 et Trouble in Mind, 1980).
Horace Parlan poursuit son œuvre en cette fin de XXe siècle, enregistrant parfois en solo, ce qui lui est rarement arrivé (The Maestro, 1979 et Voyage of Rediscovery, 1999), renouvelle plusieurs enregistrements en duo avec le saxophoniste Rainer Pusch, avec un autre pianiste Jan Kaspersen, avec Johnny Griffin (Close Your Eyes, 2000), jouant sur les scènes européennes, côtoyant les grands artistes américains de passage comme Dizzy Gillespie, Cliff Jordan en 1986 à Cologne, et retrouve encore les amis, Ed Thigpen en particulier, at home, en 2003 (Relaxin’ With Horace, 2003) puis pour finir, en 2007, un autre enregistrement est réalisé à la maison pour Stunt (My Little Brown Book).
Horace Parlan est encore le compositeur de beaux thèmes tout au long de sa carrière («Us Three», «Wadin’», «Low Down», «Speakin’ My Piece», «Headin’ South», «Back From the Gig», «Love and Peace», «Broken Promises»…), mais ses compositions les plus célèbres restent sans aucun doute «Up in Cynthia’s Room» et «Arrival» , le premier titre du premier album enregistré pour SteepleChase en 1973, qu'il reprend avec Archie Shepp en 1987.
Depuis les années 2000, la santé d’Horace Parlan s’est dégradée, comme sa vue en raison d’un problème de diabète, et il a considérablement ralenti sa carrière, ne pouvant guère sortir de chez lui. Il était devenu citoyen danois. Il s’est éteint dans son pays d’adoption, ayant réussi dans sa nouvelle vie à concilier un tempérament doux, un art de vivre et une créativité toujours en éveil, plongeant de profondes racines dans ce monde dont il avait choisi de se séparer. Il était un modèle d’artiste de jazz, autant par son attitude simple et son sourire généreux que par la profondeur et la beauté de sa musique.
Yves Sportis Photos David Sinclair
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
*
1. «Les aspects sociaux de la vie à New York étaient également une considération. Après avoir été agressé deux fois, j’ai décidé qu’il était grand temps de partir.»
DISCOGRAPHIE Leader-Coleader LP 1960. Movin’ & Groovin’, Blue Note 84028 LP 1960. Us Three, Blue Note 84037 LP 1960. Speakin’ My Piece, Blue Note 84043 LP 1960. Headin’ South, Blue Note 84062 LP 1961. On the Spur of the Moment, Blue Note 84074 LP 1961. Up & Down, Blue Note 84082 LP 1963. Happy Frame of Mind, Blue Note 84134 CD 1973. Arrival, SteepleChase 31012 CD 1975. No Blues, SteepleChase 31056 CD 1977. Frank-ly Speaking, SteepleChase 31076 CD 1977. Goin’ Home, SteepleChase 31097 (Archie Shepp) CD 1978. Hi-Fly, SteepleChase 31417 CD 1978. Blue Parlan, SteepleChase 31124 CD 1979. Musically Yours, SteepleChase 31141 CD 1979. The Maestro, SteepleChase 31167 CD 1980. Trouble in Mind, SteepleChase 31139 (Archie Shepp) CD 1980. One For Wilton, EGO Records 4018 CD 1981. Pannonica, Enja 4076 CD 1983. Like Someone in Love, SteepleChase 31178 CD 1983. Jazzbuhne Berlin ’83, vol. 18, Repertoire 4918 CD 1984. Glad I Found You, SteepleChase 31194 LP 1986. Nisse Sandström/Horace Parlan/Red Mitchell, Young Forever, Phontastic 7562
CD1987. Little Esther, Soul Note 121145-2 CD 1988. Horace Parlan/Soren S. Eriksen, Keep Your Hands Wide Open, Olufsen Records 5050 CD 1989. Rainer Pusch trio Meets Horace Parlan, YVP Music 3051 CD 1990. Alone, SteepleChase 37041/42 CD 1992. Red Mitchell/Horace Parlan/Viacheslav «VP» Preobrazhenski/The Russian Chamber Orchestra, We All Hope, Sintez 00002 CD 1994. Horace Parlan/Jan Kaspersen Piano Duo, Joinin’ Forces, Olufsen Records 5184 CD 1994. Rainer Pusch-Horace Parlan, YVP Music 3046 CD 1997. We Three, Baybridge 25673 CD 1997. Peter Almqvist Trio With Horace Parlan, Storyville 4205
CD 1998. Kojo No Tsuki, M & I Jazz 30018 CD 1999. Voyage of Rediscovery, Storyville 4233 (=In Copenhagen, Storyville 1018521) CD 2000. Johnny Griffin Meets Horace Parlan, Close Your Eyes, Minor Music 801085 CD 2001. Behind the Blues, Leafage Jazz 30033 CD 2003. Relaxin’ With Horace, Stunt 04102 CD 2007. My Little Brown Book, Stunt 07112
Coffret: LP/CD 1960-1963., Mosaic MQ8-197/MD5-197
Sideman LP 1957. Charles Mingus, A Modern Jazz Symposium of Music and Poetry With Charles Mingus, Bethlehem 6026 LP 1959. Charles Mingus, Blues & Roots, Atlantic 1305 LP 1959. Charles Mingus, Mingus Ah Um, Columbia 65512 LP 1958. Langston Hughes, Weary Blues, MGM 3697 LP 1959. Lou Donaldson, The Time Is Right, Blue Note 84025 LP 1960. Lou Donaldson, Sunny Side Up, Blue Note 84036 LP 1960. Lou Donaldson, Midnight Sun, Blue Note LT 1028 LP 1960. Dave Bailey, One Foot in the Gutter, Epic 17008 LP 1960. Stanley Turrentine, Look Out!, Blue Note 84039 LP 1960. Tommy Turrentine, Time 2009 LP 1961. Stanley Turrentine, Comin’ Your Way, Blue Note 84065 LP 1961. Stanley Turrentine, Up at Minton’s, Blue Note 84069 LP 1961. Booker Ervin, That’s It!, Candid 8014 LP 1961. Dave Bailey, Gettin’ Into Somethin’, Epic 16011 LP 1961. Dexter Gordon, Doin’ Allright, Blue Note 84077 LP 1962. Slide Hampton, Jazz with a Twist, Atlantic 1379 LP 1962. Slide Hampton, Explosion! The Sound of Slide Hampton, Atlantic 1396 LP 1962. Eddie Lockjaw Davis/Johnny Griffin, Tough Tenor Favorites, Jazzland 76 LP 1962. Eddie Lockjaw Davis, Goin’ to the Meeting, Prestige 7242 LP 1962. Stanley Turrentine, Jubilee Shout!!!, Blue Note 84122 LP 1963. Booker Ervin, Exultation!, Prestige 7293 LP 1964. Roland Kirk, Gifts & Messages, Mercury 20939 LP 1965. Roland Kirk, Slightly Latin, Limelight 446280 LP 1971. Stanley Turrentine, Salt Song, CTI 6010 CD 1973. Gene Ammons in Sweden, Enja 3093-2 LP 1975. Al Cohn and Zoot Sims, Motoring Along, Sonet 684 CD 1975. Dexter Gordon, Stable Mable, SteepleChase 31040 CD 1976. Idrees Sulieman, Bird’s Grass, SteepleChase 31202 CD 1981. Eddie Lockjaw Davis, Jaw’s Blues, Enja 3097-2 LP 1981. Clark Terry, Brahms Lullabye, Bingow Records 3106 CD 1982. Frank Foster, The House That Love Built, SteepleChase 31170 CD 1985. Idrees Sulieman, Groovin’, SteepleChase 31218 CD 1986. Joe Van Enkhuizen, Joe Meets the Rhythm Section, Timeless 249 CD 1987. Archie Shepp, Splashes: Tribute to Wilber Little, Bellaphon 45005 CD 1992. Archie Shepp, Black Ballads, Timeless 386 CD 1992. Pierre Dorge, The Jazzpar Prize, Enja 7031-2
VIDEOS
Chaînes YouTube Horace Parlan https://www.youtube.com/channel/UC0Ic0tXm7P2LE47Pi71eMpw https://www.youtube.com/channel/UCkgEMM8Sjg0sEUYigZDP1YQ https://www.youtube.com/channel/UCpn2BU3xYJfcbj07R7lgP4Q
1986. Köln (G) Dizzy Gillespie/Cliff Jordan/Horace Parlan, «Round About Midnight», «Caravan» Dizzy Gillespie (tp,voc,bongo), Cliff Jordan (ts), Horace Parlan (p), Reggie Johnson (b), Sangoma Everett (dm) https://www.youtube.com/watch?v=L7b9UOAk_O4
1994. Archie Shepp Quartet featuring Horace Parlan,«Steam», New Morning, Genève https://www.youtube.com/watch?v=uK76sWSmwMY
2000. Horace Parlan «Love and Peace» https://www.youtube.com/watch?v=f5ChrHNGrVc
2002. Horace Parlan by Horace Parlan, documentaire sorti le 28 mai https://www.youtube.com/watch?v=VheygQOEWHg
|