Fred Pasqua © Antonio Porcar, by courtesy of Frédéric Pasqua
Discret, le batteur Fred (Frédéric)
Pasqua n’en est pas moins très sollicité. Cet homme du sud, né à Montpellier et
vivant à Marseille, est, depuis une dizaine d’années, bien établi sur la scène
parisienne. On le retrouve en effet auprès de Robin Nicaise (ts), de Sophie
Alour (ts, Jazz Hot n°684), de Romain
Pilon (g) avec Walter Smith III (ts), de Yoann Loustalot (tp, également
interviewé dans ce numéro), dans le groupe Aérophone, ou au sein du quartet Lucky Dog avec
ce dernier ainsi que Frédéric Borey (ts) et Yoni Zelnik (b), complices de longue
date. Il est en outre partie prenante du projet Aksham, avec Elina Duni (voc), du côté des musiques improvisées. Il n’en est pas moins un
accompagnateur régulier de Laure Donnat (voc, Jazz Hot n°684) et participe depuis 2017 à la formation Les Quatre Vents, en
compagnie de Christophe Leloil
(tp), Perrine Mansuy (p) et Pierre Fenichel (b). A
45 ans, Fred Pasqua sort un premier disque en leader, Moon River,
publié par le label de son ami Yoann Loustalot, Bruit Chic, d’ailleurs
présent sur l’enregistrement avec Nelson Veras (g), Yoni Zelnik, entre autres
(cf. notre chronique). Un projet longuement mûri et qui illustre l'évolution de ce batteur venu du rock et de la fusion.Propos recueillis par Jérôme Partage Photos Jean-Pierre Alenda, Antonio Porcar et Photo X by courtesy of Frédéric Pasqua © Jazz Hot n°685, automne 2018
Jazz Hot: Racontez-nous le
début de votre parcours…
Frédéric Pasqua: Je suis né le 9 septembre 1973 à Montpellier. Mes parents se
sont ensuite installés à Marseille. Puis, ils se sont séparés, et je suis
retourné vivre à côté de Montpellier et enfin à Salon-de-Provence, où je suis
resté jusqu’à environ l’âge de 22 ans. Mon père jouait un peu de basse et de
batterie, et ma mère écoutait beaucoup de musique: Otis Redding, Dave
Brubeck… Quand j’étais gamin, elle allait danser au bal. Et c'est là que, vers 7 ans, j’ai vu
une batterie pour la première fois. Ça a été un flash! J’ai dit à ma mère
que je voulais en jouer et, à 8 ans, elle m’a inscrit au Conservatoire de Salon.
Il y avait un bon professeur de percussions, Rivera Sandi, qui travaillait à
l’Opéra de Marseille. A cette époque, le conservatoire ne disposait pas encore
de claviers, vibraphones ou marimbas; du coup j’ai étudié les timbales, tricoti,
caisse claire classique et le solfège. Ça a duré environ huit ans. Ensuite,
j’ai commencé à jouer dans des groupes de rock. J’ai fait un lycée hôtelier, et
j’ai fini par demander à ma mère d’arrêter ma scolarité pour me consacrer à la
musique. Je me suis inscrit dans une école de batterie à Aix-en-Provence, chez
Nadia et Gilles Touché, où j’ai énormément appris, en particulier une méthode
de travail. J’y suis resté de 19 à 23 ans. L’enseignement n’était pas
spécialement tourné vers le jazz. Pour autant, ils nous emmenaient souvent en
concert, et c’étaient surtout des concerts de jazz. D’ailleurs, la plupart de
leurs anciens élèves étaient dans le jazz, mais dans un jazz plutôt ouvert, pas mainstream. Des gens comme Stéphane Huchard ou
Benjamin Henocq… C’est là que j’ai étudié les solos des grands batteurs, comme
Elvin Jones, que je jouais avec mon vocabulaire d’alors.
Quels étaient alors
vos modèles?
En premier, Dave Weckl! Parce qu’il avait un langage
binaire, proche des batteurs de rock, qui m’était familier. Un soir, mes
professeurs m’ont emmené au Scat Club, rue de la Verrerie, à Aix, voir Christian
Vander en trio. Ça a été un choc. J’ai même failli tout arrêter. Je me disais
que je ne comprenais plus rien. Passé cela, Vander est devenu une référence. Et
par ce biais, j’ai commencé à écouter Elvin Jones, Tony Williams et Max Roach,
qui était le plus ancien des batteurs qu’on étudiait à l’école.
Et puis, bien sûr, il y avait Jack DeJohnette, car, depuis l’adolescence, j’écoutais
–parallèlement au heavy metal!– le trio de Keith Jarrett. Puis, je suis
passé à Billy Cobham… Dans toutes ces musiques, il y avait une part
d’improvisation. Y compris dans le piano-bar brésilien –qui consistait à
accompagner un chanteur brésilien sur un répertoire électrique– que j’ai
pratiqué pendant quelques années, après l’école.
Quand avez-vous
commencé à vous produire avec des groupes de jazz?
Mes premiers engagements tournaient plutôt autour de la
musique électrique, de la fusion. La transition s’est effectuée vers 2002-2003.
J’ai commencé à m’intéresser au jazz acoustique, grâce à des copains musiciens.
Et j’ai changé ma façon de jouer. J’ai changé d’instrument: j’ai acheté
une veille Gretsch. J’avais envie de rapports de dynamique plus importants que
dans la musique électrique. La bascule est véritablement intervenue vers
2006-2007 quand Robin Nicaise –avec lequel je jouais régulièrement– m’a demandé
de venir à Paris pour remplacer le batteur de son sextet, Antoine Paganotti.
Là, j’ai rencontré Yoni Zelnik, Sandro Zerafa (g). J’ai fait pas mal de
sessions. Avec ce premier séjour à Paris, une nouvelle aventure a commencé pour
moi. Depuis, j’ai un pied à Paris et l’autre à Marseille. Au début, je vivais
chez Robin, puis je me suis trouvé un appartement. A partir de là, les
rencontres se sont enchaînées: Yoann Loustalot avec lequel on a monté le
groupe Aérophone, Sophie Alour avec qui j’ai enregistré deux disques, comme
avec Romain Pilon (g). Ce sont des gens que je connais depuis que je travaille
à Paris, et on continue à collaborer ensemble sous des formes différentes. Pour
autant, j’aime bien essayer des choses différentes. Quand un jeune musicien
m’appelle, je suis toujours partant. En 2012, on a débuté le quartet Lucky Dog
avec Yoann Loustalot, Yoni Zelnik et Frédéric Borey que j’avais rencontré dans
un concert. Nous sommes très heureux de ce groupe. L’année suivante, Yoni Zelnik
m’a présenté Nelson Veras (g). Ça
a tout de suite très bien fonctionné entre nous. On a donné deux concerts avec
Joachim Govin (b) et son père, Pierre-Olivier (s). Il s’agissait de reprises du
chanteur et guitariste brésilien Milton Nascimento. Pour le premier concert, il
y avait aussi Leonardo Montana (p). C’est en fait à la suite du second concert,
juste avec la guitare, que j’ai eu envie de proposer à Nelson d’intégrer mon
projet de disque.
Aérophone + GLenn Ferris (tb): Fred Pasqua (dm), Yoann Loustalot (tp), Blaise Chevallier (b), Sunset, Paris © Photo X, by courtesy of Fred Pasqua
Justement, comment
vous est venu ce projet d’album en leader?
C’est venu de Nelson. J’entendais un son, une façon de
jouer. On interprétait surtout des standards quand on faisait des sessions. De
là est venu l’envie de se construire un répertoire, notamment avec des morceaux
un peu moins joués. Je n’avais pas dans l’idée de composer pour ce projet, car
je ne suis pas en mesure de transcrire mes idées. Mais j’y travaille. En tous
les cas, j’avais beaucoup de partitions qui restaient des différents groupes
avec lesquels j’ai joués, et ça a servi de base de travail. Quand j’ai entendu
la guitare de Nelson, je me suis dit que ça marcherait bien avec le bugle de
Yoann. Et Yoni à la contrebasse, c’était une évidence. Et la mayonnaise a pris
dès la première répétition. En outre, le disque compte quelques invités car je
crois que lorsqu’on ne joue que des reprises, il faut varier les
orchestrations.
Effectivement, on
ressent ces variations, même si la tonalité générale du disque est plutôt
introspective. De ce point de vue, le dernier morceau, «Louisiana Fairytale», à la
sonorité new orleans, est assez surprenant…
Oui, il ne s’agit pas d’un jazz explosif. C’est ce qui me
plaît d’ailleurs. «Louisiana Fairytale», c’est Robin
Nicaise qui l’a amené un jour en session. L’idée était justement de créer un
contraste avec cette petite marche joyeuse, à la fin du disque. Par ailleurs,
c’est un clin d’œil à tout ces vieux vinyles que je découvre en ce moment: Stan
Getz, Count Basie, Charlie Parker. Des albums que je n’avais pas écoutés. Je
suis en train de remonter l’histoire du jazz! Et j’aime ça. Et puis, ça me fait
du bien compte tenu de ce que je veux jouer. Je pense qu’on ne peut pas jouer
du jazz si, à un moment donné, on ne se réfère pas à une certaine tradition; même
si je ne suis pas un batteur mainstream et que je ne suis pas particulièrement
intéressé par les musiciens qui imitent ceux des années 1940 et 1950. Il faut jouer
cette musique à notre manière. Pas rechercher une sorte de Graal.
Frédéric Pasqua Quartet: Yoann Loustalot (flh), Frédéric Pasqua (dm), Yoni Zelnik (b), Nelson Veras (g), Sunside, Paris (mai 2018) © Jean-Pierre Alenda
Vous
ne pensez pas qu’il existe aujourd’hui des musiciens qui puissent s’exprimer
dans le jazz mainstream, parce que c’est leur langage et sans être dans l’imitation?
Si, bien sûr. Et je comprends et respecte
totalement leur démarche.
Quel
est l’impact de cette remontée de l’histoire du jazz que vous avez entamée sur
votre jeu, sur vos choix?
Cela m’entraîne vers un autre son de
batterie, celui de la batterie jazz qui est plus gras, plus timbré, plus
harmonique. Mais c’est difficile de sortir du son qui a été le mien pendant des
années et qui était celui des batteurs de fusion. Mais écouter cette
musique-là, surtout en vinyle, m’aide beaucoup. Il y a deux ans, j’ai investi
dans une platine. Ça fait vraiment du bien d’écouter Nefertiti de Miles Davis dans ces conditions. Le son de batterie
est incroyable! C’est vraiment le bonheur! Avec le vinyle, on écoute
différemment, de façon posée. C’est une forme de respect.
Parlons
des différentes formations où vous évoluez: vous avez accompagné Laure Donnat qui
vit également dans le sud…
On se connaît bien. La dernière fois
que nous avons joué ensemble, c’était en avril dernier, au Cri du Port; en trio
avec la contrebasse. Nous avons travaillé sur pas mal de projets différents,
notamment un trio free qui était excellent. Mais on a dû l’arrêter car ce
n’était pas très vendeur! (Rires)
Collaborez-vous
avec des groupes de la scène provençale?
Je participe encore à deux ou trois
formations avec de vieux copains, mais c’est devenu anecdotique. Sinon, j’ai un
nouveau projet, Les Quatre Vents, avec Christophe Leloil, Perrine Mansuy et
Pierre Fenichel. On est allés à New York ensemble, en janvier dernier, dans le
cadre du French Quarter (une opération
financée par le ministère des Affaires étrangères), et on va bientôt
enregistrer. Sinon, ce que je perçois, c’est que la scène jazz marseillaise n’est
pas très dynamique. Mais il est vrai que je n’en fais pas partie, d’autant que
lorsque je jouais dans le sud, j’étais dans un autre réseau musical. En
revanche, il y a beaucoup de chanteuses! (Rires)
En dehors de Laure –qui est un cas à part–, ce n’est pas ma tasse de thé. Même
quand elles font bien leur travail. Bien sûr, ce sont des opportunités qu’on
laisse filer, mais je crois qu’il ne faut pas s’éparpiller. Il faut faire des
choix clairs. Ceci dit, j’adore Cécile McLorin-Salvant.
Les Quatre Vents: Perrine Mansuy (p), Christophe Leloil (tp), Pierre Fenichel (b), Fred Pasqua (dm), Smalls Jazz Club, New York (janvier 2018) © Photo X, by courtesy of Frédéric Pasqua
Paris
reste incontournable?
Le travail est d’abord là-haut et c’est
là que sont les projets les plus intéressants. Et même s’il y a des bons
musiciens partout, tout le monde se retrouve à Paris, et tout part de là. C’est
une réalité. Même si ça agace Yoann Loustalot quand je dis ça. (Rires)
Quel
est le rôle de chacun au sein de Lucky Dog?
Yoann Loustalot et Frédéric Borey amènent les compositions;
Yoni Zelnik et moi indiquons nos préférences, et nous prenons part aux
arrangements. Parfois, il peut y avoir une direction assumée de la part de
Frédéric ou de Yoann mais, sinon, le fonctionnement est collégial. En outre, c’est
Frédéric qui s’occupe de nous trouver des dates. Et malheureusement, on ne
tourne pas beaucoup. C’est difficile. Il est vrai qu’on pratique un jazz
particulier, mais je pense que c’est avant tout une affaire de réseau. Je me
suis d’ailleurs fait une raison pour mon propre groupe. Par principe, je vais
démarcher des lieux, mais je ne me fais pas d’illusion. Du coup, je fonctionne
avec des gens que je connais voire j’organise des événements moi-même.
La
scène jazz française est aussi très cloisonnée, les musiciens d’esthétiques
différentes ne se connaissant pas…
C’est vrai, il y a des chapelles. Mais il y a aussi des gens
ouverts, comme Hugo Lippi par exemple, qui m’appelle régulièrement alors que nous venons
d’univers différents. Mais justement, ça l’intéresse. Sophie Alour est comme ça
également.
Vous arrive-t-il de
jouer avec des musiciens américains?
Oui. J’ai joué avec Santi DeBriano, Ben Wendell et surtout
Walter Smith qui est un véritable gentleman. Il joue très moderne, mais
sur les standards il assure! Il y a eu aussi Kirk Lightsey qui s’est pris
d’amitié pour moi. On s’est notamment retrouvés plusieurs fois chez Richard
Bréchet, à l’Alibi Jazz Club, dans l’Aisne. C’est là que nous nous sommes
rencontrés. On a même enregistré là-bas mais ça n’est jamais sorti. Kirk se
sent bien avec moi. Même si je n’ai pas toujours le vocabulaire approprié sur les
parties plus swing.
Enseignez-vous?
Je donne des conseils quand on m’en
demande, mais je n’enseigne pas de façon régulière. Il y a longtemps, j’ai
donné des cours à Marseille, dans une école. Mais ça ne me convenait pas d’être
dans un endroit fixe. J’ai envie de jouer, de bouger, de rencontrer du monde.
Qu’est-ce
que le jazz pour vous?
Une grande liberté dans des formes
établies, c’est à dire des codes, une certaine tradition qu’il faut assimiler
pour mieux en sortir. Il fait exprimer quelque chose de sincère, même si on
copie toujours un peu quand on joue, par réflexe. Et c’est aussi une musique de
revendication et ça, ça me plaît! (Rires) *
CONTACT: frederic.pasqua@yahoo.fr
EN CONCERT: avec le Tabasco Quartet: Sunside, Paris (10/10); avec Lucky Dog: L'Apostrophe, Paris (10/11); avec Aurore Voilqué: Cabaret Ariel, Rueil-Malmaison (16/11); avec Les Quatre Vents: Gréoux-les-Bains (24/11), Le Petit Duc, Aix-en-Provence (14/12).
SELECTION DISCOGRAPHIQUE Leader/Coleader CD 2013, Aérophone. Flyin’ With, Bruits Chic 004 CD 2013. Lucky Dog, Fresh Sound New Talent 443 CD 2016. Aérophone, Atrabile, Bruit Chic 007 CD 2017. Lucky Dog, Live at the Jacques Pelzer Jazz Club,
Fresh Sound New Talent 542 CD 2017. Moon River, Bruit Chic 011
Sideman CD 2003. Laure Donnat, Le Temps d’agir, Autoproduction CD 2007. Laure Donnat, Straight Ahead, Autoproduction CD 2009. Robin Nicaise, Nouvel Air, AltriSuoni 287 CD 2011. Sophie Alour, La Géographie des rêves, Naïve 622211 CD 2013. Sophie Alour, Shaker, Naïve 623511 CD 2014-15. Romain Pilon, The Magic Eye, Jazz&People
815004 CD 2017. Romain Pilon, Cooper, Jazz&People 818003
VIDEOS
2014. Romain Pilon Trio, «Lonely Woman», Cabaret Ariel, Rueil-Malmaison
(92) Romain Pilon (g), Yoni Zelnik (b), Fred Pasqua (dm) https://www.youtube.com/watch?v=Qvxr95e4duo
2015. Santi DeBriano Quartet, Prieuré d’Estagel, Saint-Gilles (30) Santi DeBriano (b), Ricardo Izquierdo (ts), Romain Pilon (g), Fred
Pasqua (dm) https://www.youtube.com/watch?v=1q0E-OhJTC4
2017. Lucky Dog, Jazz à Veda, Villeneuve-d’Ascq (59) Frédéric Borey (ts), Yoann Loustalot (tp), Yoni Zelnik (b), Fred Pasqua
(dm) https://www.youtube.com/watch?v=53gCIi4ppMI
2017. Les Quatre Vents, «La Baie des singes», Marseille
(13) Christophe Leloil (tp), Perrine Mansuy (p), Pierre Fenichel (b), Fred
Pasqua (dm) https://www.youtube.com/watch?v=hUFF6G8nZOs
2017. Séance d’enregistrement de
l’album Moon River, «Moon River» Fred Pasqua (dm), Yoann Loustalot (flh), Adrien Sanchez, Robin Nicaise
(ts), Nelson Veras (g), Laurent Coq (p), Yoni Zelnik (b), Jean-Luc Di Fraya
(voc) https://www.youtube.com/watch?v=L8vv-2f3IKE
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