Dmitry Baevsky, Jazz à Eaubonne, 23 octobre 2018 © Jérôme Partage
Dmitry Baevsky est né le 24 mai 1976 à Leningrad, en URSS, devenue depuis Saint-Pétersbourg, en Russie. Fils d’un écrivain et d’une
traductrice, il prend des cours de piano dès l’âge de 6 ans.
C’est à l’adolescence qu’il découvre le jazz et le saxophone
alto. Après des études de musique, il quitte la Russie pour
s’installer aux Etats-Unis et rapidement à New York où il
poursuit son apprentissage et parcourt les clubs. Il côtoie les
grands noms de la scène new-yorkaise, jouant et enregistrant avec
nombre d’entre eux: Benny Green, Peter Washington, Willie Jones
III, David Hazeltine, Peter Bernstein, Jeremy Pelt, Steve Williams ou
encore Joe Magnarelli; Cedar Walton et Jimmy Cobb participent même à
son premier disque en leader, Introducing Dmitry Baevsky
(Lineage Records, 2004). Son dernier album, We Two
(chroniqué dans Jazz Hot n°685), met en avant sa belle
complicité avec un jeune maître du piano jazz, l’excellent Jeb
Patton (Jazz Hot n°680). Bien qu’ayant obtenu la
nationalité américaine, c’est en région parisienne que Dmitry
Baevsky est installé depuis deux ans. On peut ainsi régulièrement
l’entendre, à Paris et ailleurs en Europe, avec son quartet dont
Alain Jean-Marie est le fleuron.
Propos recueillis par Jérôme
Partage Photos Jérôme Partage et Marina Chassé, by courtesy
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
Jazz Hot: Venez-vous d’une famille
de musiciens?
Dmitry Baevsky: Ma mère
avait étudié le piano à l’école, mais elle est restée au stade amateur. En
revanche, son grand-père était un célèbre musicologue, Moisei
Beregovsky, qui a collecté des musiques traditionnelles juives. J’ai
entendu beaucoup de musique classique à la maison. Mes parents
avaient aussi quelques disques de jazz. Mais je l’ai vraiment
découvert par l’intermédiaire d’un copain d’école qui jouait
dans un big band et qui m’a emmené en écouter. Je jouais un peu
de guitare, et j’ai voulu entrer dans l’orchestre. Mais ça ne
fonctionnait pas avec la guitare. On m’a alors donné un saxophone,
et là j’ai pu trouver ma place. J’ai donc débuté comme ça sur
l’instrument, en autodidacte. J’avais 14 ans.
David Hazeltine (p), Dmitry Baevky (as), John Webber (b), Joe Strasser (dm), Dizzy's Club, Jazz at Lincoln Center, 2013 © Marina Chassé, by courtesy Vous avez donc découvert le jazz en
même temps que l’instrument?
Exactement. Car avant d’entrer dans
ce big band, je n’avais qu’une très vague idée de ce qu’était
le jazz. Mais à cette époque, en Russie –et je crois que c’est
encore le cas aujourd’hui–, il y avait un bon système
d’apprentissage de la musique pour les enfants. J’ai donc pu, par
la suite, prendre des cours de saxophone et de théorie. Et à 15
ans, je suis entré au Mussorgsky College of Music, à
Saint-Petersbourg où j’ai étudié pendant quatre ans, en
particulier avec le saxophoniste Gennady Goldstein. Ce n’était pas
simple d’être jazzman en Russie (URSS à l'époque, ndlr) dans les années soixante et
soixante-dix, et probablement même jusqu’au début des années
quatre-vingt. La scène jazz était alors plutôt underground.
Mais, depuis la fin des années quatre-vingt, le jazz est devenu
très populaire. Il y avait encore peu de musiciens, mais j’ai reçu
de bons conseils de la part de quelques aînés très talentueux. Et
c’est avec eux que j’ai commencé à donner des concerts et à
faire mes premières tournées. Assez rapidement, je me suis
rendu compte qu’il fallait élargir mon horizon, apprendre
davantage. Il fallait partir aux Etats-Unis.
Quels ont été vos
modèles?
Ça n’a pas vraiment changé.
J’écoute toujours beaucoup Sonny Rollins, Charlie Parker et John
Coltrane. Mais depuis, j’ai découvert Lester Young, Coleman
Hawkins, Jackie McLean… J’écoute aussi peut-être un peu plus de
jazz «traditionnel» aujourd’hui–new orleans, dixieland–,
parce que c’est la source.
Quand êtes-vous arrivé à New
York?
En 1995, à 19 ans. Mais je ne suis pas
venu directement à New York. J’ai d’abord participé à un
workshop dans le Massachusetts pendant environ six mois. C’est là
que j’ai posé ma candidature pour intégrer le département jazz de la New
School University de New York auquel j’ai envoyé une maquette. Le
fonctionnement de l’école était très souple: on pouvait choisir
ses professeurs, suivre leurs cours toute l’année ou changer. Cela
m’a permis de rencontrer beaucoup de musiciens et pas seulement
dans le cadre de l’école, également dans les clubs. C’était un
environnement très stimulant, ça m’a beaucoup plu. Et après
quatre années, j’ai obtenu mon diplôme. A partir de là, j’ai
eu mes premiers engagements dans des clubs ou des restaurants. Mais
je continuais à apprendre.
En 2004, vous avez enregistré un
premier disque sous votre nom, Introducing Dmitry Baevsky
(Lineage Records) avec la présence de deux grands maîtres, Cedar
Walton et Jimmy Cobb. Comment sont-ils venus sur ce projet?
Mon ami Ilya Lushtak (g) avait un label
et m’a proposé d’enregistrer. Je n’étais pas vraiment prêt,
mais cela ne se refuse pas! J’avais joué avec Jimmy Cobb quelques
temps auparavant, mais être en studio avec lui, c’était tout
autre chose! C’était une expérience fabuleuse. J’ai beaucoup
appris avec eux: la façon d’appréhender la musique, l’attitude,
leur façon de construire leur langage, de respirer. Quant à Cedar Walton, j'avais pu l'entendre plusieurs fois (notamment au Village Vanguard avec son trio et son quartet). Il a toujours été l’une de mes idoles et une source d'inspiration. Donc, naturellement, lorsque l’opportunité d'enregistrer avec lui s’est présentée, j’en ai été extrêmement heureux.
Benny Green (p), Dmitry Baevsky (as), David Williams (b), Willie Jones
III (dm), Jazz Cruise 2014: concert en hommage à Cedar Walton
© Marina Chassé, by courtesy
Venant d’une culture très
différente, vous a-t-il été difficile d’assimiler le langage du
jazz, ses codes?
Au début, oui. Je venais d’un autre
continent, d’un autre pays avec une langue et une musique
différentes. Mais, quand on est jeune, on a la capacité de
s’adapter, et il est toujours possible d’apprendre: en écoutant
les disques, en observant les musiciens. C’est une forme de culture
orale. De temps en temps, quelqu’un vous transmet un bout de son
savoir, vous conseille de faire ceci de telle ou telle façon. Et ce
sont toutes ces choses que vous accumulez avec les années.
L’apprentissage ne peut pas se limiter à étudier dans une pièce
à longueur de journée. On a besoin de la fréquentation des aînés.
Le jazz, c’est une communauté de partage, avec des valeurs. Même
si, bien entendu, rien n’est parfait.
En 2009, vous avez enregistré un
deuxième album avec Joe Cohn.
J’ai beaucoup joué dans les clubs à
New York. Je n’ai pas tellement voyagé. Et j’ai continué à
apprendre. C'est dans ces premières années new-yorkaises que j'ai eu l'occasion d'entendre Joe Cohn en club, jouer avec différents musiciens. Son sens musical, son talent et son ouverture ont toujours été une source d'inspiration. Après un certain temps, j'ai pu l'appeler pour quelques concerts, ici et là, et notre collaboration est devenue plus régulière et plus dense, que ce soit pour des enregistrements ou des tournées à l'étranger. J'ai beaucoup appris de sa musique. J'utilise encore beaucoup de choses qu'il m'a apprises. Pour ce qui est de mon album avec lui, il a été enregistré en France, pendant une tournée. La première
fois que je suis venu en France, c’était en 2008.
Votre premier disque avec Jeb Patton
a été enregistré en 2010 (Down With It). Quand
vous êtes-vous rencontrés?
Très vite, peut-être un an ou deux
après que j’ai emménagé à New York. Nous avons à peu près le
même âge, et nous avons joué très souvent ensemble. A partir de 2008, j'ai monté un quartet, et il composait la rythmique avec David Wong à la
contrebasse et Joe Strasser à la batterie. Je continue aujourd’hui à travailler
avec cette rythmique. Nous sommes des amis, nous
échangeons des idées sur la musique constamment quand nous nous
voyons.
Vous êtes en
trio sans piano sur Over and Out (2014), en
quartet sur The Day After (2016) et enfin en duo
avec Jeb sur We Two (2018)…
J’ai essayé des formules différentes avec les mêmes musiciens parce que nous avons une grande
complicité. Depuis le début, j’adore les trios sans piano. Cela donne une grande liberté harmonique mais aussi
plus de responsabilités. Si ça fonctionne, c’est génial… Le duo, c’est tout
autre chose. Jeb a la faculté de fournir un soutien très
solide et, en même temps, de permettre de partir dans n’importe
quelle direction, d’aller au bout de ses idées. Peu de pianistes
ont cette capacité.
Jeb Patton et Dmitry Baevsky, Jazz à Eaubonne, 23 octobre 2018 © Jérôme Partage Comment avez-vous choisi le
répertoire de We Two?
Je choisis toujours des titres qui
m’inspirent, dont je me dis que je peux faire quelque chose
de différent de ce qui a déjà été fait.
Avez-vous eu l’occasion de revenir
jouer à Saint-Pétersbourg?
Oui. Depuis dix ans, j’y retourne deux ou
trois fois par année. Là-bas, je joue avec différents musiciens,
notamment avec David Goloshokin, un multi-instrumentiste qui est
également directeur d’un club, le Jazz Philharmonic Hall. Il y a
aussi plein de jeunes musiciens et de plus en plus de lieux. On a dû
passer en quinze ans de trois à vingt. Ce n’est pas New York, bien
sûr, mais c’est très dynamique.
*
CONTACT: www.dmitrybaevsky.com
EN CONCERT: Théâtre de Meaux (18/3), Duc des Lombards (18-19/3)
SELECTION DISCOGRAPHIQUE
Leader-coleader CD 2004. Introducing Dmitry Baevsky,
Lineage Records 105 CD 2009. Some Other Spring, Rideau
Rouge Records 001 CD 2010. Down With It, Sharp Nine
Records 1045-2 CD 2011. The Composers, Sharp Nine
Records 1047-2 CD 2014. Over and Out, Jazz Family 002 CD 2015.
Somethin’ Special, Blau Records 013 CD 2016. The Day After, Jazz Family 017 CD 2018. We Two, Jazz & People
818006 (avec Jeb Patton)
Sideman CD 2006. Joe Cohn,
Restless, Arbors Records 19329
CD 2010. Ehud
Asherie, Organic, Posi-Tone Records 8071
CD 2014. Jeb Patton,
Shades and Tones, Cellar Live 010515
CD 2015. Laurent Courthaliac, All My Life, Jazz & People
816004
CD 2017. Bruce
Harris, Beginnings, Posi-Tone Records 8174
VIDEOS
2011. Dmitry Baevsky Quartet, «Oros de Rojo», Smalls Jazz Club, New York (14 septembre 2011) Dmitry Baevsky (as), Jeb patton (p), David Wong (b), Joe Strasser (dm) https://www.youtube.com/watch?v=K-wm-dErv3A
2012. Dmitry Baevsky Quartet, «Airegin», Sunside, Paris (février 2012) Dmitry Baevsky (as), Alain-Jean-Marie (p), David Wong (b), Joe Strasser (dm) https://www.youtube.com/watch?v=h3SNvwSGFok
2013. Dmitry Baevsky Trio, «Full House», Smalls Jazz Club, New York (décembre 2013) Dmitry Baevsky (as), Jeb Patton (p), David Wong (b), Joe Strasser (dm) https://www.youtube.com/watch?v=SwhYPxsU73Q
2017. Dmitry Baevsky & Jeb Patton, «'Round Midnight», Andernos Jazz Festival (30 juillet 2017) https://www.youtube.com/watch?v=QzSgNvTI9dc
2018. Dmitry Baevsky & Jeb Patton, présentation de l'album We Two https://www.youtube.com/watch?v=Jo88XVjkiiw
|