Claude Bolling
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29 déc. 2020
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10 avril 1930, Cannes (06) - 29 décembre 2020, Saint-Cloud (92)
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© Jazz Hot 2020
Claude Bolling, Festival international de Big Bands d'Aix-en-Provence, 5 juillet 1995 © Ellen Bertet
Claude BOLLING Hommage à Claude Bolling
Claude Jean Harry Bolling nous
a quittés et, pour lui, la formule consacrée –«un pan de l'histoire de la musique
s'effondre»– est tout à fait justifiée. Claude Bolling est d'abord un musicien
complet dont, certes, la passion du jazz fut la dominante de sa vie. Il y a le
pianiste et le compositeur-arrangeur-orchestrateur, deux activités qui se sont
additionnées. Si nous mettons à part Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, et en dehors de Guy
Lafitte qui a séduit Wynton Marsalis, Roger Guérin qui eut l'estime de Leroy
Jones et peut-être Martial Solal, il n'y a pas beaucoup d'autres artistes
français sous l'appellation jazz qui ont marqué les artistes de jazz américains à l'indéniable
exception de Claude Bolling qui reçut du patron, Louis Armstrong, une
reconnaissance de taille lorsqu'il lui a dit: «your piano playing is something I'll always remember (votre jeu de
piano est quelque chose dont je me souviendrai toujours)» (1948). Claude
Bolling a dit avoir beaucoup appris d'Earl Hines, Willie Le Lion Smith, Rex
Stewart, Roy Eldridge, Buck Clayton, Don Byas, Lionel Hampton. Claude Bolling,
c'est aussi un chef d'orchestre de jazz qui a lancé une multitude
d'instrumentistes qui ont fait une solide carrière. Et c'est enfin un compositeur
de talent qui, par cette activité, a élargi sa notoriété vers les instrumentistes
dits «classiques» (son astucieux crossover) et vers le grand public surtout par
ses musiques de films, celle de Borsalino en tête. Et dans tous les cas, le jazz n'est jamais loin. Nombreux sont donc ceux qui ont une raison de lui
témoigner de la reconnaissance. Le moins ingrat fut Duke Ellington qui, séduit
par le travail de Claude Bolling sur ses œuvres, l'a adopté comme un membre de
sa famille au point que Mercer, le fils de Duke, l'appelait «Brother Bolling».Michel Laplace Hommage préparé par Jérôme Partage et Hélène Sportis Photos Ellen Bertet, Lisiane Laplace, Jérôme Partage
Claude Bolling, 1999 © Lisiane Laplace
Claude Bolling est né à Cannes le 10 avril 1930, sur la Côte d'Azur, par hasard, alors que
son père y est gérant de son propre Hôtel Méditerranée. Il est le fils d'Harry
Bölling, nom d'origine suédoise et de Geneviève Brannens, née à Arcachon. Ses
grands-parents paternels sont hollandais. Sa grand-mère maternelle fut pianiste
amateur et elle a chanté dans des récitals privés1. Après le crack boursier, l'hôtel ayant fait faillite,
les Bolling partent vivre dès 1932 à Paris, à côté du square du Champ-de-Mars.
C'est dans ce square qu'il a entendu des chanteurs de rue dont il fut capable
dès l'âge de 5 ans de chanter le répertoire grâce à une belle faculté de
mémoire. Harry et Geneviève divorcent en 1937. En septembre 1939, pendant la
guerre, Claude et sa mère se fixent à Nice. Enfant, Claude se révèle doué pour
ce qui est artistique, surtout le dessin et la peinture. Sa mère soucieuse de
son éducation lui fait prendre des leçons de piano. Elle-même avait eu une
éducation musicale. Claude aurait voulu être trompettiste! Mais c'est auprès de
Mademoiselle Michoudé qu'il étudie sur son vénérable piano droit de l'Exposition Universelle de 1889. A partir
de ce moment-là, «tout ce qui était
musique s'inséra en moi comme de la limaille, avec un intérêt tout particulier
pour celle de Ray Ventura et ses Collégiens qui planait sur les ondes de la
radio, et celle du pianiste Charlie Kunz, modèle des pianistes de bar, qui
jalonnait le chemin de retour d'école à l'heure du thé. J'entendais les frères
Salvador à la guitare, Armand Molinetti à la batterie, Bob Castella au piano.
Pendant les récréations, un grand, qui jouait du piano à la Kunz, m'avait
montré le système de la main gauche des pianistes de jazz»2.
L'Américain Charlie Kunz (1896-1958) aujourd'hui oublié, enfant prodige,
pianiste mais aussi joueur de saxhorn dans un brass band, fut également un chef
d'orchestre dès l'âge de 19 ans. A partir de 1922, Kuntz s'est fixé en
Angleterre et a acquis bien du succès jusqu'en France. A cette influence initiale,
Claude Bolling a ajouté celle de Peter Kreuder (1905-1981), pianiste et
compositeur d'origine allemande, responsable des arrangements musicaux du film L'Ange
Bleu de Josef von Sternberg (1930). Mais un jour quelqu'un fait remarquer à
Claude que le jazz ce n'est pas Kuntz ni Kreuder, mais Fats Waller dont il lui
passe des disques. C'est pour le jeune Claude Bolling une révélation. On notera
aussi que déjà Claude fut fasciné par un disque que possédait sa mère, un 78
tours de Duke Ellington groupant «Black and Tan Fantasy» et «Creole Love Call».
En 1942, dans l'entourage de sa mère, on insiste pour qu'il étudie auprès de
Marie-Louise «Bob» Colin: «Bob Colin,
fille garçonne, pantalon de golf, jouait du piano, de la trompette et de la
batterie dans un orchestre de femmes à la mode. Je lui dois, acquis en deux
ans, dix ans d'apprentissage du métier de musicien, par le professionnalisme de
son enseignement»2. En effet, outre les bases classiques, Mademoiselle
Colin lui enseigne le déchiffrage: «j'ai
ainsi découvert que je pouvais, à partir du déchiffrage, construire mon
accompagnement et mon propre discours sur la mélodie»1. Cette musicienne eut aussi
Barney Wilen pour élève.
Les progrès sont tels que sa mère se dit qu'il doit monter à Paris pour
compléter sa formation. La guerre n'est pas finie. Il s'installe chez son père
le 23 décembre 1943. Claude joue dans l'esprit du pianiste russe Alec Siniavine
(1906-1996) notamment sa «Rêverie» éditée par Selmer en 19421 et «Snake Charmer», un succès
de 1937 signé Teddy Powell (1905-1993). Et c'est en passant avec son père
devant la Salle Pleyel (salle-fétiche du Hot Club et de Charles Delaunay) qu'il remarque l'annonce du 7e Tournoi des
musiciens amateurs prévu pour le 2 janvier 1944. Il demande à son père de
l'inscrire. Claude qui n'a pas encore 14 ans joue «Snake Charmer» devant une
salle comble et remporte une ovation. On lui accorde un accessit. Il passe le 8e Tournoi, toujours Salle Pleyel, le dimanche 24 décembre 1944, et cette fois on
lui décerne la «palme» du meilleur pianiste. Claude monte un orchestre dans lequel
figure Guy Longnon (tp). La formation joue dès le 18 mars 1945 lors d'un
concert organisé par le Hot Club de France, toujours à la Salle Pleyel. Sa
famille comprend la passion de Claude et on mise désormais tout sur la musique.
Il cesse d'aller à l'école dès la quatrième, ne recevant le minimum de
connaissances générales qu'avec des professeurs particuliers. C'est à l'âge de
15 ans, qu'il réussit l'examen d'entrée à la SACEM ce qui lui permet de
protéger ses compositions. Claude Bolling a travaillé auprès de la pianiste
Germaine Mounier (1920-2006) pour se présenter à l'entrée au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris, mais il a été recalé. Claude va compenser par un
travail personnel acharné et il recommandera «à ceux qui songent à choisir la profession de musicien de jazz de
poursuivre aussi loin que possible un enseignement instrumental et musical
valable»3.
Claude Bolling, Festival international de Big Bands d'Aix-en-Provence, 5 juillet 1995 © Ellen Bertet
Alors qu'il vient de découvrir les disques de Mezzrow-Bechet, Claude
Bolling rencontre son aîné, le clarinettiste Claude Luter (1923-2006), au siège
de Jazz Hot et du Hot Club de France,
rue Chaptal, et ils constituent un orchestre qui, outre les deux Claude,
comprend Georges Bellec, futur Frère Jacques (tp), Hubert Fol (as), Mowgli
Jospin (g), Ladislas Czabanick (b) et Christian Garros (dm). Ils jouent pour
des surprises-parties. Les deux Claude se réunissent tous les mercredis après-midi,
chez le collectionneur et propriétaire d'un magasin de disques, Henri Bernard
(1900-1965)4 et ils écoutent les disques
de Jelly Roll Morton, Earl Hines et d'autres. Claude Bolling se souvenait que
Daniel Filipacchi (1928) et Frank Ténot (1925-2004) participaient à ces
réunions. Bolling s'intéresse à Jelly Roll, Luter au Creole Jazz Band de King
Oliver. Luter trouve la musique de Morton trop sophistiquée. Il en résulte une
scission: chacun monte alors sa propre formation. C'est séparément qu'ils
participent au concert-jam session organisé par le HCF à l'Ecole Normale, le 8
décembre 1946. Outre Claude Bolling, Claude Luter (avec Pierre Merlin), André
Persiani (avec Michel de Villers), Jean-Claude Fohrenbach, il y a des
professionnels comme Léo Chauliac et Don Byas avec lequel Bolling fait le bœuf.
En 1946 justement, Claude Bolling avait rencontré le pianiste et chef
d'orchestre Léo Chauliac (1913-1977). Il donnait des cours et a transmis à
Claude une partie de son savoir. C'est lui qui le pousse à s'intéresser plus
encore à Fats Waller et à Earl Hines. Et précisément, Chauliac a fait
travailler Claude sur les thèmes de Fats Waller, «Alligator Crawl» et «Vipers Drag»
qu'il a présentés au tournoi1. Parallèlement à ces leçons auprès de Chauliac,
Mademoiselle Colin l'a recommandé auprès du célèbre organiste Maurice Duruflé
(1902-1986) pour étudier l'harmonie en cours privés. C'est aussi l'époque où
Bernard Peiffer (1922-1976) envisageait de prendre Claude sous son aile, mais
la rivalité entre pianistes met un terme à cette velléité. Par ailleurs, Claude
a fait la connaissance d'Américains en service militaire à Paris, dont le
pianiste Aaron Bridgers (1918-2003) qui lui donne des cours. Toujours à la Salle Pleyel, parmi d'autres orchestres participant au 9e Tournoi
des amateurs, le sien est déclaré «un des plus remarqués»5. La formation de Claude
Bolling comprend outre Longnon, Jean-Louis Duran (tb)6, Jean-Pierre Martin (cl),
Robert Escuras (bjo), Guy de Fatto (b) et Jean Bertin (dm) tel qu'il participe
au 10e Tournoi du Hot Club de France en décembre 1946. La coupe «Blue
Star» est allée à Raphaël Schecroun, la coupe «HCF» au Jazz Club Universitaire
du trompette manchot Jackie Vermont, et des mentions au quartet Jacques
Denjean, aux solistes Claude Bolling (p), Claude Romain (cl), Paul Vernon (ts)
et Fred Gérard (tp). Il en est fait état dans la revue Swing Music n°7
de janvier 1947.
Claude Bolling joue aussi dans les dancings et les cabarets. Il apprend ce
que les musiciens appellent «le métier». En avril 1947, selon ses dires, il
participe avec Guy Longnon et Boris Vian (1920-1959) à l'ouverture du club de
jazz et de danse, Le Tabou à Saint Germain-des-Près, dans la cave du XVIIe
siècle de l'Hôtel d'Aubusson, au 33, rue Dauphine, dans le VIe
arrondissement. Claude Bolling envisage de gagner sa vie avec la musique
lorsqu'à partir de 1948 on commence à le demander. Ayant la plus complète
formation musicale, c'est lui qui donne des directives aux musiciens et il
s'impose naturellement comme chef d'orchestre. Tout en poursuivant sa
formation! En 1948, Earl Hines (1903-1983) arrive en France au sein du
All-Stars de Louis Armstrong, pour jouer au Festival de Jazz à Nice (en 1948, c’est le premier du monde, organisé par Hugues Panassié), puis début
mars à Paris: «c'est à ce moment-là que
je me suis payé le culot d'aller trouver Earl Hines à l'hôtel.7 Il a accepté. Dans la salle de réception de l'Hôtel d'Orsay, le piano
était là, au milieu du bruit; Earl m'a fait mettre au piano et m'a fait jouer
ce que je savais faire. Le cours a duré tout l'après-midi, après le déjeuner
jusqu'au soir. Il était fatigué, mais il ne voulait pas arrêter: 'non, non je
veux tout vous montrer'»2. Earl Hines est même venu le soir dans le club où Claude
jouait. Claude Bolling a bénéficié d'une transmission directe auprès des
pionniers. On le demande en effet, et le 14 mai 1948, à l'occasion de «La Grande Semaine du Jazz» au Théâtre
Marigny (organisé par Charles Delaunay): il est engagé pour accompagner la chanteuse de blues Bertha «Chippie»
Hill (1905-1950)… mais on n'avait pas la connaissance de l'importance de ces
Black Pearls, célèbres dans les années 1920: «les professionnels n'aimaient pas du tout parce qu'elle avait une voix
très rauque. Ils la traitaient de poissarde. Alors que c'était une authentique
blueswoman. Moi, je prenais un pied terrible. J'essayais de l'accompagner à la
manière d'Earl Hines»2.
Le 28 mai 1948, les New Orleans Jazzmen de Claude Bolling font leur
première séance de disques. Outre Claude, il y a Gérard Bayol (cnt), Jean-Louis
Duran (tb), Maxim
Saury
(cl, ss), Robert Escuras (g, bjo), Guy de Fatto (b) et Robert Peguet (dm).
Quatre titres sont sortis sur le label Pacific, et cinq chez Blue Star d'Eddie
Barclay (1921-2005). Pas de tromperie sur le nom de l'orchestre, l'influence
new orleans est très forte. Le tout premier morceau gravé est «Ory's Creole
Trombone» qui met bien en valeur Jean-Louis Duran et montre qu'à cette date
Maxim Saury qui a quitté Christian Azzi pour Claude Bolling est très proche en style de
Johnny Dodds-Claude Luter (Pacific 90016). Le stop time de Gérard Bayol est
typique du Louis Armstrong période Hot Five. En 1959, Pacific a regroupé ces
quatre titres sur un 45t., parmi lesquels on trouve tout de même
l'ellingtonien «The Mooche» en tempo plus lent que la version originale avec
les effets growl bien venus de Gérard Bayol et une partie de piano qui évoque
le maître. La coda de Maxim Saury au soprano est déjà sous influence Bechet
(avant le retour de ce géant en France). C'est le premier témoignage de ce qui
lui vaudra d'être surnommé «Bollington» par Boris Vian. Parmi les titres pour
Blue Star, l'influence d'Earl Hines transparait dans le jeu de Claude Bolling
dans le beau «Nobody Knows The Trouble I Feel this Morning». Le 19 juillet
1948, on a demandé à l'orchestre de Claude Bolling (Gérard Bayol, Maxim Saury) d'accueillir
Duke Ellington (1899-1974) sur le quai de la Gare du Nord. Une photo montre la
foule autour du Duke et de sa chanteuse Kay Davis, dont Jules Borkon
(impresario de Duke), la maman de Claude (avec chapeau blanc), Boris Vian. En
octobre 1948, Claude se retrouve au Théâtre Edouard VII (Jazz Parade organisée par Charles Delaunay) à la même affiche
que Bill Coleman dont c’est le retour en France, Hubert Rostaing et Django Reinhardt: «Django,
c'est le phénomène musical français. Il m'aimait bien. Chaque fois qu'il me
voyait, il me faisait monter sur scène. Quelqu'un, un jour, m'a fait entendre
moi, jouant avec Django, je ne m'en souvenais absolument pas.»2 Le 26 octobre, l'orchestre
de Claude Bolling partage l'affiche du Gala
de Musique de Jazz au Grand Théâtre de Bordeaux avec Boris Vian & sa
Compagnie. Fin 1948, Roger Paraboschi fait un remplacement de Peguet dans
l'Orchestre Bolling lors des Régates au Casino du Havre.
Dès décembre 1948, Benny Vasseur a remplacé Duran dans ce qui est le Steffy Club
Gang («Georgia Bo Bo» pour Blue Star, coffret Frémeaux, et le 10 janvier 1949, six titres
pour Pacific, dont l'ellingtonien «East St Louis Toodle-Oo»). Roland Evans,
disciple de Barney Bigard, a succédé à Maxim Saury dans ce combo. Le 16 janvier,
cet orchestre en résidence au Steffy, sur la Rive Droite, joue pour un concert
du HCF en commun avec celui de Jean-Louis Duran (Guy Longnon, René Franc). Peu
après, survient un événement. Hugues Panassié propose à Claude de passer
prendre un café chez Maurice Cullaz où ils doivent dîner avec l'orchestre de
Rex Stewart (1907-1967). A leur demande, il joue et ça plaît à Rex qui vient
ensuite l'écouter au Steffy. Rex choisit l'orchestre de Claude Bolling pour des
concerts et des disques. Le trompettiste se produit ainsi à La Grande Nuit du Jazz, le 3 février
1949, à la mairie du Ve arrondissement, en compagnie des orchestres
de Claude Bolling et d'Armand Conrad (à l’affiche également: Claude Luter,
Pierre Braslavsky, Roger Guérin avec Armand Conrad, Bernard Hulin avec Raymond
Fol). La première séance de Claude Bolling avec Rex Stewart (ainsi que Roger
Guérin, cnt, et Armand Conrad, ts, en renfort), donne «Without a Song» et «Morning
Glory» (Pacific 2285). C'est très réussi et dans l'esprit du Duke. D'autres
séances, sans Guérin ni Conrad, notamment le 25 février 1949 donnent un «Doin'
the Voom Voom» très bien arrangé (Pacific/Pathé PA 2341), un «Main Stem» où Rex
avec sourdine est foudroyant de swing et un «Weary Weird» de Rex attribué
parfois à Bolling. Il fait du piano boogie dans «Foolish Boy» où Rex y va des
effets mi-piston. Ces faces Pacific sont distribuées en Allemagne (label
Standard) et Danemark (Telefunken) ce qui lui offre une notoriété
internationale. Claude Bolling et Roger Guérin ont dit que Rex Stewart leur a
beaucoup appris. En février 1949, un show, intitulé La Revue du Jazz, au
Théâtre de L'Etoile, réunit Rex Stewart, la chanteuse Tommie Moore et
l'orchestre de Claude Bolling (même personnel que celui du disque avec Guérin
et Conrad). Rex y joue «The Mooche» et «Double Check Stomp»: «Notre association avec Rex ayant été un
succès, surtout après avoir gravé quelques disques, quelqu'un de notre
entourage avait décidé de monter un grand show musical de jazz dont Rex Stewart
devait être la vedette. La première partie de ce programme baptisée Harlem Show, reconstruisait
l'atmosphère d'une cave de St Germain-des-Près avec la participation de
chanteurs et chanteuses américains séjournant à Paris à cette époque, et les
meilleurs danseurs de be bop (ce qu'on appelait bebop, alors que le bebop n'est
pas dansable8). Après le succès de ce
spectacle au Théâtre de L'Etoile, les organisateurs décidèrent de nous envoyer
en tournée à travers la France. Mais Rex, retenu par ses engagements à Paris,
avait dû refuser d'y participer»2.
Claude Bolling participe à des nuits du jazz pour les Hot Clubs de
Fontainebleau (été 1949, même programme que Freddie Taylor, Don Byas, Mac Kac
et un certain Jean Laplace, as) et de Vincennes (novembre 1949, à la même
affiche que Guy Longnon, Armand Conrad, Raymond Fonsèque, Wallace Bishop). Du
jazz partout! du fait de la présence militaire américaine (bases à Achères-Fontainebleau jusqu’en 1966). Ainsi, Claude Bolling a aussi l'occasion de jouer avec le
trompette Buck Clayton (1911-1991) venu en France avec Merrill Stepter (tp) et
employant Armand Conrad (ts) et George Kennedy (as). Il apparait que Claude
était le remplaçant privilégié du pianiste André Persiani (1927-2004). En
mai 1949, c'est le fameux Paris
Jazz Festival qui présente à la fois Sidney Bechet et Charlie Parker.
Concernant l'énorme vedette que Bechet deviendra en France, Claude Bolling disait:
«j'ai très peu joué avec Sidney Bechet.
Il y a un document d'émission de télévision [Jazzorama de Simone Alma, mai 1958], on a fait des concerts. Il
n'y a pas eu d'enregistrement marquant.»2 Et concernant le bop, Claude
ne cache pas son sentiment: «Eh bien, je
n'aimais pas beaucoup ça. Je ne retrouvais pas (je ne suis pas spécialement
conservateur) ce qui m'avait attiré dans le jazz, une couleur, une expression.
Et il est un fait que ces nouveaux venus du bop s'écartaient de tout ça.
J'étais très admiratif de ce que faisait Parker, mais ce n'était pas le genre
de chose qui m'attirait.»2 Claude Bolling comme beaucoup d'autres (Maxim Saury, Raymond
Fonsèque…) démontre qu'il n'y a pas, contrairement aux affirmations
progressistes d’André Hodeir et de ses disciples, d'obligation générationnelle
à épouser exclusivement une prétendue modernité du moment. C’est une belle
époque pour le jazz, puisqu'en décembre 1949-janvier 1950, Willie the Lion
Smith (1897-1973), un pape du style stride de piano, est en France. Et, bien sûr, Claude Bolling prend contact. Le Lion lui offre ses partitions en mettant pour
lui un mot différent sur chaque couverture. Il lui montre aussi quelques
secrets pianistiques, mais ne lui donne pas une vraie leçon. Plus tard, Le Lion
adressera à Claude ses élèves américains de passage pour prendre des cours
pendant leur séjour! Au début des années 1950, Claude
Bolling étudie le contrepoint et l'orchestration auprès d'André Hodeir
(1921-2011): «Il m'obligeait à analyser
les œuvres de Mozart.»1 Il ne s'agit pas d'une adhésion aux problèmes que se
posait Hodeir sur le jazz, d'ailleurs d'autres personnalités non connectées à
ses idées ont aussi pris des cours d'harmonie et contrepoint avec lui, comme
Raymond Fonsèque.
Claude Bolling effectue son service militaire en 1950-1951 à la Caserne
Dupleix, à Paris. C'est René «Le Bombé» Vasseur, frère aîné de Benny, qui lui
enseigne le trombone qu'il joue pour les défilés de la Musique du Train des
Equipages aux côtés du clarinettiste Pierre Gossez (1928-2001). En revanche, pour
les concerts, Claude est aux percussions avec Michel Magne (1930-1984), futur
compositeur de musiques de film. C'est à cette période qu'il fréquente le club
situé au 21, rue du Vieux-Colombier, dans le VIe arrondissement,
ouvert en décembre 1948. Dès le 8 décembre 1950, Claude Bolling retrouve le
chemin du studio, cette fois pour trois 78t. Vogue. La formation est
modifiée. Il y a toujours Gérard Bayol, Benny Vasseur, Guy de Fatto (qui ont
enregistré pour Bechet l'année précédente), le retour de Maxim Saury, et l'arrivée
de William Boucaya (bar) et Pierre Lemarchand (dm). On relève «Ducky Wucky» du
répertoire du Duke (Vogue 5082) et des succès de Maurice Chevalier jazzés («Ma
Pomme», «Valentine»). Après le passage de Django Reinhardt au Club
Saint-Germain les 20-28 février 1951, lieu lancé trois ans plus tôt par
Jean-Claude Fohrenbach, c'est l'orchestre de Claude Bolling qui lui succède
pendant un an et demi. La maison Vogue utilise Claude Bolling pour accompagner
Roy Eldridge (1911-1989) en activité dans la Capitale. Le 28 mars 1951, son
combo grave d'abord quatre titres avec Roy dont le balançant et low down «Hollywood Passtime» (Don Byas,
ts, Guy de Fatto, b, Armand Molinetti, dm). Le lendemain ce sont deux duos
entre Roy et Claude Bolling, «Fireworks» et le très armstrongien «Wild Man
Blues»: «ça fait partie des
enregistrements phares de ma carrière»2. Il y sonne dans la lignée
Earl Hines ce qui est très adapté. Le même combo avec Benny Vasseur en plus,
participe au film Autour d’une trompette (1951) de Pierre Neurrisse,
demandé par le fabricant de cuivres Couesnon. Le meilleur moment collectif est «Just
a Blues» avec une disciple belge de Billie Holiday, Yvette Lee. Claude Bolling
n'est pas mis en valeur mais c'est l’un des premiers documents filmés de lui.
En 1960, pour la télévision, Claude Bolling refera le même exploit en duo avec
le trompette Peanuts Holland (1910-1979) («Wolverine Blues»). Le 13 janvier
1952, l’orchestre renouvelé –Jean Liesse (tp), Charles Huss (tb), William
Boucaya (as, bar), Jean-Claude Fohrenbach (ts) et Robert Barnet (b), toujours
avec Guy de Fatto,prend le nom «Les Sept Boogies» et enregistre six titres centrés sans surprise sur le
boogie woogie, très à la mode («'G' Boogie»). A noter, plus détendu, un «Bollington
Boogie Blues» avec des solos des souffleurs dans la lignée bop-cool très
tendance chez certains musiciens.
Pour le concert à la Salle Pleyel du 5 février 1952, Claude Bolling
remplace André Persiani dans l'orchestre du clarinettiste Mezz Mezzrow
(1899-1972) qui comprend deux Néo-Orléanais de classe, Lee Collins (1902-1960,
tp) et Zutty Singleton (1898-1975, dm). La formation est complétée par Mowgli
Jospin (tb) et le jeune Guy Lafitte (ts, cl). Claude n'est pas qu'un excellent
accompagnateur puisque Mezz le laisse jouer deux morceaux avec le seul
accompagnement de Zutty: «Frankie and Johnnie» et bien sûr «A Monday Date» dans
le style d'Earl Hines. Ce ne sera pas sa seule collaboration avec Mezz. Quand,
en 1954, il a besoin d'un pianiste, Hugues Panassié lui recommande Claude Bolling
pour sa main gauche musclée car Mezz veut faire l'économie d'un contrebassiste.
En fait, il avait une grosse Olds Mobile dans le coffre de laquelle il mettait
la batterie. Il entassait Lee Collins, Jimmy Archey, Freddie Moore et Claude
dans le véhicule et n'avait donc de place ni pour la contrebasse ni pour son propriétaire.
Il reste de beaux documents enregistrés de cette équipe: un concert à la Salle
Pleyel donné le 21 novembre et deux titres joués au Cinéma Le Paris de
Limoges le 21 décembre. Il semble bien que c’est à cette occasion qu'il est
invité par Jean-Marie Masse pour un passage radiophonique en piano solo où il
joue «Blue Serge» de son ami Mercer Ellington (1919-1996) et dans le style
d'Art Tatum un impressionnant «I Know That You Know» qui était l'indicatif du
Hot Club de Limoges. Lee Collins appelait Claude le «Art Tatum français». Il
est vrai qu'à ce stade, ses deux pianistes préférés étaient Earl Hines et Art
Tatum. Claude Bolling encore inspiré par Hines est brillant dans «Basin Street
Blues». Entre temps, le Grand Orchestre du vibraphoniste Lionel Hampton
(1908-2002) se produit à Paris. Claude Bolling assiste au concert donné au
Palais de Chaillot le 27 septembre 1953. A l'entr'acte Léon Cabat des disques
Vogue vient vers lui et lui annonce que le lendemain il doit se rendre à
l'Ecole Normale pour un enregistrement avec Lionel. Claude ne se sent pas prêt.
Quoiqu'il en soit, il arrive le 28 et Lionel Hampton lui dit comment il doit
faire le shuffle. Il a amené avec lui une partie de son orchestre: l'excellent
Walter Williams (tp), Al Hayse et le virtuose Jimmy Cleveland (tb), Clifford
Scott (ts), Billy Mackel (g), William Montgomery (b), Curley Hamner (dm) auquel
il a ajouté Mezz Mezzrow. Incidemment, le 45 tours avec «Real Crazy» est l'un
de mes premiers disques avec Claude. Dans trois titres dont «Free Press Oui» et
«Blue Panassié», Alix Combelle (ts) est ajouté à cette torride équipe. Le 33
tours recevra le Grand Prix du Disque 1954 de l'Académie du Disque Français. En
1956, Claude Bolling aura l'occasion de rejouer avec Hampton.
En mai 1954, André Persiani et Claude Bolling se partagent un album du
grand clarinettiste néo-orléanais Albert Nicholas (1900-1973), Clarinet
Marmelade pour le Club Français du Disque. Il y a deux titres en combo
(Jean Liesse, tp, Benny Vasseur, tb, Jean-Louis Chautemps, bar, Ricky Garzon,
b, Robert Barnet, dm) et surtout deux autres en trio avec Claude et le batteur
(«Ol' Man River», «Demi-tasse»). Mais Nicholas et Bolling feront encore mieux
les 27 et 29 juin 1955, pour le label Vogue: quatre titres en orchestre avec
Guy Longnon (tp) et Claude Gousset (tb), quatre autres en trio avec Kansas
Fields (dm) parmi lesquels un remarquable «High Society» dont il disait: «ça fait partie des choses que j'ai réussies»2. Ce trio Nicholas-Bolling-Fields
s'est produit en concert. A cette époque, Jacques Canetti (1909-1997) lui
propose de jouer en première partie d'une grande tournée de variétés avec
l'harmoniciste Jean Wetzel, Les Trois Ménestrels et d’accompagner, pour la seconde
partie, la vedette du moment Dario Moreno (1921-1968). Albert Nicholas se
désiste, et c'est en duo avec Kansas Fields que Claude Bolling effectue cette
tournée (1955) qui marque ses débuts dans les variétés avec une séance
d'enregistrement le 24 juin de cette même année où son orchestre accompagne
Boris Vian, chanteur. Claude Bolling a collaboré avec Boris Vian pour ses
premières chansons en composant les musiques de «J'suis snob», «La java des
bombes atomiques», «On n'est pas là pour se faire engueuler». Même si Claude
Bolling désigne sa séance d'accompagnement à Boris Vian comme étant ses débuts «non
jazz» en disque, l'écoute de «Petit commerce», co-écrit par Vian et Goraguer,
sorti en 1956, démontre une proximité avec le jazz.
Avant cela et toujours en 1955, on voit une fois de plus Claude Bolling
dans l'orchestre de Mezz Mezzrow, toujours en quartet avec Jimmy Archey et
Freddie Moore, mais cette fois le jeune trompette remarquable, Wallace
Davenport a succédé à Lee Collins. Ils laissent un disque réalisé pour Vogue le
12 janvier qui offre de beaux moments: «Serenade to Paris», «Coquette», «Moonglow».
Claude est à ce point apprécié que le lendemain, il enregistre en piano solo
quatre de ses compositions dont la belle mélodie sur tempo moyen, «Le Piège»,
musique de scène écrite vers 1954 pour la pièce d'Edouardo Sola Franco, Le Piège
à l'innocent, représentée à Paris. Claude Bolling y est magistral, Earl
Hines n'aurait pas fait mieux. Du coup, la maison Vogue lui fait jazzifier peu
après, le 26 février 1956, des chansons, sous formes de medleys de deux titres,
signées Brassens (comprenant l'un «Le Parapluie» et l'autre «La Chasse aux
papillons»), de Bécaud («quand tu danses»), de Vian (dont «J'suis snob»)
complétées par des succès de Bechet («As-tu le cafard?/Jacqueline» et une belle
«Promenade aux Champs-Elysées» très alerte) cette fois en trio (Guy Pedersen,
b, Japy Gautier, dm). Claude y swingue comme un fou avec cette touche musclée à
la Hines pour Brassens, un quelque-chose de Garner pour Vian dans «J'suis
snob/Sophie». Du jazz, donc.
Deux morceaux live par le
merveilleux trompette Bill Coleman (1904-1981) et Claude Bolling ont été
publiés confidentiellement sur un 33 tours anthologique (Bill, Peanuts Holland,
Dizzy Gillespie-Red Allen, Rex Stewart, Clark Terry) par le label Europa Jazz.
La pochette indique la date de 1958 ce que reprend la discographie de Bill dans
son autobiographie. Claude se souvenait de l'orchestre: «Bill avait même fait partie de mon propre orchestre. Il y avait
trompette, trombone, deux sax-clarinettes. C'était lui à la trompette, Charles
Huss, Jean-Claude Fohrenbach et Jean-Louis Chautemps. Puis après Chautemps,
c'est Maxim [Saury] qui est revenu avec moi. Il jouait la clarinette et le
baryton. Ça a fait les plus belles nuits de St Germain-des-Prés. Il n'y avait
pas de relâche»2. Seul le bassiste Roland Lobligeois et le batteur Kansas
Fields étaient indiqués sur la pochette, confirmés par Claude. Sauf que la date
est 1956 car Claude poursuit: «c'est
Frank Ténot qui avait la direction musicale du Club Français du Disque et,
sachant mon attachement à la musique de Duke Ellington et ayant entendu ce que
je faisais avec la formation dont je vous ai parlé tout à l'heure, avec Bill
Coleman, Charles Huss et les deux saxophonistes, et sachant que j'aimais
beaucoup rejouer les Duke Ellington Units, alors il avait remarqué cela et m'a
demandé si ça m'intéressait, avec la connaissance que j'avais de la musique de
Duke Ellington, de me mettre au service d'un grand orchestre»2.
Ce sont les débuts de Claude Bolling à la tête d'un big band. Et
contrairement à ce qu'on écrit, il y a pléthore de grandes formations en France
en cette période 1953-58: le trop épisodique orchestre d'Alix Combelle, mais
aussi ceux d'Aimé Barelli, Jerry Mengo, Noël Chiboust, Hubert Rostaing, Camille
Sauvage, Jacques Hélian proposent du bon jazz à l'occasion, de même que les «rivaux»
de Claude comme André Persiani (très Basie en 1958), ainsi que les «progressistes
d'esprit», d’un remarquable niveau, tels Christian Chevallier (1955-56, genre
west coast), Michel Legrand et Martial Solal. Heureuse époque pour la musique!
La première séance du grand orchestre de Claude Bolling prend place le 22
février 1956 pour mettre en boîte un très long «C Jam Blues» en une seule
prise, avec un génial break par Roger Guérin (les trompettes solos avant lui
sont Fernand Verstraete avec le plunger, puis Fred Gérard). Il a à sa
disposition les meilleurs requins de studio, notamment les lead trompettes
Robert Fassin, Henri Van Haeke et Fred Gérard. Les grands premiers pupitres
André Paquinet (tb) et Jo Hrasko (as) sont conviés. «Chaque séance était soigneusement répétée, section par section,
plusieurs jours avant l'enregistrement»3. Tour de force, il arrive à conserver les mêmes
instrumentistes pour les autres séances. Celles qui suivent, dévolues à Duke,
les 6 mars et 13 avril notamment, complètent l'historique album Joue les
succès de Duke Ellington, Club Français du Disque J69 («Caravan», «Solitude»,
«Drop Me Off at Harlem»). Il obtient le Grand Prix de l'Académie du Disque
Français.
Claude Bolling plays for Duke © photo Michel Lesme, Collection Claude Bolling by courtesy publiée dans Jazz Hot n°509, 1994
D'autres titres sont édités en forme de medleys sous le titre Rolling With
Bolling. Ce big band a aussi joué en public à l'Alhambra (1957, une photo
existe), et pour le ballet de Françoise Sagan, Le Rendez-vous manqué, au Théâtre des Champs-Elysées, là où le chef a rencontré sa future épouse. A
l'Alhambra, en alternance avec Michel Legrand, Hubert Rostaing et Léo Chauliac,
il accompagnait les spectacles de Dario Moreno, Georges Ulmer, Poiret et
Serrault, et d'autres artistes de music-hall (jongleurs, équilibristes, etc.): «j'y ai appris mon métier de musicien
professionnel: on pouvait faire de la bonne musique en accompagnant les
chanteurs populaires»1. Avec raison, Claude Bolling assimile cela à ce que
faisait Duke au Cotton Club. Malgré tout, ce premier big band de Claude Bolling
est surtout une formation de studio. On a fait écouter ces disques à Duke
Ellington qui les a aimés et c'est à partir de là que Claude Bolling a été
adopté par le maître. A ce stade, Claude Bolling n'avait pas fait de relevés des
orchestrations du Duke. Il était parti des thèmes pour en faire des versions
personnelles! A propos du premier morceau enregistré et du medley, il a dit
ceci: «j'ai voulu faire, compte-tenu de
mon jeune âge, un arrangement longue durée sur le thème le plus court de sa
carrière: c'est à dire 'C Jam Blues'. Et puis alors inversement, j'ai voulu
faire un medley de 30 titres [19!], en quelques minutes, il y avait 4 ou 8
mesures de chaque thème. J'ai voulu faire le plus long morceau possible avec le
thème le plus court, et le medley le plus court possible avec le plus grand
nombre de thèmes»2. Devant le succès d'estime, on demande d'autres disques
sur d'autres sujets. Claude Bolling se concentre d'abord sur des œuvres de Django
Reinhardt telles que «Artillerie lourde», «Tears» et «Nympheas» (solos: Fernand
Verstraete, tp, Armand Migiani, bar). En 1957, il faudra trois séances pour
l'album suivant, Les Succès de la Nouvelle Orléans (janvier, mars et
mai). Il utilisera ces orchestrations originales de «High Society» et «St Louis
Blues» pour l'émission télévisée Jazzorama de 1958 (rare occasion pour
Henri Van Haeke d'être trompette solo).
Une particularité prend place les 28 et 29 mai 1956 dans la discographie de
Claude Bolling. Comme il l'a dit, c'est une commande: «c'était un éditeur belge qui voulait faire une série d'enregistrements
de jazz européen. Il m'avait chargé de faire des enregistrements qui soient
représentatifs du jazz français de l'époque. Il y avait toutes les tendances»2. Et donc en tant
qu'arrangeur, Claude Bolling, avec talent parce qu'ouvert à toutes les musiques
malgré une passion pour le jazz dixieland et mainstream, signe là un excellent
disque pour le label Bally également distribué sous le titre Modern Jazz in
Paris par Bethelsmann. Il écrit «Gee Lee» dans le style Gerry Mulligan,
très bien joué par Christian Bellest (tp), Pierre Gossez (bar), Alphonse Masselier et Arthur Motta. Et genre west
coast, un «The Jockey» mis en boîte à la perfection par Roger Guérin (tp),
Jean-Claude Fohrenbach, Pierre Gossez (ts), Martial Solal (p), Victor Apicella
(g), Pierre Michelot (b), Christian Garros (dm). Mais au cours de ces séances,
il signe aussi un très mainstream «Lorraine Blues» dans lequel il tient le
piano et qui sollicite Fred Gérard (tp solo) et trois trombones (Claude
Gousset, Bernard Zacharias, Benny Vasseur); ce titre a été retenu pour l'Anthologie
du Jazz n°3 (Club National du Disque CND 598). Il est amusant de signaler
qu'à l'inverse, la maison Philips a demandé à Michel Legrand d'illustrer le «vieux
jazz», ce qu'il fit au printemps 1957 dans un 45 tours Jazz Panorama. La
parenté de son vient du fait qu'il s'agit des mêmes requins chez Bolling et
Legrand (Fred Gérard, Roger Guérin, Fernand Verstraete, André Paquinet, etc).
Concernant Martial Solal, Claude m'a précisé: «Martial a fait beaucoup de séances au piano pour moi, dans les
musiques de film. Dans les musiques de film, j'ai besoin d'être trois: il en
faut un pour diriger, un en cabine et un au piano. Alors c'était souvent
Martial Solal». En tant que pianiste et arrangeur, Claude Bolling collabore
à l'album Do Not Disturb de Guy Lafitte réalisé en deux séances les 26
avril et 23 mai 1956, respectivement avec Roger Guérin (tp), Roger Paraboschi
(dm) puis Fernand Verstraete et Christian Garros. La collaboration entre ces
deux maîtres français du jazz mainstream est reconduite pour une séance le 30
septembre 1959 pour laquelle Claude Bolling est arrangeur et Georges Arvanitas
le pianiste: excellent «The Jeep Is Jumping» qui vaut aussi pour Roger Guérin
(tp). Les trois titres (réédités en CD) étaient couplés sur le 33 tours 25 cm, Guy
(Columbia FP 1124) par une séance qui s'est tenue deux jours plus tôt avec le
Big Band de Martial Solal (Bernard Hulin, tp solo).
C'est Boris Vian qui fait entrer Claude Bolling chez Philips. Leur
collaboration débute le 1er avril 1957 par un 45 tours en trio avec
Gérard Badini (cl) et Arthur Motta (dm): trois standards et une composition
originale co-écrite avec Badini («Bulle de savon»). Bolling accompagne
Mouloudji pour deux titres d'un 45 tours sorti en août 1957: dans «On m'a dit»,
l'orchestre de Claude est jazz (les autres accompagnateurs sont Jimmy Walter et
André Popp). Claude Bolling réalise deux disques en big band: Bad Boy
(février 1958, à noter Guy Lafitte remplace Marcel Hrasko, ts) et Sarah
(mai 1958). Mais il opte surtout pour le septet/sextet «dixieland» comme il
disait (trompette, trombone, clarinette/sax avec rythmique) en concerts comme
en disques (parfois avec des renforts). La première séance de ce groupe remonte
à septembre 1957 pour un 45 tours comprenant «Oh, c'est divin» (Gérard Badini,
cl, Jean-Jacques Tilché, bjo), «Mon bon vieux phono» et «La Marie-Vison»
(Gérard Lévêque, cl, Francis Le Maguer, bjo). Ce dernier titre, l'orchestre l'a
aussi enregistré avec la chanteuse Jacqueline François. La formation emploie
Bernard Hulin (tp), Claude Gousset (tb), le fidèle Arthur Motta (dm) et chose
particulière, Pierre Gossez au sax basse à défaut de tuba. Seul, en France,
Raymond Fonsèque exploitera comme lui le sax basse dans le «dixieland». Le 45
tours suivant, à vous de danser, est bouclé le 25 novembre 1957. Il
additionne le même septet, sauf Charles Blareau (b), avec «son» big band (les
mêmes requins): «Sensas» (alias «Too Much», succès d'Elvis Presley) est du
maintream pur swing. Etonnante introduction de piano beethovennienne avant
l'exposé de trompette avec plunger dans «Cry Me a River» (superbes solos de
Badini, pulpeux, et du leader, sobre). On retrouve ces titres dans l'album Sensas,
avec du Bécaud («Le jour où la pluie viendra»), Aznavour («Sarah») et des
standards américains signés Richard Rodgers. Ce 33 tours décroche un Grand Prix
du Disque de l'Académie Charles Cros. Les ventes des disques étiquetés jazz étant
faibles, Boris Vian propose à Claude d'enregistrer plus encore des
accompagnements de chanteurs pour Philips: Henri Salvador, Dario Moreno («Piccolissima
Serenata», «Si tu vas à Rio»), Sacha Distel («Scoubidou», 1959). Il travaillera
aussi pour Charles Trenet chez un autre label. C'est le même sort que celui
d'Alain Goraguer et Michel Legrand. Claude Bolling fera cela avec un grand
sérieux sachant s'intéresser à tout: «il
ne s'agissait plus de jazz, mais cela me fit découvrir les musiques
brésiliennes, cubaines, mexicaines, et françaises bien sûr, et m'amena même à
arranger des tangos»3. Cette activité lui a permis
de conserver en activité son septet/sextet, dont les dernières apparitions en
public se situent aux festivals d'Antibes (22 juillet 1968) et d'Andernos. En
1967, François Guin reprend les Trombones Incorporated de Raymond Fonsèque
devenus les Four Bones, et en 1968 il lance le combo les Swingers, avec la même
front-line que celui de Claude Bolling (trompette, trombone, sax ténor) qui en
est la continuité d'autant plus que Gérard Badini en fait partie. En 1969-1970,
Claude Bolling considérait toujours que: «la
pratique du jazz est le luxe que s'offrent les musiciens. Je m'explique: un
musicien de jazz qui veut gagner honorablement sa vie doit le plus souvent
travailler dans les studios ou au sein d'orchestres de danse ou accompagner des
artistes de variétés. Il acquiert ainsi son indépendance. Ainsi lui est-il
loisible d'aller jouer pour 'son plaisir' et bénévolement, quand il veut, où il
veut et avec les musiciens de son choix»3. C’est d’ailleurs ce qu'il fait et en juillet 1958, il
joue lors de l'historique festival de jazz à Cannes, organisé par Charles
Delaunay, en compagnie de Roy Eldridge, Bill Coleman (tp), Coleman Hawkins, Don
Byas (ts), Arvell Shaw (b) et J.C. Heard (dm)!
Chez Philips, Claude Bolling peut poursuivre une intense activité
discographique sous son nom. En grand orchestre avec cordes, la séance
d'octobre 1958 donne un beau slow «Quand l'amour me pardonne» avec d'excellents
solos de Gérard Badini (ts) et Fernand Verstraete (tp). La suivante par les
Dixie-Faunes est du «jazz grand public», enregistré le 4 novembre 1958 en
septet avec Gérard Badini (cl), Claude Gousset (tb) et semble-t-il Fernand
Verstraete (tp): «Ain't She Sweet» nous offre un solo de Pierre Gossez au saxophone
basse. Geo Daly participe au xylophone à «Back to the Charleston» (Jean-Jacques
Tilché, bjo, Roger Paraboschi, wbd). C'est le grand orchestre de studio pour Slow
et Fox, qui offre le slow «Crazy Love» avec le ténor growlant de Gérard
Badini (introduction de Fred Gérard). Tout cela est du jazz sous le masque des
variétés. Retour à une moyenne formation comprenant Claude Gousset (tb) pour «It's
Just a Matter of Time», slow enregistré le 12 juin 1959 (Gérard Badini, ts, Pierre
Gossez, bar, Jean-Jacques
Tilché g, Jacques Hess, b, Roger Paraboschi, dm, probablement Fernand Verstraete,
tp). Roger Guérin est le soliste du big band de requins qui met en boîte le
succès de Richard Anthony, «Nouvelle Vague», le 14 octobre 1959 (Gaby Vilain,
btb). Sur le même 33 tours Philips P76176, se trouve une version de «Si tu vois
ma mère» de Bechet bien harmonisée pour la section de sax comprenant Michel
Attenoux (ss), Jo Hrasko (as), Gérard Badini et Pierre Gossez (ts) (solos: Fernand
Verstraete, tp, Claude Gousset, tb). Dans le même disque, déjà Claude Bolling
jazzifie la Sonate au clair de lune de Beethoven (Fernand Verstraete, tp
solo) et s'en prend au spiritual, «Jericho», avec une grande compétence dans
l'orchestration bien défendue par les requins habituels (interventions en solo
de Benny Vasseur, Fred Gérard). On ne saurait oublier le disque que le big band
de Claude Bolling a consacré à Django avec en soliste le guitariste Sacha
Distel, bon jazzman: arrangements-orchestrations de classe pour «Minor Swing», «Daphnée»
(B. Vasseur, tb, Badini, ts), «Nuages». Claude Bolling et Sacha Distel ont
rendu cet hommage en concert à l'ABC (Jazz Hot n°171, 1961). Les 19 et
24 novembre 1959, Claude Bolling réalise un album en trio (Jacques Hess, b,
Arnie Wise, dm) dédié aux thèmes écrits ou attribués à Duke Ellington, un
univers qui n'a plus de secret pour lui. Sa version de «Black Beauty» et celle
de «Sophisticated Lady» méritent
l'écoute. Il revient au studio le 5 mai 1960 avec son septet dans lequel Bernard
Hulin a fait place à Vincent Casino. La pochette de ce 45 tours, Charleston,
ne donne pas d'indication de personnel comme toujours dans les variétés ou
considérées telles; ici ce sont quatre standards dont «Doin' the Raccoon», «Dinah»
et «Alexander's Ragtime Band» (Gousset, Badini, Tilché, Pierre Gossez, bs, Roger
Paraboschi). Dans le 45 tours de Claude Bolling and his Big Piano, Gousset
(wa-wa), Badini (ts, véhément) et Bolling (low own) font l'intérêt de «Forever,
je t'aime». Il y a aussi un très swinguant «Big Piano Blues» (du madison avant
l'heure). Casino ne participe pas à cette séance et Raymond Perriguey (g)
remplace Jean-Jacques Tilché. Pour l'album Amicalement de Dario Moreno
sorti en 1960, les orchestres de Claude Bolling et de Michel Legrand se
partagent l'accompagnement. Jean-Christophe Averty réalise le 25 mars 1961,
l'émission télévisée Claude Bolling Special Show dont Philips tire
matière à un excellent 33 tours 25 cm. L'orchestre est le septet avec des
renforts: Vincent Casino, Ivan Jullien (tp), Raymond Katarzynski, Claude
Gousset (tb), Claude Civelli (as), Gérard Badini (ts, cl), Pierre Gossez (bs), Claude
Bolling (p), Michel Gaudry (b), Roger Paraboschi (dm). Claude reprend des
morceaux déjà enregistrés comme «Le Piège» orchestré (Claude Gousset, solo), «Bulles
de savon» (trio avec Badini), «Lorraine Blues» (solos: Badini, Civelli, Jullien, Katarzynski), mais propose aussi
l'annonciateur «Bach to Swing», enregistré à part le 12 avril (composé vers
1951 dans le style fugué) qui démontre qu'il n'a rien à envier à Jacques
Loussier (1934-2019) très à la mode dans ses tentatives de swinguer les œuvres de
Bach depuis déjà deux ans.
Ayant épousé la journaliste Irène Dervize-Sadyker le 4 juillet 1959, par
ailleurs amie depuis l'école avec Brigitte Bardot, c'est tout naturellement que
la star se tourne vers Claude lorsqu'on lui demande de chanter. Ils se fréquentent
soit à La Madrague, à Saint-Tropez, soit à Boulogne chez Claude qu'elle
surnommait Dubol. Son septet l'accompagne en 1960 dans un Passing Show
d'Averty avec Raymond Fonsèque (tb, tu) en supplémentaire («Sunny Side of the
Street», «Jazz de 1925»). Bolling et Bardot feront un album en 1962 qui donne
un swinguant «Everybody Loves My Baby» (bons solos de Claude et de Gérard Badini).
«La Belle et le blues» est écrit pour Bardot, paroles de Gainsbourg et musique
de Bolling. Irène Bolling, décédée le 13 décembre 2017 qui fut active pour Paris
Match et Télérama, a été, par ses relations, une intermédiaire dans
l'ascension de la carrière de Claude. Celui-ci est donc sollicité pour écrire
des musiques de films. En 1958, il a commencé par la composition des musiques
pour un court-métrage de Jean-Daniel Pollet (1936-2004), Pourvu qu'on ait
l'ivresse…, illustrant les bals du samedi soir (orchestres d'Emilio
Clothilde et René Racine). La synchronisation entre musique entendue et
musiciens vus à l'écran a été remarquée par Jacques Becker. En 1958, son
orchestre joue la musique de Guy Magenta (1927-1967), dont il a fait les arrangements,
pour le film Oh! Qué Mambo de John Berry avec Dario Moreno en vedette
qui a insisté pour qu'on l'engage. Claude Bolling compose ensuite la musique du
film L'Homme à femmes de Jacques-Gérard Cornu (1925-2011), sorti en
1960, puis Le Jour et l'heure de René Clément (1913-1996) sorti en 1963
et dont il a écrit la partition en trois jours!: «Et
depuis, chaque année, j'écris deux-trois musiques de films pour lesquelles
j'engage les musiciens qui jouent avec moi du jazz ou dans les bals du samedi
et des sociétés»1. En 1972, pour la musique du film Le Magnifique
de Philippe de Broca (1933-2004), écrite en un mois, Claude utilise un
véritable Mariachi qui lui pose problème parce que ces instrumentistes
mexicains ne lisaient pas la musique.
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En décembre 1960, Claude retrouve Duke Ellington qui est à Paris pour la
séance d'enregistrement de deux titres, «Battle Royal» et «Wild Man Moore»,
pour la bande sonore du film Paris Blues à la tête, avec Billy
Strayhorn, de requins de studio (Maurice Thomas, tp1, Jean Baissat, Vincent Casino,
Roger Guérin, tp, André Paquinet, tb1, Marcel Galiègue, Nat Peck, Billy Byers,
tb, Jo Hrasko, as1, René Nicolas, as, Pierre Gossez, ts, William Boucaya, bs,
Jimmy Gourley, g, Michel Gaudry, b, Gus Wallez, Moustache Galépidès, Christian
Garros, dm & perc): «Je lui avais
fourni le piano et le lampadaire. Je le voyais tous les jours. Il me disait:
'viens dîner avec moi!', tout ça. Là, il m'a raconté sa vie. A un moment, il
était avec Billy Strayhorn à travailler sur une séquence du film. Je me
souviens d'une chanson que jouait Duke, quand Strayhorn arrive, s'accoude au
piano, et la chante à la manière d'Armstrong. Alors, Armstrong, qui était à
l'étage en dessous, entend ça et se met à participer comme on le verrait dans
une comédie musicale. Il faisait des contre-chants à la trompette!»2. Louis Armstrong, que Roger
Guérin suivait partout à cette occasion (à chacun sa référence!), était présent
en studio avant qu'il enregistre en re-recording sur la bande faite par
l'orchestre tout comme les autres solistes (Billy Byers, Guy Lafitte, Jimmy Gourley).
C'est à cette occasion que Claude Bolling a bien connu Louis: «Armstrong avait voulu que je fasse partie
du All Stars et puis il m'a dit que cela n'était pas possible. Et même chose
avec Hampton. Lionel voulait que je sois directeur de son orchestre. Et ça n'a
pas marché à cause de l'Union des Musiciens Américains [syndicat]»2. A la même époque Duke est
demandé pour écrire une musique de théâtre: «J'étais
là, à son hôtel, quand Jean Vilar est venu voir Duke pour lui demander de faire
la musique de cette pièce du XVIIIe siècle [Turcaret]». Mais Claude n'était pas à la séance
d'enregistrement de cette musique par Duke et Strayhorn (Fred Gérard alias
Georges Monnin, tp1, Vincent Casino, Roger Guérin, tp, Nat Peck, Billy Byers,
André Paquinet, tb, Raymond Guiot, fl).
Avec orchestre et chœur non spécifiés, sauf Gérard Badini (ts), Claude
Bolling, principal soliste, enregistre les succès de Ray Charles en quatre
séances (Bruxelles, 26 décembre 1961, Paris, 26 janvier et 7-8 février 1962): «Fich'
le camp Jack», «What I'd Say», «Tell the Truth», «Unchain My Heart» sont de
l'excellent jazz. Pour nos oreilles c'est le même orchestre, mais étoffé, que
pour l'émission télévisée du mois de mars précédent (avec le baryton de Gossez).
Le personnel du sextet est remanié dès 1962: Pierre Dutour (tp), Claude Gousset
(tb), Gérard Badini (ts), Claude Bolling (p), Bob Quibel (b), Peter Giger (dm).
Il réalise le 25 mai, deux 45 tours consacrés au madison (dans plusieurs titres
Nat Peck remplace Gousset en cours de séance: «Madison Time», «Mad Madison»).
Ces morceaux sont regroupés sur un album Madison Twist, qui en propose
trois autres en plus, enregistrés en juillet 1962 dont «Ne Boude Pas» qui n'est
autre qu'une version de «Take Five» du combo dans lequel Jean-Claude Naude
remplace Dutour, avec l'ajout de Raymond Guiot (fl). On retrouve cette équipe
avec Guiot et des percussions supplémentaires le 26 octobre pour une bossa
nova, «St Germain du Brésil» (Philips 424 298). L'album instrumental, joue
les airs de Brigitte, propose de l'excellent jazz comme «La Belle et le
blues» (Naude, tp, Guiot, fl, Badini, cl, Gossez, bs), «Noir et Blanc»
(Bolling, Badini, ts, Peck, tb, Naude, tp), le madison «Pas d'avantage» (bon
solo de trompette) et bien sûr «Everybody Loves my Baby» que Bardot a relancé à
la télévision, ici dans une version à la Basie (Gousset, tb). Il a fallu cinq
séances entre le 27 décembre 1962 et le 19 janvier 1963 pour faire cet album.
L'orchestre sonne plus étoffé, et balance bien, dans «Je me donne à qui me
plait» de Gainsbourg, sorti aussi en 45 tours (photo de pochette par Robert
Laplace!), couplé avec l'excellent madison «Chantage», enregistré plus tôt (Gérard
Badini, Pierre Dutour, break de Peter Giger). Le madison convient bien aux
jazzmen. Guy Lafitte s'y adonna aussi.
Mais Claude Bolling n'oublie pas Duke Ellington qui enregistre le 3 janvier
1963 à la Salle Wagram A Tone Parallel to Harlem et le 3e mouvement
de Night Creature. En plus de l'Orchestre du Duke, il y avait un
orchestre symphonique monté pour l'occasion dirigé par Gérard Calvi, baptisé
Paris Symphonic Orchestra, comprenant Louis Menardi (tp1), Maurice André, Alex
Caturegli, Vincent Casino (tp), André Gosset (tb1), Charles Huss, Benny Vasseur
(tb), Raymond Fonsèque (btb), Georges Barboteu, Michel Bergès, Gilbert
Coursier, Michel Faucon (cor), Elie Raynaud (tu), des cordes dont Jean-Pierre
Wallez (vln). Claude y retrouve Duke: «Et
qui il a fait venir en cabine pour superviser? Mezzrow! Qui ne connaissait pas
la partition alors que moi je savais comment elle était écrite...quelque part,
il m'aimait bien, mais par ailleurs, comme il sentait que je voulais jouer son
rôle, il me jalousait un petit peu... En même temps, j'étais son fils, et en
même temps, pas trop.»2 Claude était là aussi, la même année, lors de la Jazz
Violin Session par une formation réduite du Duke avec en plus Svend
Asmussen et Stéphane Grappelli. Il observait, c'est tout: «alors moi, j'étais là encore à ronger mon frein et il faisait faire la
supervision artistique par le pianiste de Fernanda de Castro Monte [1900-1994]
qui était sa compagne à l'époque (Fernanda était chanteuse de cabaret). C'est
lui qui faisait la supervision que j'aurais pu faire»2.
Autour de X, Duke et Ernie Shepard (assis), on reconnaît debout Stéphane Grappelli, Svend Asmussen, Sam Woodyard et Claude Bolling photo X, by courtesy of Claude Bolling, parue dans Jazz Hot n°495, 1992
Ensuite, outre Gérard Badini, on entend Claude Bolling (p) et Jean-Pierre
Guignon (org) dans l'enregistrement de «Snap Party» réalisé le 21 avril 1963.
L'album Bolling's Band's Blowing, réalisé en trois séances en juin, par
le sextet avec Jean-Pierre Guignon, reprend «Nuances» enregistré sept ans plus
tôt pour le label Bally. Après deux 45 tours consacrés au hully gully, autre
danse «yé yé» en vogue, le sextet de Claude Bolling remplace celui de Roger
Guérin dans l'émission Age Tendre et Tête de Bois d'Albert Raisner.
L'émission est diffusée le samedi après-midi en direct du Moulin de la Galette
à Montmartre. Il accompagne Johnny Hallyday, Adriano Celentano et bien d'autres;
mais à chaque émission, Albert Raisner lui accordait un instrumental. Raisner
aimait le jazz. C'est de cette émission que sortira le groupe vocal Les
Parisiennes (1964) et le premier essai de crossover! L'éditeur de Claude
Bolling, Jean Kluger, lui conseille de profiter de cette émission pour lancer
un ensemble vocal féminin joyeux comme il en existe aux Etats-Unis, ce qui
donne «Il fait trop beau pour travailler» par Les Parisiennes (1964). Sans
espérer le succès, Claude Bolling engage pour ce disque, qui aurait dû rester
le seul, quatre choristes de studio: Nicole Croisille, Danielle Licari, Michèle
Dornet et Nadine Doukan. Les ventes du disque amènent une demande de tournée.
Les chanteuses de studio ne pouvant pas se libérer, Claude monte d'autres
Parisiennes comprenant Anne Lefebure, Raymonde Bronstein, Anne-Marie Royer et
Hélène Longuet. Elles resteront très populaires jusqu'en 1971 remettant Claude
Bolling sous les lumières pour le grand public puisque c'est lui qui a composé
presque tout leur répertoire assimilant avec souplesse et talent les modes de
l'instant comme le style des Tijuana Brass d'Herb Alpert pour «L'Argent ne fait
pas le bonheur» (1966). Le groupe a un contrat pour quatre 45 tours par an.
Claude, travailleur, réalise avec elles environ quatre 33 tours et divers 45
tours. Son orchestre les accompagne en concert pour les grandes occasions
(Bobino, l'Olympia). L'émission de Raisner, change de titre en 1965, Tête de
Bois & Tendres Années (Henri Salvador, Guy Marchand, Claude François
avec Claude Bolling) et dure jusqu'en 1968. Albert Raisner continuera un temps
à faire d'autres émissions télévisées. Au cours de l'une d'elles, il propose à
Claude Bolling de jouer en duplex, en duo de piano avec le virtuose classique
Jean-Bernard Pommier. Claude est au Moulin de la Galette et Jean-Bernard Pommier
à la base militaire de Creil (il y effectue son service militaire). Ils jouent
ensemble la composition de Claude, «Bach to Swing», dont nous avons parlé.
L'expérience a plu à Jean-Bernard Pommier qui voulut une suite qui est née en
1972 avec le genre crossover dont nous reparlerons.
Le 20 mars 1964, Claude Bolling
participe pour trois titres à l'album A Chat With Cat de Cat Anderson
(1916-1981) avec des ellingtoniens (Buster Cooper, Russell Procope, Paul
Gonsalves, Sam Woodyard) et Roland Lobligeois (b) («A Gatherin' in a Clearing»,
«Confessin'», «For Jammers Only»). L'expérience est bonne et l'année suivante,
les 29 et 30 janvier, Cat Anderson enregistre tout un album avec Claude Bolling
& Co qui sont Buster Cooper, Chuck Connors (tb), Paul Gonsalves (ts),
Charlie Blareau (b) et Sam Woodyard (dm). Dix titres dont deux, «Clementine» et
«The Twins», dans lesquels sont ajoutés Pierre Dutour (tp), Claude Gousset (tb),
Gérard Badini (ts). Pour cela aussi, Claude a constaté des rapports certes
amicaux avec Duke mais ambigus: «il
n'aimait pas ça Duke! Je ne m'en rendais pas compte à ce moment-là. Une fois,
il avait organisé une répétition l'après-midi pour un concert du soir, pour
casser une séance»2.
Ayant maîtrisé le style de grands pianistes de jazz, l'orchestration dont
les manières ellingtonienne et basienne, Claude Bolling ne s'arrête pas là. Sa
curiosité et les commandes le poussent à étudier toutes sortes de musiques
autres que le jazz. Il les analyse pour savoir de quoi elles sont faites, ce
qui constitue leur particularité. Il réalise que «la musique est un langage et qu'elle doit s'apprendre comme tel, c'est
à dire qu'il faut en assimiler à fond la grammaire et la syntaxe avant
d'espérer en acquérir l'absolue maîtrise, par une pratique de tous les instants»3. Pour de coupables raisons
commerciales, compte tenu du succès remporté par Jacques Loussier, Jean-Jacques
Tilché, ex-guitariste devenu directeur artistique chez Philips, demande à
Claude Bolling de jazzer Mozart. Même s'il l'a fait pour Beethoven et a évoqué
Bach dans une composition de son cru, il refuse car il ne veut pas toucher aux œuvres
classiques. Puis en chemin, la Marche Turque lui trotte dans la tête et
il conçoit ce qu'il peut en faire en jazz. Comme on devrait le savoir depuis
Jelly Roll Morton, le jazz est une façon de jouer qu’on peut appliquer à toutes
sortes de thèmes qu'ils soient signés Scott Joplin, Georges Brassens, Rouget de
Lisle ou Mozart. Il en résulte, enregistré en octobre 1965, un disque qui fit
sensation, Jazz Gang Amadeus Mozart. Claude Bolling utilise son septet
régulier de jazzmen avec des requins en renfort dont l'excellent Pierre Sellin
(tp), Michel Portal (cl), Pierre Gossez (ss), Charles Verstraete (tb), Gaby
Vilain (btb) et dans La Petite Musique de Nuit des cordes dirigées par
Jean Gitton. Ce n'est pas aussi original qu'on l'écrit puisque le trompette
Kenny Ball avait déjà enregistré en 1963 le «Rondo a la Turk» (Kapp) mais la
version de Bolling sur tempo plus rapide est impressionnante avec un Pierre
Sellin en grande forme.
Les 16, 17 et 18 mars 1966, il réalise un album consacré au ragtime en
piano solo sur la demande de Jean Tronchot. L'idée lui a plu: «je me suis
appliqué à me mettre dans la peau des musiciens qui ont joué jadis cette
musique, comme un musicien classique travaille Mozart ou Debussy en vue d'un
concert au cours duquel il sera tout pénétré de l'œuvre du compositeur»3.
Claude Bolling a ainsi étudié et joué du William Krell, Scott Joplin («Maple
Leaf Rag»), Tom Turpin, sans oublier «The Weary Blues» d'Artie Matthews qui est
la première apparition imprimée d'une basse boogie woogie (dépôt légal le 25
octobre 1915). Il avait déjà joué à la télévision pour l'émission Jazz
Memories ce «On the Mississippi» du chanteur-compositeur Arthur Fields
(1888-1953), édité en 1912, mais en trio avec Léo Petit (bjo) et Raymond
Fonsèque (tu) (1959). Et c'est d'ailleurs à cause du succès de cette émission
de Jean-Christophe Averty, que le ragtime a retrouvé un moment d'intérêt en
France. Claude Bolling avait aussi enregistré quatre de ces ragtimes, en trio
conventionnel, avec Bob Quibel (b) et Peter Giger (dm) en 1962. Toujours en
1966, il enregistre plusieurs titres avec Juliette Gréco («Dix huit jours», «Marions-les»,
«Les Moutons», «Rue des chanteurs»); André Popp et Alain Goraguer ont fait le
reste. Sur un 45 tours enregistré en octobre 1967, au revers d'un indicatif
pour Europe 1, on trouve une pièce co-écrite par Vladimir Cosma et Claude
Bolling, «Eurotopsy» (big band, cordes, orgue, rythme binaire). Toujours sur la
demande de la maison Philips, Claude Bolling consacre en piano solo, un album
au boogie woogie les 1er et 2 octobre 1968: «J'étudie à fond le style de ces pianistes, d'après une sélection de
leurs disques je travaille leur doigté, leur technique propre, le tempo, la
polyrythmie, etc., jusqu'au moment où je pense être parvenu à m'identifier avec
leur musique et à m'exprimer naturellement dans leur langage»3. Il a notamment étudié Pete
Johnson, Meade Lux Lewis, Pine Top Smith. Et il a composé dans ce style («Triplets
Bass Boogie», «Just Jokin'»). Du coup, Claude Bolling propose un album en piano
solo chaque année: le blues (novembre 1969, il n'oublie pas «Blue Serge»), les
standards libellés «Jazz Classics» (1970, Gershwin, Berlin, Kern, Porter), un
hommage aux pianistes (1971, Morton, Le Lion, Hines, Waller, Ellington, Garner,
Monk, Silver). Il ne s'arrêtera pas là. On remarquera sa version d'«In a Mist»
de Bix (1973, au studio Davout sur un Steinway). Au Palais des Sports, à Paris,
le 14 novembre 1973, filmé par Averty, Duke Ellington fait venir deux pianistes
pour jouer avec son orchestre, Raymond Fol et Claude Bolling («Take the A Train»):
«C'est arrivé deux fois! Il ne le faisait
jamais... C'était au Palais des Sports. Il avait voulu faire venir Aaron
Bridges qui était trop loin dans la salle et n'a pas pu accéder. Mais Raymond
et moi étions en coulisse. Il nous a fait venir. Il m'a dit après: 'Nous jouons
à Bruxelles après-demain, viens avec nous'. Là, il m'a fait rejouer»2.
Une constante de la vie de Claude Bolling est que les événements viennent à
lui. En 1973: «j'assurais la direction
musicale des émissions de Maritie et Gilbert Carpentier et qui me demandaient
de faire à chaque émission [télévisée], chaque semaine, un numéro musical, de
la chanson, un sketch, dont un morceau dans un style d'orchestre comme on n'en
faisait plus [«Just Play»]; ça plaisait aux musiciens»2. Avec ces «requins», Claude
enregistre un premier disque strictement jazz en 1973 en le baptisant Show Biz
Band pour marquer d'où il vient. Claude Bolling, comme ces musiciens de studio,
sont des jazzmen dans l'âme. La section de trompettes menée par Maurice Thomas,
déjà là en 1956, est complétée par trois solistes de valeur, Jean-Claude Naude,
Pierre Sellin et le fidèle Fernand Verstraete. Charles Verstraete est souvent
le premier trombone, et selon les disponibilités Jacques Bolognesi, Bill
Tamper, Michel Camicas, François Guin, Charles Orieux et le trombone-basse
Emile Vilain (frère de Gaby). Le lead alto est alors Jacques Noureddine. Les
fidèles Gérard Badini et Pierre Gossez sont de l'aventure tout comme Marcel Canillar,
Jean-Louis Chautemps. Max Hediguer (b), Pierre Cullaz ou Francis Le Maguer (g),
Pierre-Alain Dahan ou Michael Silva (dm) font tourner la rythmique avec Claude
au piano. Le gratin du moment! Le premier disque, Swing Session reçoit
le grand prix de l'Académie Charles Cros et permet un concert à la Maison de la Radio. La salle est pleine de jeunes enthousiastes, heureuse époque! Donc
Claude et les musiciens décident de ne pas en rester là. Ils se voient
régulièrement, tous les mois. Claude Bolling monte un répertoire notamment de
compositions nouvelles (créativité!) pour être prêt à des demandes de concerts.
Si le chef fait encore référence à Duke, l'orchestre a aussi une parenté avec Count Basie, dans la rondeur de la section de sax qui évoque celle menée par
Marshall Royal et la présence rythmique de la guitare. Pour obtenir un bon
résultat, Claude Bolling ne supporte pas beaucoup les remplacements,
tout comme Count Basie chez qui il n'y avait pas de remplaçants, il n'y avait
que des successeurs! Lorsque notre Société Amicale de Musique Populaire à
Bourges invite le big band, le jour de l'anniversaire de Benny Vasseur, le 7
mars 1986, il y a deux remplaçants, et aux postes clés: Eric Giausseran (tp1)
et Roger Caron (tb1, qui a pris le solo dans «Borsalino»). Le comble a été
atteint pour une émission télévisée de 1976, lorsque tous les trompettes sont
des remplaçants: Michel Poli (qui mime le solo de Naude), Gilbert Dias, Georges
Gay et Alex Caturegli! La seule solution était pour l'orchestre vu à l'écran de
faire semblant de jouer sur le disque de «Suivez le chef» (Loulou Vezant, lead
tp). Un document! Mais ce sont les titulaires qui jouent lors d'un Grand
Echiquier consacré à Léo Ferré en 1975 (Maurice Thomas, tp1, Naude, Sellin,
Verstraete, tp, Camicas, Vasseur, Badini, Chautemps, Gossez) dans «Trade Mark», «Suivez le chef» et une jam avec Maxim Saury
(cl) et Moustache (dm).
Une série d'albums immortalise cette formation consacrée au swing, avec de
nouveaux morceaux comme «Duke's Beat» (1973), «Paris en Bouteille» (1974), «Duke
in Mind» (1976). Signalons la créativité rythmique de «Big Boss Birthday» en
10/4 (qui se décompose 3/4+3/4+4/4). En 1976, Jean-Claude Naude a laissé sa
place à Loulou Vezant et Patrick Artero, Jacques Noureddine à l'excellent Jean
Aldegon. Denis Fournier et André Villéger ont intégré la section de sax, et
Marcel Sabiani assure à la batterie. En 1979, le Big Band (Maurice Thomas,
Loulou Vezant, tp1, Bill Tamper, tb, Jean Aldegon, as1, Maurice Bouchon, dm)
laisse un double album avec des invités de marque: Cat Anderson (ajouté à la
section: Thomas, Vezant, Artero, Verstraete), Thad Jones («61st & Reach It»,
«Back Bone»), Joe Williams («Work Song», «Blues in My Heart», «Just the Way You
Are», «It Don't Mean a Thing»), Carmen McRae («Bye Bye Blackbird», «End of a
Beautiful Friendship»). A l'étranger, on reconnaît à Claude Bolling l'art
d'écrire des choses de son cru qui sonnent comme de l'Ellington: «il faut respecter l'orchestration, mais il
faut la jouer avec les sonorités, la couleur, le style nécessaires». Claude
est conscient que le texte ne suffit pas, c'est la façon de jouer qui compte et
donc trouver les musiciens aptes. Il a précédé Wynton Marsalis dans ce
savoir-faire ellingtonien, Wynton qui par ailleurs a été enthousiasmé par le
jeu en stride du pianiste Claude Bolling. Le Big Band fait des tournées aux
Etats-Unis (1989, 1991: Denver, Miami,...) et joue dans le monde: Genève,
Séoul, Mexico, Bogota, Bangkok! L'orchestre assura des projets avec des
solistes invités et non des moindres: Cat Anderson (Limoges, 1979), Frank
Foster, Clark Terry, Jon Faddis.
Le moins attendu est sans doute le délicat
swingman Stéphane Grappelli (1908-1997) en 1991: «je n'osais jamais lui en parler parce que c'était un homme un peu
fragile, alors avec des trompettes et des saxophones! Et puis un jour, nous
avons été programmés au même concert, au Théâtre de la Ville au Châtelet. Nous
faisions la première partie, et lui faisait la deuxième en duo avec Martial
Solal...Stéphane a fait savoir par un ami commun qu'il avait adoré l'orchestre.
Ayant cette commission de sa part, j'ai pris mon téléphone et j'ai appelé
Stéphane...J'ai pensé qu'il serait plus à l'aise sur des classiques qu'il
connaissait bien»2. Claude a composé deux morceaux pour Stéphane, «Stéphane»
et «De partout et d'ailleurs». A partir de 1998, Didier Lockwood reprend le
rôle de Stéphane auprès de Claude Bolling. L'autre invité inattendu est le
fameux trompettiste Maurice André (1933-2012) qui convie le big band à jouer
lors de son premier Grand Echiquier à la télévision, diffusé le 27
novembre 1980. L'orchestre interprète «Don't Be Late» (Marc Thomas, Fernand et
Jean-Claude Verstraete, Patrick Artero, tp). Claude y accompagne aussi au piano
le duo Dizzy Gillespie et Maurice André («Whispering»). Dizzy a fait état de
son admiration envers Claude. Il est convié avec son big band au deuxième Grand
Echiquier de Maurice André, diffusé le 28 octobre 1987. L'orchestre est
plus copieusement sollicité (Kako Bessot, tp1, Michel Delakian, Patrick Artero,
Fernand Verstraete, tp) notamment pour accompagner un duo entre Maurice et
Fernand Verstraete dans «Singin' in the Rain» et, augmenté par l'Orchestre
d'Auvergne, «Deep Purple».
Le Big Band a un répertoire très vaste disponible à la carte, plein d'œuvres
originales de Claude Bolling, très Basie dans «Quietly», «Paris en Bouteille», «Soft Call» ou «Attrape», susceptibles de mettre en valeur les trombones («Trombinacoulos»,
«Paté de canard») ou le sax baryton («Big Golden Pipe Rhapsody»). Sa
versatilité est bien illustrée en 1990. Ainsi, l'orchestre joue la Black,
Brown & Beige au festival d'Antibes le 25 juillet (solistes: Daniel
Dallolmo, vln, Guy Bodet, André Paquinet, Fernand Verstraete), tandis que peu
après le 31, au Château de Pluvy dans le cadre du Festival des Monts du
Lyonnais de Pierre Dutot, Claude Bolling a mis en valeur ses trompettistes:
Philippe Corcuff («Cornet Shop Suey»), Guy Bodet («Do You Know What It Means»),
Fernand Verstraete («Flowers of Love») et les trois, plus Christian Martinez («Strike
Up the Band»). Le Show Biz Band devient donc le Claude Bolling Big Band qui a
lancé, sinon fait débuter, un grand nombre de swingmen: Christian Martinez,
Patrick Artero, Michel Delakian (dès 1980), Guy «Mimile» Bodet, Michel Bonnet,
Jean-Christophe Vilain, Claude Tissendier (dès 1977), André Villéger, Pierre
Schirrer, Carl Schlosser, Philippe Portejoie (dès 1987), Laïka, Marc Thomas,
Faby Medina (dès 2001) et nombre d'autres. Avec constance, il fait cohabiter
les vétérans et les jeunes: «Le mélange des
générations a toujours été bénéfique. Les jeunes apportent un sang neuf. Les
anciens apportent leur savoir-faire, leurs connaissances. Evidemment,
l'inconvénient, c'est que nous ne sommes pas subventionnés, nous ne l'avons
jamais été. Pour engager un jeune, il faut lui assurer un minmum mensuel. Nous
ne sommes pas subventionnés parce que nous sommes accusés de ne pas être
créatifs et pourtant, nous sommes de ceux qui créent le plus»2.
Le tournant se situe dès 1987, après le Festival d'Angoulême consacré à
Ellington qui a donné les disques Bolling Band Plays Ellington: «on nous avait demandé de faire la soirée de
clôture. Du reste, dans Jazz
Magazine, nous sommes les seuls
dont le concert n'a pas été chroniqué. Pourtant la presse locale était
dithyrambique. Le dénigrement a commencé là, déjà»2. Eh oui, celui qui est l'ami
de Duke Ellington, respecté par Louis Armstrong, Dizzy Gillespie et Wynton
Marsalis est désormais régulièrement mal traité par les «critiques»
progressistes, notamment Serge Loupien, Daniel Soutif, Michel Laverdure hélas (Jazz
Magazine) et Alex Dutilh (Jazzman). Les écrits restent. Et ce
snobisme d'un créativisme aussi mal assimilé que la nature même du jazz démarre
d'une méprise en germe dès les années 1970. Aux Etats-Unis, un label a eu
l'idée d'enregistrer en haute fidélité la réplique exacte des disques qu'aimait
un public jeune durant la guerre. A la consternation d'Hugues Panassié et
Stanley Dance, on a fait jouer la transcription exacte de ces morceaux de la
Swing Era par des musiciens de studio sans solliciter les créateurs encore en
vie (Ellington, Basie, Hines, etc) «parce qu'ils n'auraient pas jouer les solos
comme dans le disque». A la suite de cette incongruité sont nés des «Repertory»
Orchestras. Et en France, qui baigne au cours des années 1980 dans le
favoritisme subventionné à la «création» et l'idéologie progressiste, le pas a
été franchi. Tout ce qui est swing appartient au passé, au «répertoire», donc
c'est ringard. On n'a à la bouche que la «création» versus le «jazz de répertoire»
(une ânerie). Le jazz n'est pas par nature un répertoire, subjectivement
créatif ou passéiste, mais une façon de jouer indépendante de l'époque qui est
jazz ou pas. Et Claude Bolling, qui swingue avec constance, a parfaitement
démontré ce principe. Bien évidemment en cette période où les progressistes (en
«classique» comme en «jazz») sont au pouvoir, la candidature de Claude Bolling
pour être nommé à la tête de l'Orchestre National de Jazz n'a pas été retenue,
et Raymond Fonsèque qui s'est présenté au concours pour l'enseignement du jazz
(Diplôme d'Etat) a été recalé sur des questions de musique contemporaine.
Ellington et Armstrong auraient échoué sur ces mêmes critères. Ainsi, on les invite,
mais sans trop en faire cas. Lorsque le Big Band de Claude Bolling est
programmé pour jouer à Jazz in Marciac
le 8 août 1999, c'est aux arènes et non pas sous le chapiteau. Et personne de
l'organisation n'a été là pour l'accueillir à la balance, j'en fus témoin. Le
résultat fut un très beau concert purement jazz (James Powell, tp1) avec
d'excellents solistes qui n'ont en rien copié les solos d'autrefois sur «The
Mooche» (Bonnet, Schirrer, Villéger, Tissendier), «Creole Love Call» (Maud,
voc, Villéger, bcl, Schirrer et Mayoral, cl, Bonnet, tp) et «Mood Indigo»
(Powell, Vasseur, Mayoral, Marc Thomas). Et Claude, bon prince, n'a pas lésiné
sur les bis. La composition de jazz n'existe pas, même si c'est un jazzman
comme Bolling qui signe le morceau. Tout est dans la façon de jouer. La
suffisance et l'inculture n'ont d'égal que l'ignorance et l'incompétence chez
ces «critiques» de «jazz» qui hélas ont une influence snobinarde non sans
conséquence, notamment sur les organisateurs de festival: l'esprit se réduit au
lavage de cerveau. On voit aujourd'hui ce qui reste des musiques subventionnées
comparées à l'œuvre de Claude Bolling. L'équipe de Jazz Hot a dû prendre
la défense de Claude Bolling après un article à charge contre lui et son
orchestre dans la revue Jazzman n°49 (juillet-août 1999), l'espace de
trois numéros, un éditorial (n°563) et une tribune offerte à ses musiciens (n°564,
565) qui l'ont soutenu (Michel Delakian, Claude Tissendier, Christian Martinez,
Guy Bodet, Philippe Portejoie). On comprend pourquoi Claude Bolling choisissait
ses interlocuteurs. Le 28 novembre 1998, il fait savoir à Raymond Fonsèque
qu'il aimerait être interviewé par le signataire. Nous avons donc réalisé cet
entretien le 9 janvier suivant, chez lui à Garches, dans sa pièce consacrée à
la musique. Claude Bolling avait choisi Jean-Pierre Daubresse, un ancien de Jazz Hot, décédé lui aussi en ce début d'année 2020, pour rédiger sa
biographie publiée en 2008 (Bolling Story, éditions Alphée), préfacé par Alain Delon, chroniquée dans Jazz Hot n°645. Nous avons vu lors de notre rencontre que Claude lui-même en avait déjà réuni les éléments en janvier 1999.
Michel Laplace et Claude Bolling, Garches, 9 janvier 1999 © Lisiane Laplace
A ma question, «ceux qui assimilent
le jazz au fait d'improviser se trompent-ils?». Claude Bolling a été
catégorique: «Absolument. Il peut y avoir
du meilleur jazz sans une note d'improvisation et du pire qui soit improvisé.»2 Nous étions d'accord sur le
chef-d'œuvre, «Koko» de Duke Ellington: «tout était écrit»2. C'est donc un rare cas où l'on pourrait parler de «musique
de répertoire» encore faut-il, nous l'avons dit, le style d'interprétation qui
convient à ce traité d'orchestration hot d'une telle complexité qu'avec
un étonnement émerveillé Ernest Ansermet a dit à Panassié qui lui a fait écouter
le disque: «c'est inanalysable». Même André Paquinet n'était pas à l'aise pour
jouer au trombone à coulisse le simple blues joué par Juan Tizol au trombone à
pistons, en 1940 avant le solo wa-wa de Tricky Sam Nanton plus simplement
restituable pour Benny Vasseur, tout cela en concert à Jazz aux Remparts
à Bayonne, le 16 juillet 1999. Ce jour-là, au cloître, Claude avait aussi donné
un récital en piano solo (beaux «Black Beauty», «Echoes of Spring»). Claude
Bolling a certes reconstitué d'autres œuvres de Duke dont on doit lui savoir gré
car le maître n'a pas laissé grand-chose derrière lui en dehors des disques
dans lesquels, comme il se doit, l'interprétation d'un même thème variait d'une
version à l'autre. En 1989, il a interprété la suite Black, Brown &
Beige à partir de l'enregistrement du Duke à Carnegie Hall en 1943 (loin de
la HiFi) et de documents fournis par Mercer Ellington: «j'ai amalgamé les thèmes principaux pour faire le final. Mais tout le
reste est respecté, à quelques détails près, je peux dire améliorations, car ça
avait été fait très vite à l'époque. Il y avait des négligences»2. Ce qui prouve le peu
d'intérêt porté par Duke à l'écrit.
En marge du big band régulier, Claude Bolling, hyperactif, laisse beaucoup
de traces. D'abord, il reste fidèle aux diverses activités de Jean-Christophe
Averty démontrant son attachement aux racines. Pour lui, à la télévision,
Claude accompagne des Black Pearls, ces chanteuses de «blues», célèbres dans
les années 1920: Victoria Spivey (1973, «I Got the Blues so Bad») puis Edith
Wilson (1974, «My Handy Man», «Baby Won't You Please Come Home»). Il participe
aussi avec Patrick Artero au film d'Averty, To Bix or not to Bix (1976).
De même il enregistre des duos trompette et piano avec Irakli qu'Averty diffuse
dans son émission de radio, Les Cinglés du Music-Hall. Il fait aussi un
album en quartet (Paul Piguillem, g, Max Hediguer, b, Marcel Sabiani, dm) dans
lequel chaque titre est dédié à un pianiste; si on retrouve dans des thèmes
originaux, Joplin, Morton, Waller, Ellington, Tatum, Monk, on découvre un
hommage à Oscar Peterson, et moins attendu à George Shearing, Dave Brubeck et
Ramsey Lewis (1975). En trio, avec Max Hediguer et Marcel Sabiani, il explore
des standards signés Hoagy Carmichael («Stardust»), Charlie Shavers («Undecided»)
et fait un retour sur le thème de «Borsalino» (1978). Avec les mêmes, il
revisite son «Bach to Swing» (album Specialities), puis une autre fois
encore avec Jean-François Rougé (b) et Jean-Luc Dayan (1984). Et puis, il y a
cette émission à trois pianos, Oscar Peterson Michel Legrand et Claude Bolling
(1984, voir Vidéos). Son œuvre en tant que compositeur est énorme. D'une part, sa production
pour les films. Le succès remporté par le film Borsalino sorti en 1970
est dû à la musique comme le reconnaît l'acteur Alain Delon. Le hasard fait
bien les choses, car sur commande, Claude Bolling venait de faire une maquette
dans le style piano-bastringue pour un projet de disque lorsque le cinéaste
Jacques Deray lui demande des échantillons musicaux pour son projet de film.
Entre autres choses, Claude Bolling lui adresse cette bande jouée en
piano-bastringue, «Il pleut toujours quelque part» (déposé à la SACEM les 12-19
novembre 1969). Le choix de Deray et Delon se porte sur ce morceau et rien
d'autre qui devient «Borsalino» (déposé à la SACEM les 12-25 mars 1970). On
notera que ce thème peut être facilement jazzé, même en big band avec un swing
sans concession tel qu'il l'enregistra en 1996. Cette activité l'amène ensuite
à travailler pour la télévision. Un réalisateur a demandé quelque chose comme Borsalino
pour la série Les Brigades du Tigre (1974-1983). Puis, Victor Vicas lui
confie en 1979 la musique de L'Etrange Monsieur Duvalier dans laquelle
Claude Bolling fait intervenir un siffleur qui n'est autre que son violoniste
de studio, Michel Ganot de l'Opéra (l'autre grand siffleur pour les musiques de
film était le corniste Georges Barboteu). Claude Bolling a reconnu que c'est le
cinéma qui l'a fait entrer dans des univers musicaux dans lesquels il ne serait
jamais entré. Claude Bolling a été en 2009 le lauréat du prix Henri-Langlois d'honneur à l'occasion du centenaire de la musique de film. Il a également été nommé en 1986 au 11e César de la meilleure musique de film pour 0n ne meurt que deux fois (Jacques Deray, 1985) et en 1999 au 24e Cesar de la meilleure musique de film pour Hasards ou coïncidences (Claude Lelouch, 1998).
Claude Bolling et Maxim Saury à la fête des 70 ans de Jazz Hot, en arrière-plan Roger Paraboschi et Dany Doriz Caveau de La Huchette, Paris, 17 mars 2005 © Jérôme Partage
Il y a aussi à la suite eu duo de piano avec Jean-Bernard Pommier, dont
nous avons parlé, qui donna naissance à l'incroyable aventure internationale
dite crossover. De tout temps, des virtuoses classiques ont admiré des jazzmen.
Harry Glantz, le trompette d'Arturo Toscanini, était en extase devant Louis
Armstrong, l'admiration de Vladimir Horowitz pour Art Tatum n'a d'égal que
celle de Yehudi Menuhin pour Stéphane Grappelli. Pour avoir connu des virtuoses
classiques à la technique impeccable, il nous est clair qu'ils faisaient le
complexe du jazz. Ils aspiraient à cette liberté de phraser et à cette faculté
expressive. On connaît l'échec du mouvement «Third Stream» parce qu'on a voulu
transformer le jazz (une façon de jouer) en un art compositionnel savant.
Claude Bolling, lui, a trouvé la clé, inspiré par ce que lui a demandé le
flûtiste Jean-Pierre Rampal (1922-2000), grand amateur de jazz: «faites classique pour ma flûte et vous,
vous joueriez du jazz». Chacun garde son identité et grâce à son
savoir-faire: on passe de façon naturelle du phrasé classique au phrasé jazz
qu'il assume avec son trio, c'est aussi ludique que pédagogique. Ce qui a donné
«Baroque and Blue» (titre se référant au «Black and Blue» de Fats Waller,
1929). Jean-Pierre Rampal heureux en a voulu plus, ce qui a donné une Suite
(le disque est resté 530 semaines au classement du Billboard). Un coup
de génie qui n'a pas échappé aux artistes classiques qui ainsi ont le sentiment
de participer à du jazz; et non pas à «en faire», les maîtres de l'époque
étaient humbles. Les évènements ont une fois de plus amené Claude sur une voie.
Il travaille pour et avec les plus grands virtuoses de son temps, de divers
instruments, souvent sur la suggestion de Rampal: Alexandre Lagoya (g), Pinchas
Zuckerman (vln). Cependant la proposition faite à Mstislav Rostropovitch n'a
pas marché et c'est la compagnie de disque qui a proposé Yo-Yo Ma à la place.
Le grand Maurice André n'a pas voulu être en reste et l'on connaît son amour du
jazz. Cette collaboration sera la plus marquante avec celle de Rampal. Au point
qu'Arturo Sandoval aurait aimé un projet similaire qui ne s'est pas fait.
Claude a aussi écrit pour Lily Laskine (1893-1988), La Princesse pour
harpe, flûte et violoncelle qu'elle n'a pas eu le temps d'enregistrer. Pour la
télévision française, il y aura une collaboration de son trio avec Guy Touvron
(tp), Marielle Nordman (hp), Patrice Fontanarosa (vln) et Renaud Fontanarosa
(cello) (1993). Aux Etats-Unis, Hubert Laws (fl) collabore avec Bolling. Au
total, c'est un succès qui inscrit durablement Claude Bolling sur la planète
musique car ce crossover correspondait à une attente des musiciens classiques
qui lui sont infiniment reconnaissants (finalement plus qu'un certain milieu
jazz), le public a aimé et c'est de la bonne musique. L'œuvre pour flûte et
celle pour trompette imposée par Maurice André, sont toujours jouées partout.
Des extraits de Toot Suite sont même inscrits lors des concours de
recrutement, comme c’est le cas en 2021 pour la Musique de la Gendarmerie
Mobile. Toute cette expérience a amené Claude Bolling à la composition
strictement «classique», avec des œuvres comme Dans les bois pour trio
de flûte, clarinette et basson, et Le Papillon pour saxophone et piano, pièce
dans laquelle l'influence jazz est malgré tout perceptible (enregistrée par
Philippe Portejoie, as). Les références de Claude Bolling vont de Bach à
Debussy, Ravel, Stravinsky («je ne vais
pas au-delà»).
Claude Bolling a enseigné au conservatoire de Rueil-Malmaison et à l'académie
d'été de Nice où il eut respectivement pour élèves Nadine Sadarnac et Francis
Gaillot avec qui nous avons, en big band, joué du Bolling («Paris en Bouteille»)
et invité des Bollingtoniens (Henri Van Haeke, 1979; Roger Guérin, 1980). Il a
bien sûr était membre du jury de l'Euro-Jazz Festival de Rueil-Malmaison
(Hauts-de-Seine), lancé en 2007. Mais sa passion reste le big band qu'il veut
faire vivre, quitte à renoncer à un cachet pour lui-même. Le 19 juillet 1992,
c’est une incroyable réunion de son big band avec celui d'Illinois Jacquet sous
le chapiteau de Jazz aux Remparts
à Bayonne. En juillet 1994, pour la réunion du Claude Bolling Big Band et du
Duke Ellington Orchestra de Mercer, à Sully-sur-Loire et à Carcassonne, Claude
écrit évidemment les arrangements («What Am I Here For», «The Mooche», «C Jam
Blues», «Cotton Tail»)2. En 1995, il s'est mis au travail pour A Drum is a
Woman de Duke. Benjamin Savary lui a fourni les photocopies d'un manuscrit
conservé au Smithsonian9, et il lui faut seulement un mois pour écrire un score
complet, mais en ne faisant que ça. Lors de notre rencontre, il avait déjà
reconstitué A Tone Parallel to Harlem: «Mercer m'avait envoyé la partition symphonique. Elle comportait
beaucoup de fautes et beaucoup d'incompréhensions sur le fonctionnement de
l'orchestre»2. Pour ce travail, Claude a non seulement utilisé le
document fourni par Mercer datant de 1963, mais aussi ses oreilles à partir des
enregistrements faits par Duke à Seattle (1952) et Londres (1964). Son orchestre
l'enregistre au studio Davout de Paris, le 24 mai 1999. Claude a transcrit «Double
Check Stomp» pour trois sax, deux trompettes et deux trombones. Et ainsi de
suite.
Roger Paraboschi et Claude Bolling à la fête des 80 ans de Jazz Hot,
Fond'action Boris Vian, Cité Véron, Paris, 28 mars 2015 © Ellen Bertet
A partir de 2001, Claude Bolling entreprend chez Frémeaux & Associés la
réédition de son œuvre enregistrée. Nous
l’avions invité à la Sainte Cécile des anciens musiciens le 22 novembre 2009, à
Montmartre. Claude Bolling était encore en forme et il a passé un bon moment
avec les saxophonistes (les Hrasko, etc). La dernière fois que nous l'avons vu,
avec son assistante Manuelle Pefferkorn Mazerand, c'était lors de
l'anniversaire de Jazz Hot, le 28 mars 2015, Cité Véron, en-dessous de
l'appartement de Boris Vian. Déjà atteint par la maladie, il n’en
n’a pas moins longuement échangé avec son ancien batteur, le légendaire Roger Paraboschi, disparu peu avant Claude le 16 novembre 2020 à Montreuil (nécrologie à paraître prochainement).
Claude Bolling avait déjà cessé de se produire sur scène depuis le concert du
24 juin 2014 au Petit Journal Saint-Michel, lieu où il passait régulièrement. A
cette occasion, Patrick Artero et Claude Tissendier sont venu étoffer son trio (Pierre,
Maingourd, b, Vincent Cordelette, dm). Des bollingtoniens ont repris le
flambeau: le big band est dirigé par Vincent Cordelette, son batteur depuis 1985,
avec Philippe Milanta au piano; le quintet Swingin' Bolling est drivé par Claude
Tissendier.
Claude Bolling nous a quittés
le 29 décembre 2020 à Saint-Cloud. Il repose désormais à Garches, son port d'attache depuis de nombreuses années, ville dont il a été conseiller municipal de 1989 à 1995, car Claude Bolling n’était pas indifférent, malgré ses multiples activités, aux fonctionnements de la collectivité.
Sa contribution musicale au XXe siècle fut considérable. Le jazz en France lui doit beaucoup, car il est même présent dans sa production de variétés et
en crossover, ce qui, assurément plus que l'intégrale de la
production de l'ONJ, a sensibilisé les gens à une façon de jouer fondée sur le
swing. Claude et Irène Bolling sont les parents de David (né en 1968, adopté en
1969) et Alexandre (né en 1969, adopté deux ans et demi plus tard). Jazz Hot
leur adresse ses condoléances.
1. Jazz Hot n°542, juillet-août 1997. 2. Lisiane et Michel Laplace, «Brother Bolling: un parcours parallèle»,
Jazz Dixie/Swing n°23, mai 1999. 3. «Claude Bolling conseille les amateurs», Jazz Hot n°256,
décembre 1969. 4. Cf. nécrologie de Christian Azzi (Jazz Hot 2020). 5. cf. Jazz Hot n°4 (1946). C’est Claude Abadie qui remporte ce tournois. 6. Ce tromboniste est écrit «Durand» dans toutes les discographies! C'est
une erreur qui perdure de copies en copies. J'ai connu ce pionnier lorsqu'il
était retiré à Montlouis et il détestait que l'on ajoute un «d» au bout de son
nom. Que l'on se le dise une fois pour toutes. 7. Il a aussi dit, «à la fin d'un concert» à Félix W. Sportis. 8. C'est l'opinion de Claude Bolling et de nombreux danseurs de cette
génération, mais dans le film Jivin' in BeBop de fin 1946, le tap dancer
Ralph Brown s'exécute parfaitement sur «Ray's Idea» et «Bag's Boogie» avec le
grand orchestre de Dizzy Gillespie. Dizzy lui-même dansait fort bien sur sa
musique.
9. Claude Bolling m'a montré la copie du manuscrit, beaucoup moins complet
que le score qu'il a reconstitué.
CLAUDE BOLLING & JAZZ HOT n°26-1948, n°70-1952, n°76- 1953 (première couverture), n°117-1957, n°141-1959, n°189-1963, n°256-1969, n°475-1990,
n°495-1992 (couverture), n°509-1994, n°527-1996, n°542-1997 (couverture), n°645-2008 (chronique de sa biographie)
POLÉMIQUE/SOUTIENS 1999 n°563-1999 (édito)
n°564-1999 (réactions de soutien)
n°565-1999 (réactions de soutien)
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VIDEOGRAPHIE par Hélène sportis et Jérôme Partage
1957. Claude Bolling, Bernard Hulin (tp), Claude Gousset (tb), Gérard Badini (cl), Pierre Gossez (ts), Pierre Michelot (b), Arthur Motta (dm), «Jive at Five», «Frankie and Johnny», «Jammin' the Blues» archives INA, 12 septembre https://www.youtube.com/watch?v=ftEwPSuuodA1958, Claude Bolling et son Orchestre: 1er rang (de gauche à droite) Robert Fassin, Henri Van Haeke (solo), Roger Guérin, 2e rang René Léger, Maurice Thomas (tp), Gérard Badini (solo cl), Gaby Vilain, André Paquinet, Benny Vasseur (tb), Jo Hrasko, René Nicolas (as), Marcel Hrasko, Pierre Gossez (ts), Armand Migiani (bar), Géo Daly (vib), Alphonse Masselier (b), Arthur Motta (dm), «High Society», émission Jazzorama, réal. Jean-Christophe Averty, RTF-Studio 4, Paris (rectifications des noms des musiciens par rapport au générique), 16 mai 1958. Claude Bolling (p), Sidney Bechet (ss), Simone Alma (voc) et Robert Fassin, Henri Van Haeke, Roger Guérin, René Léger, Maurice Thomas (tp) Benny Vasseur, Gaby Vilain, André Paquinet (tb) Gérard Badini (cl, soliste dans la seconde partie) Jo Hrasko, René Nicolas (as) Marcel Hrasko, Pierre Gossez (ts) Armand Migiani (bar) Claude Bolling (p) Pierre Cullaz (g) Alf Masselier (b) Arthur Motta (dm), «Saint Louis Blues», émission Jazzorama, réal. Jean-Christophe Averty, archives INA, RTF-Studio 4, Paris (rectifications des noms des musiciens par rapport au générique), 16 mai 1959. Claude Bolling, Raymond Fonsèque (tu), Léo Petit (bjo), «On the Mississippi» (minute 0' à 2'44''); Claude Bolling (p solo) «St Louis Rag» (minute 5'53'' à 8'37''), dans l'émission Way Down the Mississippi, Jazz Memories N°7 de Jean-Christophe Averty, Club de La Huchette, avec Maxim Saury et son orchestre, Paris, décembre https://www.youtube.com/watch?v=-1J_jvcOQ_Q
1960. Hommage à Duke Ellington, Claude Bolling (p), Pierre Sellin, Vincent Casino (tp), Raymond Katarzynski/Claude Gousset (tb), Gérard Badini (cl, ts), Denis Fournier (as), Pierre Gossez (bs), Jacques Hess (b), Roger Paraboschi (dm), Christiane Legrand (voc), Club St Germain, Paris, archives INA, 9 avril http://www.youtube.com/watch?v=n0K4fjJgays
1962. Claude Bolling, Vincent Casino (tp), Raymond Fonsèque, Claude Gousset (tb), Gérard Badini (ts), Brigitte Bardot (g), Bob Quibel (b), Roger Paraboschi (dm), «On the Sunny Side of the Street» https://www.youtube.com/watch?v=QehdGIE-_Rc
1967. Claude Bolling, Stéphane Grappelli, Maxim Saury (cl), Marc Laferrière/prob.à sa gauche Wani Hinder (ss) derrière Stéphane, à sa droite (à gauche sur l’écran): Claude Luter (ss), Pierre Dutour (tp), derrière Stéphane, à sa gauche (à droite sur l’écran): François Guin (tb), Moustache (dm), Virginia Vee (voc), l'orchestre de Raymond Lefèvre (p) dont Fred Gérard (tp), «When the Saints Go Marchin' In», puis défilé derrière Virginia Vee: Wani Hinder, Marc Laferrière, Claude Luter, Maxim Saury, à la droite de V.Vee: Irakli (tp), à sa gauche Pierre Dutour (rectifications des noms des musiciens par rapport au générique), archives INA, 4 mai
1968. Claude Bolling, «Rag Time», INA, 24 septembre
1973. Claude Bolling et Raymond Fol, invités à Bruxelles par Duke Ellington (Big Band) à la fin de son concert, Salle Marni, Festival Jazz from Newport, 16 novembre, diffusé le 17 janvier 1974, réalisation Jacques Bourton, archives Sonuma
1979. Claude Bolling Big Band en répétition avec Cat Anderson (tp), Fernand Verstraete/Maurice Thomas/Loulou Vezant/Patrick Artero (tp), Bill Tamper/Michel Camicas/Benny Vasseur (tb), Emile Vilain (btb), Jean Aldegon?/Claude Tissendier (as), André Villéger/Pierre Schirrer (ts), Pierre Gossez (bs), Guy Pedersen (b), Maurice Bouchon? (dm), Hot Club de Limoges au Grand Théâtre de Limoges, 26 février 1983. Claude Bolling Big Band, «Jazzomania», INA, 5 novembre https://www.youtube.com/watch?v=EryvqV_soaE
1984. Claude Bolling, Oscar Peterson, Michel Legrand, Niels-Henning Ørsted Pedersen (b), Martin Drew (dm), «Blues for Big Scotia», «An Oscar for Oscar», documentaire Grand Piano de John Coulson, National Arts Centre, Ottawa, Canada (source: www.loc.gov/item/jots.200015852) 1991. Claude Bolling Big Band, Stéphane Grappelli, session d'enregistrement pour le disque First Class (Label Milan 1992) «Just One of Those Things», «Blue Skies», «Cute», «Crazy Rhythm», «Tears» et «Minor Swing» en audio, Claude Tissendier (as,cl), Philippe Portejoie (as,ss), Jean Eteve (bs), Jean-Paul Charlap (g), Carl Schlosser (ts), Pierre Schirrer (ts,fl), André Paquinet/Benny Vasseur/Emile Vilain/Michel Camicas (tb), Guy Bodet/Jacky Bérécochéa/Michel Delakian/Tony Russo (tp), Pierre-Yves Sorin (b), Vincent Cordelette (dm,perc), Studios Artistic Palace, Boulogne-Billancourt (92), France
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