Wallace Roney, Sprimont (Liège), Belgique, novembre 1994 © Jacky Lepage
Wallace RONEYMiles’ Legacy
Avec Wallace Roney après Jimmy Heath et McCoy Tyner, c’est une troisième génération des enfants de Philadelphie qui paye son tribut à la Camarde en ce début d’année 2020. A moins de 60 ans, disparaît en ce 31 mars 2020, à Paterson, New Jersey, un artiste qui a été considéré, dès la fin de son adolescence, comme l’un des plus prometteurs d’une relève pourtant exceptionnellement fournie en trompettistes de haut niveau pour prolonger la grande histoire du jazz. Roy Hargrove, son cadet d’une dizaine d’années, l’avait déjà devancé, donnant à la période que nous vivons une couleur amère. Wallace Roney est né le 25 mai 1960 au cœur d’une cité qui respire la musique, Philadelphie: il suffit de se reporter aux récentes nécrologies de Jimmy Heath et McCoy Tyner pour comprendre le berceau musical dans lequel naissent les frères Roney, Wallace et Antoine, son cadet (1963), le saxophoniste. Fils d’un US Marshall, Wallace Roney, Sr., président d’un important syndicat, lui-même trompettiste amateur, et petit fils de Roosevelt Sherman (tp, tu, g) qui a appartenu au Frankie Fairfax Band dans les années 1930, Wallace a été un talent précoce, qui a découvert dans son jeune âge, dans les années 1960, les lieux de jazz avec son père. Wallace Roney a suivi dans les années 1970 un enseignement académique à la Duke Ellington School of the Arts, de Washington où son père est venu habiter, ensuite à la Howard University, surnommée la «Black Harvard», toujours dans la Capitale, enfin à son arrivée à New York, Wallace s’inscrit à la Berklee School avant qu’Art Blakey puis Tony Williams fassent appel à lui. Aîné d’un frère et de deux sœurs, d’un demi-frère et deux demi-sœurs, Wallace Roney a joué pour les siens comme par la suite pour d’autres musiciens plus jeunes ou amis, un rôle d’encadrement, de passeur, comme beaucoup d’aînés du jazz l’ont fait pour lui, ce dont il témoigne abondamment dans l’interview qui suit, évoquant la confraternité des trompettistes et, plus largement, la fraternité des musiciens de jazz. Après la disparition de McCoy Tyner, nous avions recueilli le témoignage de Wallace Roney sur le grand pianiste. Il rappelait que Miles Davis avait fait de lui son protégé, et, dans cette interview, s’il fait référence à ses amis Wayne Shorter, Tony Williams, Ron Carter, en particulier, c’est bien Miles qui a constitué son phare, son principal inspirateur. Une quinzaine de jours après ce témoignage, Wallace Roney disparaît prématurément, et cette longue interview, qui n’avait pas vocation à tenir lieu de nécrologie, permet aujourd’hui de retrouver la voix du musicien, victime d’une complication de ses problèmes de santé suite à l’épidémie Covid-19 qui sévit un peu partout sur la planète et a engendré, faute de moyens appropriés, une panique et une mortalité qui atteignent aussi le jazz, les Anciens en particulier. Laissons ici le soin à Wallace Roney de raconter son parcours en détail, sa passion dévorante pour le jazz depuis ses premiers pas, ses choix esthétiques, ses enthousiasmes, ses peines et parfois ses rivalités, avec une franchise et parfois une dureté qui sont assez rares, mais le plus souvent avec ce grand sourire qui éclabousse sur la photo d’ouverture.
Propos recueillis par Mathieu Perez Photos Umberto Germinale, Jose Horna, Jacky Lepage
© Jazz Hot 2020
Jazz Hot: Vos
concerts sont toujours électrisants. Quels sont vos souvenirs de concerts en
tant que spectateur?
Wallace Roney: Mon
premier concert, c’était Duke Ellington en 1966. J’ai adoré mais je n’étais pas
absorbé. Le deuxième concert, Count Basie, deux ans plus tard. Mais le premier
concert auquel j’ai voulu assister, c’était en 1972. Mon père m’avait autorisé
à aller seul au Quaker City Jazz Festival, à Philadelphie. Ce soir-là, il y
avait Miles Davis, avec Al Foster qui venait de rejoindre le groupe, Michael
Henderson, Mtume, Carlos Garnett et Cedric Lawson; il y avait Weather Report avec Eric Gravatt, Miroslav Vitous, Dom Um Romão, Joe Zawinul et Wayne Shorter;
George Benson avec son trio, il venait de faire son tube «White Rabbit». Son
batteur ne s’était pas présenté, Philly Joe Jones l’a remplacé. Puis, les
Giants of Jazz, avec Dizzy Gillespie, Sonny Stitt, Curtis Fuller au lieu de Kai
Winding, Al McKibbon, Monk et Art Blakey; et enfin, Maynard Ferguson.
Miles a joué en premier. Miles était mon idole, j’avais tous
ses enregistrements jusqu’à Bitches Brew.
On the Corner venait de sortir. Miles
jouait avec une pédale wah-wah. Après deux thèmes, il a enlevé la pédale et
joué un blues. La puissance qui sortait de sa trompette était extraordinaire! Weather
Report jouait toujours straight-ahead. Wayne jouait dur comme Trane avec Miles.
Ces deux-là étaient incroyables! George Benson swinguait; à cette époque, il
ressemblait beaucoup plus à Wes Montgomery. Puis, les Giants of Jazz ont joué.
Miles était mon idole. Mais ce soir-là, Dizzy était le roi! (Rires) Ils ont joué
«Woody ’n You». Je n’ai jamais entendu autant de notes sortir d’une trompette!
Les notes tourbillonnaient dans les airs! (Rires) Ils ont conclu avec «Night in
Tunisia». Art Blakey a joué un solo au début, un autre à la fin, puis il a
arrêté. Tout le monde s’est précipité sur la scène en hurlant. La folie!
(Rires) Maynard Ferguson n’a jamais pu jouer! (Rires) Des années plus tard,
j’ai entendu dire qu’il en riait, parce qu’il avait été payé quand même.
(Rires) Les Giants of Jazz étaient époustouflants. Miles aussi.
Après cela, j’ai entendu beaucoup de bonne musique. Mon père
m’a autorisé à voir des concerts. J’ai entendu Mwandishi à Philadelphie, Clark
Terry au Blues Alley, à Washington, D.C., Dizzy, Freddie Hubbard, Blue
Mitchell, Woody Shaw, Art Blakey avec Bill Hardman et Valery Ponomarev, etc.
Mais le jeu de trompette le plus dingue que j’aie jamais
entendu de ma vie, c’est Miles Davis à New York en 1983. Ce soir-là, il y avait
Bill Evans (ts, ss), Tom Barney, Al Foster, et Mike Stern, je pense. Ils ont
joué des morceaux de Star People.
Miles a joué un blues, il se sentait bien. Alors, il a joué plus vite. Bill a
pris un petit solo. Miles l’a interrompu et a joué plus vite encore. Son solo a
duré au moins vingt minutes! Il jouait du tonnerre! C’était net, propre, créatif.
Waouh! Je n’ai jamais entendu personne jouer autant de trompette! Personne! Pas
de ma génération, ni Freddie Hubbard, Clark ou Woody, peut-être Dizzy un bon soir…
Ce concert était mémorable.
Wallace Roney, Anvers, Août 1987 © Jacky Lepage
Et en tant que
musicien?
Avec Nation, un groupe fondé par Kwame Agyei Akoto et Haki
R. Madhubuti, qui exprimait les vues de la communauté noire dans le jazz.
C’était un mélange de Last Poets, Archie Shepp, Lee Morgan et Miles Davis. C’était
en 1975, j’avais 15 ans. Je suis resté deux ans avec eux. J’ai toujours su ce
que je voulais faire, mais je pense que c’est à ce moment-là que la scène m’a
grisé. On a joué en ouverture de Dizzy. A ce moment-là, Dizzy était un mentor.
Je pense qu’il était aussi fier que moi que je sois sur cette scène. C’est à ce
moment-là que j’ai rencontré l’un de mes meilleurs amis, Rodney Jones, qui
jouait avec Dizzy à l’époque.
Dizzy Gillespie a été
votre mentor?
J’ai rencontré Dizzy en premier. J’avais 12 ou 13 ans. Mon
frère et moi, on est allés voir mon père à Washington, D.C. J’avais vu Dizzy
avec les Giants of Jazz. Là, il jouait avec son groupe, Earl May, Al Gafa,
Mickey Roker. Dizzy nous a vus. Il nous a fait nous lever. Ensuite, je suis
allé le voir dans les coulisses. Je lui ai dit que je jouais de la trompette,
qu’il était mon idole. Jusqu’à la fin de sa vie, il a toujours été formidable
avec moi. Toujours!
Après avoir rencontré Dizzy, et parce qu’il m’avait si bien
traité, je supposais que tout le monde me traiterait de cette manière. Je suis
allé voir Clark Terry au Blues Alley, à D.C. Je l’adorais. J’avais ses disques, je l’avais vu à la télé. Ce soir-là, il n’y avait pas grand monde. A un moment,
il a invité à jouer sur scène un jeune blanc de mon âge. Il était nul. Que
pouvez-vous être à 13 ans? On n’est pas censé être bon. Mais Clark lui
apportait son soutien. A la pause, je suis allé voir Clark, je lui ai serré la
main. Il était cool. Il n’était pas super sympa, mais cool. Je suis très
honnête avec vous. Je lui ai demandé si je pouvais faire le bœuf avec lui. Il
m’a regardé et dit: «Faire le bœuf? NON! Tu me demandes ça parce que tu as vu jouer
ce jeune!» Mes amis se moquaient de moi. Clark m’a demandé si j’avais ma
trompette. C’était une fois où je ne l’avais pas. D’habitude, elle ne me quittait
jamais. J’ai dit non, alors il m’a dit de m’asseoir. J’étais anéanti, j’avais
les larmes aux yeux. (Rires) Quelques mois plus tard, Clark était de retour à
Washington. Il jouait au Smithsonian. Même s’il m’avait brisé le cœur, je suis
allé le voir parce que j’adorais la musique. Il avait un groupe vraiment génial.
Il m’a vu, comme Dizzy m’a vu, et il m’a montré du doigt. Je suis allé le voir, et il m’a dit de venir dans les coulisses après le concert. Il devait se sentir
mal. Il se souvenait de la façon dont il m’avait traité. A la fin du concert,
je vais dans les coulisses et il me dit: «Alors, comme ça tu joues de la
trompette. Comment tu vas?» J’ai dit que j’allais bien. Il m’a dit de m’asseoir
sur ses genoux parce qu’il allait m’apprendre quelque chose: comment respirer.
Ensuite, il m’a appris l’articulation. Il m’a montré son système. Ça m’a pris
un moment pour y arriver. Il m’a dit de m’entraîner tous les jours. Puis, il
m’a demandé de lui jouer quelque chose. Je répétais un solo de Lee Morgan, donc
je l’ai joué, et il a crié: «Tu sais jouer! Tu sais jouer!» (Rires) A la fin, il
a mis ses bras autour de moi: «Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu savais
jouer!» (Rires) Il a dit que lorsqu’il reviendrait en ville, je devrais le
voir. Là, il était super sympa. Je lui ai donc demandé qui, selon lui, était le
meilleur trompettiste entre Miles Davis et Clifford Brown. (Rires) Il a dit:
«Fiston, ils sont tous les deux formidables. Ce sont deux maîtres de la
trompette.» En rentrant chez moi, je me suis rendu compte à quel point ma question
était stupide! (Rires) Dès qu’il venait en ville, j’allais le voir et il
m’invitait sur scène. Il me traitait de façon magnifique.
Wallace Roney, Laigueglia, Italie, 2005 © Umberto Germinale
Votre intérêt pour le
jazz remonte à l’enfance?
C’était une passion. Je suis probablement né avec. J’ai une
formation classique, mais j’ai toujours voulu être musicien de jazz. J’ai adoré
le jazz dès l’âge de 3 ans. Mon père a nourri cette passion; il avait une
collection de disques. Ses amis venaient à la maison tous les week-ends; ils
apportaient les derniers disques de jazz et les écoutaient du vendredi au
dimanche. Ils parlaient de musique, de ce qui se passait dans la communauté
noire. Ils adoraient Trane, Miles, Ornette, Art Blakey, Horace Silver, etc.
Enfant, j’adorais le solo de Blue Mitchell sur «Silver’s Serenade». C’était
tout simplement magnifique! Tout comme le solo de Miles sur «So Near, So Far». Je
vivais avec. Je me souviens de la première fois que je l’ai entendu, je
regardais les haut-parleurs et j’écoutais la musique en sortir.
J’aimais tellement cette musique que j’ai appris à lire pour
pouvoir lire les articles sur tous ces grands musiciens de jazz. A 8 ans, j’ai
été autorisé à aller à la bibliothèque, j’allais à la section musique trouver
les livres de jazz. J’étais amoureux du jazz. Plus tard, j’ai rencontré tous ces
gars qui non seulement comprenaient cette musique mais savaient d’où elle
venait. Ils parlaient de cela, de l’Afrique, de l’esclavage, des origines du
blues, comment on utilisait le gospel pour faire passer des messages, etc. Ils
m’ont appris ça. Plus tard, Dizzy, Max Roach, Art Blakey et Miles m’ont
raconté cette histoire. Leur musique y faisait écho. Blakey insistait sur la
nécessité de connaître l’histoire. Il en était si fier. Miles adorait Buddy
Bolden, Pops, King Oliver, Bix, etc. Il voulait acheter la trompette de Bix. Le
jazz est de l’art, mais il doit être pertinent et avoir une conscience sociale.
Vous pouvez faire écho à ce qui se passe dans le monde. Le jazz a quelque chose
à dire sur la politique.
Vous avez grandi à
Philadelphie puis vous avez vécu à Washington, D.C. Dès l’adolescence, vous
jouiez dans les clubs.
J’ai grandi à North Philly jusqu’à l’âge de 15 ans. Ensuite,
j’ai déménagé à Washington, D.C. Je suis allé à la Duke Ellington School of the
Arts. C’est là que j’ai rencontré Eric Allen (dm), ma femme Dawn Jones et
d’autres. Je jouais avec Nation, je cherchais des gigs...
La première fois que je suis vraiment sorti du lot, c’était à
la Duke Ellington School of the Arts. Enfant, j’étudiais le classique mais
aussi les solos de jazz sur des disques de jazz. Dans cette école, il y avait
un orchestre que dirigeait Kwame Agyei Akoto, un des fondateurs de Nation.
C’est la première fois que je jouais avec un big band. J’avais 15 ans. C’était
le programme d’été avant la rentrée des classes. Tous les élèves se
connaissaient. Ils avaient déjà joué dans un groupe, etc. J’étais le petit
nouveau. Agyei nous donne donc un arrangement de «Up, Up and Away» de Count
Basie. Je le connaissais, j’ai vu Basie le jouer! Donc, on joue, je lis la
musique. Agyei me dit de prendre un solo et là, je me fige. Il nous avait donné
un solo débile écrit sur une page. Il savait qu’on n’était pas capables de faire
de solo. Agyei a tout arrêté et a dit que lorsque le groupe s’arrête, je dois
jouer. Puis, il a chanté le solo comme le ferait un pro et il se met à rigoler.
Le groupe reprend et là, je joue exactement ce qu’il a chanté. Agyei était
stupéfait! Tous les élèves étaient trop jeunes pour savoir improviser. Mais, depuis
mon enfance, je répétais les solos de Lee Morgan, de Clifford Brown, de Blue
Mitchell, sans parler de Miles, mais sa musique était plus avancée. J’écoutais
religieusement Live at the Fillmore, Filles de Kilimanjaro…
Quand décidez-vous de
partir à New York?
Je me disais qu’il devait y avoir plus que d’être un gosse à
Washington, D.C., ou à Philadelphie. Il doit y avoir plus. J’ai donc commencé à
aller à New York.
Quand y êtes-vous
allé pour la première fois?
Quand j’étais à la Duke Ellington School of the Arts,
j’avais d’excellents profs, comme Kwame Agyei Akoto et Mickey Bass (b). Bass
avait joué avec Freddie Hubbard et Lee Morgan. Il nous racontait plein d’anecdotes.
Un jour, Eric Allen et moi lui parlons. Bass nous demande ce qu’on va faire une
fois l’école terminée. On n’y avait jamais pensé! On aimait jouer mais on
ignorait qu’on pouvait gagner sa vie avec la musique. Je lui ai demandé où il
fallait aller pour ça. Il a dit: «New York». Je lui ai demandé si Miles vivait à
New York. Il a dit: «Oui.» Eric a demandé si Tony Williams vivait à New York. Il a
dit oui. Eric et moi, on s’est regardé et on s’est dit qu’on devait aller à New
York!
Avec Bass, on a organisé une sortie scolaire pour l’ensemble
de jazz. Le soir, on traînait. Bass m’a emmené au Ali’s Alley, et j’ai fait le
bœuf avec Philly Joe Jones. Du jour où j’ai eu une trompette, elle ne me
quittait pas. Tout le monde me taquinait à ce propos. Mais cette fois, on va traîner
à New York, et je ne l’emporte pas, parce que j’en avais marre des réflexions. Je
me retrouve à faire le bœuf avec Philly Joe et je n’ai pas ma trompette! Heureusement,
Rashied Ali en avait une. C’était celle de Dewey Johnson. Elle était dans un
sale état... On a joué «Confirmation». A la fin du morceau, Philly Joe a mis
ses bras autour de moi…
C’était en quelle
année?
En 1977.
Wallace Roney, Jazzaldia San Sebastian, 2006 © Jose Horna
Qui étaient vos
héros?
Miles, Dizzy, Clifford, Kenny Dorham, Lee
Morgan, Johnny Coles, Blue Mitchell, Woody Shaw, Don Cherry, Freddie Hubbard…
Freddie est devenu un mentor même si je n’ai pas été influencé par lui. Quand
je suis venu à New York, il m’a pris sous son aile, il m’a beaucoup appris. Il
m’a parlé de la possibilité d’élargir la perce de la branche d’embouchure1. Dizzy m’a
parlé de l’ouverture du grain de l’embouchure2. Clark
Terry, de l’articulation. J’ai offert une trompette à Clark. Elle était bleue,
faite à la main. La fabrication a mis un an. Clark en a joué jusqu’à la fin.
J’ai offert à Dizzy une Martin Committee à la fin de sa vie. Il en voulait une.
C’est lui qui a joué la Martin en premier. Il est la raison pour laquelle
Miles, Fats, Blue Mitchell, Kenny Dorham et tant de gens en ont joué. Ce fut un
plaisir de redonner à Dizzy. J’ai également offert un trombone à Curtis Fuller
et à J.J. Johnson. J’ai offert à Wayne Shorter un saxophone, il le joue à ce
jour. J’essaye de redonner à ces musiciens.
Très tôt, vous faites le bœuf avec de grands musiciens à New York. Quelles rencontres ont été marquantes?
Un jour, j’ai fait le bœuf avec le big band de Sam
Jones. Il est devenu un mentor et un ami. J’ai joué avec lui, Cedar Walton,
Billy Higgins et Bob Berg. Ils m’ont vraiment pris sous leur aile. Quelques
mois plus tard, j’ai travaillé deux semaines avec ce groupe. D’abord, avec Sam,
Cedar Walton, Billy et Bob Berg. Puis, avec Sam, Cedar, Louis Hayes et Gerald
Hayes. Sam, Cedar, Billy, Louis, ils étaient supers avec moi. Sam était
toujours attentionné. Un jour, il a fait un concert au Sweet Basil et m’a
invité à jouer. Il savait que j’étais affamé et m’a payé un hamburger, m’a
donné de l’argent... Ron Carter a également été comme ça tout au long de ma
vie. Il est un mentor depuis le début. C’est lui qui m’a présenté Herbie et
Tony.
Vous avez fait le
bœuf avec Joe Henderson; comment cela s’est-il passé?
Ouais! J’avais déjà travaillé avec Cedar. A ce moment-là, j’étais
à New York pour enregistrer un disque en sideman. Je
suis allé voir Sam Jones un lundi ou un mardi avec Joe Henderson. Je voulais faire
le bœuf avec Joe. Ils ont joué trois sets. Après le deuxième, je suis allé voir
Joe, et j’ai dit: «M. Henderson, je ne veux pas être impoli, mais j’aimerais
vraiment avoir la chance de faire le bœuf avec vous.» Il a dit non, mais très
gentiment. J’ai dit que je connaissais ses disques par cœur. Il m’a regardé et
a demandé si c’était vrai. Il m’a demandé si je connaissais «Afro-Centric».
J’ai dit: «Oui!» Il m’a demandé si je connaissais «Isotope». J’ai dit: «Oui!» Il a
réfléchi et dit qu’il m’inviterait sur scène. Et il l’a fait. On a joué
«Caribbean Fire Dance» et «Isotope». Une fois le concert terminé, il est allé
au fond du club serrer des mains, etc. Je l’attendais pour le remercier. Il m’a
dit: «Attends une seconde!» J’ai attendu, dix, vingt minutes. Le temps devenait
long. Je suis retourné le voir, et il m’a dit de nouveau: «Attends une seconde!» Il voulait me parler. Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer. Après
environ une heure –peut-être qu’il se faisait payer, etc.– l’endroit était
désert. Il ne restait que trois personnes. Joe est venu vers moi et m’a dit, je
n’oublierai jamais ces mots: «Jeune homme, tu joues à fond. Ça te dirait de
jouer avec moi le reste de la semaine?» J’ai dit que j’adorerais! La répétition
était le lendemain à 16 heures au club. Au milieu de la nuit, je me suis
précipité vers le téléphone et j’ai raconté à mon père ce qui venait de se passer.
Il m’a dit de rentrer immédiatement à la maison parce que j’étais encore au
lycée. Je suis monté dans le train, et j’ai pleuré tout le chemin du retour…
Vous avez revu Clark
Terry à New York?
Eric et moi, on essayait de rester à New York. Un jour, on
était censé se retrouver chez un disquaire. Il n’est jamais venu. J’ai eu peur.
Je pensais qu’il s’était perdu. Après deux heures d’attente, je suis allé chez
Mickey Bass. J’ai appelé la mère d’Eric. Elle m’a dit qu’il était revenu à la
maison. J’étais déçu... Mais Bass m’a dit qu’il avait un gig ce soir-là au Carolina, et que je devrais rester traîner avec
lui. Il jouait avec le big band de Clark Terry. Clark Terry! Mon oncle! Mon
mentor! Ce soir-là, je n’ai pas oublié ma trompette! On se rend au club. Bass
sort du taxi avec sa basse et son ampli. Clark se tenait dehors. Il me regarde
et crie: «Wallace, ça va, ma poule? Tu veux un gig?» Waymon Reed avait quitté le groupe pour travailler avec Sarah
Vaughan, il avait besoin d’un trompettiste. J’ai donc joué toute une semaine
avec le groupe de Clark, avec Johnny Hartman comme invité. Et au moment de
jouer «Lush Life», il m’a laissé prendre un solo. Il me donnait des solos, je
pense que ça n’a pas plu à beaucoup de musicos. A la fin de la semaine, il m’a
infligé une amende! Il m’a payé 350 dollars moins 50 dollars, parce que je
n’avais pas de costume. (Rires) On en a ri. Il m’a dit: «Toujours avoir un
costume, toujours être prêt!»
C’était dur de
décrocher des gigs?
Beaucoup d’entre nous prenaient la musique très au sérieux.
Wynton Marsalis est venu à New York avec un contrat en poche, en gros, mais
nous, on a dû se battre. Beaucoup s’en sont très bien sortis. Steve Coleman,
Kenny Garrett, Lonnie Plaxico, Curtis Lundy, etc., on se soutenait. Je n’ai
jamais oublié. On se retrouvait tous dans un diner à l’angle de la 7e Avenue et de Christopher Street. Si
quelqu’un arrivait et disait qu’il avait décroché un gig avec un tel, on était ravi pour lui!
Avec quels autres
musiciens avez-vous fait le bœuf puis travaillé dans leur formation?
J’avais 18 ans. J’ai fait le bœuf avec Junior et Bill
Hardman, puis ils m’ont engagé pour des gigs.
A cette époque, Cedar (Walton) m’engageait. Dans le groupe, il y avait George Coleman,
Cedar, Curtis Fuller, Kenny Washington et moi. Parfois, les gars vous
embauchaient. Parfois, c’était juste une opportunité de jouer avec eux. Pour
moi, bien souvent, ça débouchait sur du travail.
Wallace Roney, Jazz Festival Vitoria-Gasteiz, 2009 © Jose Horna
A cette époque, vous partez
en tournée européenne avec Abdullah Ibrahim.
J’étudiais alors à l’Université Howard, à Washington, D.C.
Lionel Hampton est venu pour un concert. J’ai fait le bœuf avec lui. Il voulait même
que je rejoigne son groupe. Mon prof’ m’a supplié de ne pas le faire. La raison
pour laquelle j’en parle est qu’il y avait deux membres dans son groupe, René
McLean et Fred Foss. Tous deux m’ont pris sous leur aile. Fred a quitté l’orchestre
de Lionel Hampton et a déménagé à D.C. On s’est lié d’amitié. J’ai commencé à
traîner avec lui. Ensuite, il a eu un gig
avec Abdullah Ibrahim. A cette époque, j’allais à New York tous les week-ends
pour faire le bœuf. Un jour, je suis à New York, et j’accompagne Fred à son gig. Je demande à Abdullah si je peux jouer
avec lui; il accepte. Après cela, il m’a demandé de rejoindre son groupe. Je
suis allé en Europe avec lui. Malheureusement, ce n’était pas une bonne tournée
pour moi. J’étais jeune… Je suis revenu amer. Lui aussi sans doute.
Vous avez dit que
votre approche était un mélange de Nefertiti,
Love Supreme, Mwandishi, Charlie Parker et Lifetime de Tony Williams.
Quand j’ai entendu tout ça pour la première fois, c’était
tout simplement incroyable! Un soir, à la radio, il y avait un concert de Miles
datant de 1968-1969. Ça pouvait être Tony Williams ou Jack DeJohnette à la
batterie. Ils ont joué «Round Midnight» pendant environ une heure! Quand j’ai entendu Charlie Parker pour la première fois,
j’avais 10 ans. Il y avait une séquence sur lui dans une émission de télévision
intitulée Soul. Cannonball Adderley
était l’invité musical ce soir-là. Le son de Charlie Parker m’a époustouflé! Nefertiti est un
disque parfait. C’est une évolution par rapport à ce que faisait Miles
auparavant. Les germes de Nefertiti sont
là quand Miles jouait avec Bird.
Love Supreme est
un mélange de tout ce qu’avait fait Trane; il voulait aller plus loin encore. C’est
vrai de tous. Filles de Kilimanjaro
va plus loin que Nefertiti. Bitches Brew est le sommet du concept
musical de Miles et Filles de Kilimanjaro
le sommet de son jeu.
Vous avez travaillé
avec Ornette Coleman sur deux projets, The
Sacred Mind of Johnny Dolphin (1984) puis son quartet. Son approche de la
musique vous a-t-elle marqué?
Ornette est devenu un mentor autant que Miles. J’ai fait The Sacred Mind of Johnny Dolphin. J’allais
chez lui tous les jours pour apprendre sa musique avec lui. A cette époque, il
vivait dans le Lower Manhattan, près du pont de Brooklyn. Il avait entendu
parler de moi. Il cherchait des trompettistes capables de jouer du jazz et de lire
de la musique de manière classique. Il voulait quelque chose de bien précis. Il
est passé par Lew Soloff et quelques autres, puis il m’a proposé de le faire. Travailler avec lui m’a vraiment ouvert. A ce moment, je
pensais que ce projet serait notre seule collaboration. Mais après, il a
commencé à m’appeler et à m’inviter chez lui. Alors, j’y suis allé et on jouait sa
musique. Chaque fois que j’apprenais ses compos, il les jouait plus
vite. (Rires) Je ne pourrais jamais jouer plus vite que lui. (Rires) Il m’a enseigné
sa théorie de l’harmolodie, qui était magnifique et avait beaucoup de sens. On
parlait tout le temps. Il m’a vraiment pris sous son aile. Je n’ai pas provoqué
cette rencontre mais j’aimais cet homme. Ornette Coleman a dit quelque chose que je chéris: «Quand
j’entends Wallace, j’entends le son d’un très bon musicien de jazz et le son
des icônes». Waouh!
Wallace Roney, Sprimont (Liège), Belgique, novembre 1994 © Jacky Lepage
Etes-vous resté
proche de lui?
De 1983 à la fin de sa vie. Il m’appelait toujours. C’est
pourquoi, j’ai rejoint son quartet. J’ai détesté Francis Davis (critique de jazz au Village Voice), on
est amis maintenant, lorsqu’il a sorti son livre sur Ornette. Il a écrit que la
seule raison pour laquelle je jouais avec lui, c’est parce que Wynton Marsalis
n’était pas disponible. Ça m’a blessé. J’ai appelé Ornette. Il a dit que ce
n’était pas vrai, qu’il ne ferait jamais ça. J’ai donc appelé Francis. Il m’a
dit qu’il avait obtenu cette info de Stanley Crouch… Francis a appelé Ornette
et Ornette a rétabli les faits.
Vous avez aussi joué
avec Don Cherry. Comment cela s’est-il
passé?
J’adorais Don Cherry! Quand je l’ai entendu pour la première
fois, je ne l’aimais pas vraiment. Mais quand j’ai entendu qu’il aimait Miles… Don
était très créatif. J’ai eu la chance de le rencontrer deux fois. Deux
expériences très significatives. La première, je jouais avec Art Blakey au Sweet
Basil. Il est venu faire le bœuf. Art appréciait Don. Donc, Don est venu jouer
«Caravan». Le tempo était très rapide. Je pensais que c’était un peu trop pour
lui. Alors je suis venu en renfort parce que j’avais l’habitude de le jouer à
ce tempo. Après, un ami de Don m’a dit que j’avais manqué de respect à Don, et que
j’avais essayé de le ridiculiser. Art Blakey m’a dit: «Ne t’en fais pas. Quand tu
es sur scène, tu prends les choses en main.» Je ne pensais vraiment pas avoir ridiculisé
Don... Après coup, je me sentais coupable. Un an plus tard, je l’ai revu au
Village Vanguard à un concert de Woody Shaw et Mal Waldron. Je pensais qu’il
était en colère contre moi. Mais il m’a traité de la plus belle façon. C’était
un seigneur!
Il ne vous en voulait
pas, alors?
Non, c’est juste que ce type voulait me perturber. J’y ai
repensé plus tard. Don était si créatif. Il n’avait pas besoin de jouer des
milliers de notes pour exprimer ce qu’il ressentait. Chez Coltrane, chaque note
veut dire quelque chose. C’est une approche de la vie. Trane cherchait l’âme
humaine. C’est ce que font la plupart des grands musiciens de jazz. Trane l’avait
compris. Louis Armstrong le faisait depuis des années. Sa musique et sa vie étaient
la même chose. Miles l’a fait toute sa vie. Certains cherchent la virtuosité.
Wayne Shorter, Herbie Hancock, Ornette Coleman, chez eux, vous sentez qu’il y a
plus que de la virtuosité. Clifford Brown essayait d’exprimer sa virtuosité. La
virtuosité est très importante. Avant Bird, Art Tatum et Duke Ellington, on
nous disait qu’on était humain aux trois-quarts et qu’on ne pourrait jamais
jouer notre musique avec la même sophistication que le classique. Puis, il y a eu
Art Tatum qui jouait avec la virtuosité d’un musicien classique et peut-être
plus encore. Charlie Parker avec celle d’un Paganini. Jouer comme ça est devenu
la règle. Ça montre que ce genre de virtuosité et d’excellence était en eux.
C’est très important, Miles me le disait.
Depuis quand
composez-vous?
Ah! Depuis tout jeune. Mais je ne pense pas être un grand
compositeur. Je suis un bon compositeur. Je suis plus conceptuel à ce stade.
J’étais très optimiste quant à la composition à un moment donné. J’aurais
peut-être dû le rester... Après un certain temps, j’ai senti que tout ce que je
faisais avait déjà été composé par quelqu’un… Je veux dire… Wayne Shorter,
Freddie Hubbard, Kenny Dorham, Dizzy Gillespie, Duke Ellington, Charlie Parker,
etc., sont de grands compositeurs. Je compose mieux en improvisant, et c’est
frais parce que ça sort au moment où je joue. Mais je compose toujours.
Antoine Roney, Bennie Maupin, Wallace Roney, Jazz à Juan 2011 © Umberto Germinale
Art Blakey vous
poussait à composer?
Ouais, j’étais optimiste alors.
Vous avez composé «Verses»
et «Slaves» dans Verses, votre
premier album en leader (1987).
Ouais.
Cindy Blackman est
créditée sur «Float» et «Topaz».
C’est parce que, à l’époque, Joe Fields (producteur) récupérait mes droits d’édition musicale. J’ai donc
mis deux morceaux en mon nom. Je m’en fichais s’il prenait «Verses» et «Slaves».
C’est juste moi en train de souffler. Mais pour «Float» et «Topaz», j’étais
assis au piano en pleine gloire. Certains morceaux dans les premiers disques de
Cindy sont de moi. Au bout d’un moment, elle a commencé à écrire toute seule. On
entend la différence. (Rires) Mais je pense qu’elle est convaincue qu’elle a
vraiment écrit ces thèmes. (Rires) J’ai dû le lui rappeler. (Rires) Ça va. Je l’adore!
Jouer avec Kenny
Barron What If? (1986) a changé les
choses pour vous. En quel sens?
Avant What If ?,
j’avais fait quelques enregistrements. On avait tous besoin de gigs. Et des gens formidables comme Fred
Foster ou Walter Davis nous ont aidés. Lorsque ce disque est sorti, on a
commencé à faire plus attention à moi. On aimait mon jeu. Quelqu’un a écrit une
très belle critique. Ça a débouché sur d’autres enregistrements. J’ai commencé
à beaucoup enregistrer en sideman. Une critique peut changer les choses. Laissez-moi
vous donner un exemple. Quand je jouais avec Art Blakey, John Hicks m’a engagé
une semaine au Village Vanguard, avec Jimmy Cobb, Walter Booker, Ricky Ford,
Gary Bartz. C’était cool. Mais Stanley Crouch a écrit une mauvaise critique. Quelques
mois plus tard, John Hicks voulait m’engager pour un gig au Sweet Basil. Mais, en raison de cette mauvaise critique,
Hicks n’a pas pu. La direction du Sweet Basil ne voulait pas de moi. C’est
comme ça que ça se passe… Crouch a fait ça avec Elvin Jones. Arthur Rains avait
fait le bœuf avec lui. Crouch a écrit une mauvaise critique…
Wallace Roney, Sprimont (Liège), Belgique, novembre 1994 © Jacky Lepage
Vous avez enregistré Volcano Blues (1993). Quel lien
aviez-vous avec Randy Weston?
J’avais joué avec lui avant ça. J’ai fait quelques tournées
avec son big band. Randy Weston me laissait jouer et m’a traité d’une façon magnifique.
Il disait que je lui rappelais Freddie Webster. Quand il préparait ce disque,
il m’a appelé. Ça m’a touché. Ça a été un honneur d’enregistrer avec lui.
Quels étaient vos
rapports avec Melba Liston et les autres musiciens?
Melba Liston était adorable. Ils étaient tous charmants.
C’était à l’opposé de mon expérience avec Abdullah. L’ensemble du groupe était
magnifique. C’était la première fois que je jouais avec Teddy Edwards. Je
connaissais Jamil Nasser et Charli Persip. Je jouais avec eux depuis mon
arrivée à New York.
Vous avez décrit le
concept de votre album Village (Warner
Bros., 1996) comme la volonté d’incorporer des rythmes africains à Nefertiti.
Oui, mais ce n’était pas à cause de Randy. Je ne pensais pas
que ces deux disques étaient sortis en même temps… J’ai toujours voulu faire
quelque chose avec les rythmes africains et mon groupe. Je voulais qu’on
entende mon groupe en Afrique ainsi que la musique qui se joue dans les villages
africains. La maison de disques, c’était des connards! C’est pourquoi la moitié du
disque est composée de standards…
L’album suivant, No Room For Argument (Concord Jazz, 2001),
tourne autour de vos racines.
Si vous réunissez No
Room For Argument et la seconde partie de Village, vous avez une idée de la direction où j’allais. Et puis,
vous avez des disques comme Mystikal (2005) et Jazz (2007).
Pourquoi avoir choisi
d’inclure dans cet album des extraits de discours de personnalités comme Martin
Luther King, Malcolm X, Marcus Garvey ou encore Deepak Chopra?
Je voulais que les gens entendent ce que je disais sur la
trompette, au cas où ils ne comprenaient pas ce que disaient mes notes. C’était
ça le concept.
Pourquoi avoir juxtaposé
dans un même thème «A Love Supreme» et «Filles de Kilimanjaro»?
Love Supreme a changé ma vie. Filles de Kilimanjaro est
un point crucial dans la musique. Pour moi, c’est un sommet dans le jeu de
Miles. Ce quintet a commencé à incorporer des instruments électriques. Pas
autant qu’ils le voulaient. Ils utilisaient des formes ouvertes et swinguaient
toujours. Love Supreme est la
quintessence de tout. Donc, combiner les deux, c’était une façon pour moi d’affirmer
qui je suis, pas où je suis, ni où je vais. Mais qui je suis.
Wallace Roney, Jazz à Juan © Umberto Germinale
On dit toujours que
vous raffolez des batteurs. C’est vrai?
NON! C’est un mythe qui vient de je ne sais où… J’adore le
saxophone, le piano… Mais mon instrument préféré, c’est la trompette. J’ai joué
avec de grands batteurs, oui, et aussi avec Wayne Shorter, Sonny Rollins, McCoy
Tyner, Herbie Hancock, etc. Et Miles Davis était mon mentor.
Mulgrew Miller est
présent dans vos trois premiers albums en leader, Verses (Muse, 1987), Intuition
(Muse, 1988), The Standard Bearer
(Muse, 1989). C’était un alter-ego?
Il était mon meilleur ami. Il était tellement adorable. Il racontait
les blagues les plus bébêtes. (Rires) Il était à la fois drôle, incroyablement
talentueux, incroyablement intelligent et terre à terre. Mulgrew, Tony Williams
et Wayne Shorter sont mes meilleurs amis.
Vous l’aviez
rencontré à New York?
Non, à Washington, D.C., je jouais avec mon groupe du moment.
Et j’ai joué en première partie de l’orchestre de Duke Ellington. Il occupait
la chaise de Duke. Mais je l’ai vraiment connu un peu plus tard, à Boston,
quand il était avec Woody Shaw. A cette époque, il jouait comme McCoy, il l’adorait.
Je le vois toujours comme un héritier de McCoy, plus que Herbie. Mais il a dû
intégrer certaines des avancées d’Herbie. Herbie était tellement innovant. Si
vous ne vous intéressez pas aux innovations d’Herbie, vous allez sonner vieillot.
Geri Allen est
présente sur six de vos albums.
Je ne vais pas répondre aux questions à son sujet. Mais je
dirai ceci: je connais Geri depuis mes 15 ans. Si elle est venue à New York,
c’était parce que je l’ai incitée à venir. Je n’aime pas cette personne. Vous
pouvez le publier. Le monde entier sait que nous sommes divorcés. Mais c’est la
mère de mes deux enfants, Wallace et Barbara. J’adore mes enfants. Mon fils est
devenu l’un des grands trompettistes du monde.
Wallace et Antoine Roney, Laigueglia, Italie, 2005 © Umberto Germinale
Antoine Roney (ts) a
joué avec vous pendant longtemps.
J’ai élevé mon frère Antoine et mes sœurs, Crystal et
Tamara. Et j’ai un demi-frère, Michael, qui joue de la basse, et deux demi-sœurs,
April et Marla. Mes parents se sont séparés, j’étais l’aîné… J’ai poussé
Antoine à jouer du saxophone. Au début, il voulait jouer de la batterie et du
saxophone. C’est pourquoi mon neveu est batteur. J’ai essayé de lui apprendre
la clarinette quand il était enfant, ensuite, le saxophone, puis, il l’a repris
grâce à un bon prof’ à l’école.
A quel moment
rejoint-il votre formation?
Au début, Gary Thomas était dans mon groupe. Il était l’un
de mes meilleurs amis et un musicien incroyable! On a grandi ensemble. Gary est
resté dans mon groupe pendant quelques années. Un jour, mon père m’a appelé et
m’a dit qu’Antoine voulait jouer dans mon groupe. Alors je l’ai appelé et on a travaillé
ensemble. Il a rejoint le groupe de Jesse Davis. En jouant avec Jesse, je voyais
qu’il se passait quelque chose. Il avait encore besoin de s’améliorer. Puis,
j’ai monté un groupe, et il l’a rejoint. J’ai commencé à lui montrer des trucs.
Je l’emmenais toujours voir Wayne Shorter. Il a été très marqué par lui. Je lui
disais de prendre des leçons avec George Coleman et d’autres. Sa femme le
soutenait beaucoup, ça a aidé. Il est resté dans mon groupe jusqu’il y a
quelques années. Puis, Ben Solomon est arrivé, il jouait à fond. Ben fait
maintenant partie du groupe.
Quand formez-vous
votre premier groupe en leader?
Je n’avais pas vraiment de groupe avant le disque A Tribute to Miles avec V.S.O.P. J’étais
avec Tony Williams. Puis, à un moment, les grands labels ont cherché à
m’enregistrer. C’était le moment de créer mon propre groupe, et c’est ce que
j’ai fait.
Comment ont évolué
vos formations au fil des années?
Mon premier groupe se composait de mes amis. Eric Allen, mon
ex-femme, Antoine... Ensuite, ils ont pris ça pour acquis et ont tous
démissionné. Je suppose qu’ils pensaient devenir des stars… Alors, j’ai engagé
des musiciens qui voulaient jouer avec moi. Lenny White, Buster Williams,
Patrice Rushen, Gary Bartz, Bennie Maupin. Puis, Antoine est revenu. Lenny est
parti, Buster l’a suivi. Mon ex-femme était fâchée que j’utilise toujours
Patrice. Puis, Antoine a ramené Rahsaan Carter (b). Le batteur Nasar Abadey me
harcelait toujours à propos de son fils, Kush. Il savait que je jouais avec
Tony. Donc, il voulait que son fils ait ce genre de crédibilité. Un jour, j’ai
entendu Kush, il avait du potentiel. Alors je l’ai emmené à New York et lui ai appris
des trucs pendant trois semaines. Il est devenu très bon. Puis, Antoine a ramené
Aruan Ortiz (p). Il n’était pas prêt, mais il voulait vraiment jouer et était
très constant. Au bout d’un an, il s’est vraiment amélioré. Alors je lui ai
donné une chance. Il est resté quelque temps dans le groupe puis on s’est
séparés. J’ai entendu Victor Gould. Je l’ai invité en répétition. Il avait un
toucher unique, puis, on s’est séparés, et Vincent Herring m’a recommandé Oscar
Williams. Oscar est venu chez moi et j’ai entendu quelque chose de spécial dans
son jeu. Daryl Johns (b), je le connais depuis qu’il est petit. Son père, Steve
Johns (dm) et moi, on était à Berklee ensemble. Daryl et mon fils sont devenus
les meilleurs amis. Ensuite, il y a Ben Solomon. Mon frère m’énervait. Un jour,
mon fils m’a parlé de Ben. Il disait qu’il jouait comme Trane. Je ne le croyais
pas. Tout le monde joue comme Trane! Par hasard, ce jour-là, Javon Jackson est
venu chez moi. On était dans mon sous-sol en train de parler. On entend «Good
Bait». Ça ressemblait à une prise alternative. Je connais les solos mais celle-là
prenait un tour différent. J’ai demandé à mon fils de quel disque il
s’agissait. Il a ri. C’était Ben Solomon! Ce petit Blanc, un peu gauche, jouait
comme ça! Il avait 18 ans. Je l’ai engagé pour le groupe de mon fils. Ils ont joué
en première partie de mon groupe. Mais ce qui était le plus important pour moi,
c’est que Ben voulait parler de musique avec moi et jouer avec moi. Il avait
faim, c’était rafraîchissant. Un jour, il est venu à la maison pour une
répétition. Depuis, je n’ai plus de nouvelles de mon frère.
Wallace Roney, Omar Hakim, Rick Margitza, Jazzaldia San Sebastian 2012 © Jose Horna
Le batteur Eric Allen fait
partie de ceux qui vous accompagnent depuis longtemps.
On travaille ensemble par intermittence depuis trente ans.
Il était dans mon premier groupe. Lui a dû aussi tirer de dures leçons. Parce
qu’on était tous amis, ils ne comprenaient pas l’opportunité que je leur offrais.
Ils ont tous démissionné. Ils pensaient qu’ils pouvaient faire mieux, je
suppose. Eric a joué avec d’autres leaders et ça n’a pas marché. Puis, je l’ai
repris. Ensuite, j’ai eu Kush. On a recommencé à travailler ensemble. Chaque
fois qu’on joue, c’est magique!
Et avec Curtis Lundy
(b)?
Je connais Curtis depuis 1978. On a joué avec d’autres leaders.
Il fait partie de mon groupe depuis 2004. Je l’adore! Il dirige la section
rythmique pendant que je suis devant. Les idées que j’essaie d’exprimer au
groupe en jouant, il s’assure qu’elles se produisent. Il me rappelle Ron Carter
dans ce sens.
Vous n’avez pas de
formation pour les albums et une autre pour les tournées?
Avant, j’avais Patrice Rushen, Lenny White et Buster
Williams. Maintenant, j’ai ce groupe-ci. –Wallace
Roney Quintet en mars 2017 à Paris : Wallace Roney (tp), Ben Solomon (ts),
Oscar L. Williams, Jr., (p), Curtis Lundy (b), Eric Allen (dm). Je
donne les gigs à ceux qui jouent le jeu, on ne choisit pas ses concerts, ce
n’est pas juste pour les autres musiciens. Je n’ai pas de groupe A et de groupe
B. Vous êtes dans mon groupe ou vous ne l’êtes pas du tout.
Vous avez créé «Universe»
que Wayne Shorter avait composé pour Miles Davis mais que celui-ci n’avait
jamais interprété. Un premier concert a eu lieu à New York en 2013, au Drom
puis au Jazz Standard. Comment est né ce projet ? Il a mis six ans à se
faire, c’est ça?
Plus de six ans! Je pense que Wayne m’a donné la partition
en 2006. Ça n’intéressait personne. Au début, oui, pour le buzz. Quand le
moment est venu de le faire, personne ne voulait mettre d’argent.
Vous êtes toujours
très proche de Wayne Shorter?
On se parle tout le temps. C’est mon meilleur ami.
Qui a découvert
l’existence de cette composition?
Celui qui a découvert que Wayne avait écrit de la musique
pour Miles est Bob Belden. Tout le monde pense qu’il est un fan de Miles, mais
c’est en fait un fan de Wayne Shorter. Il voulait être Wayne et Gil Evans. Bob
et moi, on était les meilleurs amis. Bob ne connaissait rien à propos de Miles.
Tout ce qu’il savait sur Miles, ça venait de moi qui lui racontais mon expérience.
Il s’est attribué ce mérite mais n’a jamais parlé de moi. On s’est disputés à ce
sujet.
Voici ce qui s’est passé. Au début des années 1980, on
allait dans les bibliothèques pour lire tous les numéros de Downbeat. Je lisais Downbeat et Metronome et
lui, Stereo Review. Dans un numéro de
Stereo Review qu’il a trouvé vers
1988, on y parlait d’une session que Miles avait faite avec l’orchestre de Gil
Evans. L’un des morceaux avait été composé par Wayne Shorter. Bob était comme
un fou! Il m’a montré le numéro. On a poussé un grand waouh! On s’est demandé
à quoi ça pouvait ressembler. Bob est allé à la Bibliothèque du Congrès. Il ne
l’a pas trouvé, mais c’était répertorié. En 1991, Miles a joué son dernier concert
au Hollywood Bowl, à Los Angeles. C’était le 25 août, jour de l’anniversaire de
Wayne Shorter. Je venais juste de finir les trucs de Gil avec Miles. Quincy a
demandé à Miles de partir en tournée avec lui. Miles a dit: «Oui.» J’étais présent.
Il a dit: «Je prends Wally avec moi», Quincy a répondu: «Bien sûr.» De ce moment-là
jusqu’au concert au Hollywood Bowl, Miles devait se sentir bien. Il a joué
«Joyeux anniversaire» pour Wayne. Après, il lui a dit: «Wayne, qu’est-il arrivé
à cette musique que tu avais écrite pour moi? Jouons-là.» Je pense que Miles
voulait inclure cette musique avec celle de Gil, parce qu’il voulait des trucs frais.
Puis, Miles est mort.
En 2006, Wayne m’appelle et me dit: «Hé mec, j’ai trouvé la
musique que j’avais écrite pour Miles. Je veux te la donner. Tu es le seul à
pouvoir la jouer.» J’ai dit: «ouais!» J’en entendais parler depuis 1988, et il me
le donne?! Dès qu’il a dit ça, la nouvelle a fait le tour du monde! Wayne et
Bob se sont disputés parce que j’étais énervé contre Bob. J’ai dit à Bob qu’il
n’entendrait pas cette musique avant qu’on la joue. Wayne m’a envoyé ses
partitions. Il m’a dit qu’il y avait «Legend», «Universe» et «Twin Dragon». Il
m’a demandé de compléter ça avec un arrangement de «The Deadly Affair» (film de Sidney Lumet, 1966) parce que
c’était le dernier arrangement qu’il avait fait pour Lee Morgan avant sa mort. Quand
j’ai reçu cette musique, j’ai appelé mes amis, Steve Turre, Clifton Anderson,
Antoine Roney, etc., pour comprendre ces partitions. Puis le nombre a grandi.
Tout d’un coup, on devait distribuer des photocopies. Ensuite, on a commencé à
répéter et on a fait un concert. C’était incroyable! (Rires) Ça m’épate encore
aujourd’hui. C’était comme si vous écoutiez le disque suivant Filles de Kilimanjaro, qu’il se faisait
chez vous, et que vous êtes le seul à l’écouter.
Cela a-t-il été
difficile de rassembler des musiciens?
Oh oui! Ensuite, on a fait des répétitions gratuitement et
enregistré gratuitement. Si on intéressait quelqu’un, on redistribuerait
l’argent entre nous. L’enregistrement est prêt depuis 2016. (Il reste inédit, ndlr)
Wallace Roney au piano, Laigueglia, Italie, 2005 © Umberto Germinale
Combien de temps de
préparation cela a-t-il demandé?
Il nous a fallu deux mois pour répéter et un pour
enregistrer. Cette musique est difficile! C’était la première fois qu’elle
était enregistrée. On voulait s’assurer que tout était impeccable. La musique de
Wayne est celle d’un jeune Wayne Shorter, optimiste, pensant être le prochain
Stravinsky. Alors qu’aujourd’hui, Wayne est un homme mûr qui sait que vous
n’avez pas besoin d’écrire autant pour dire certaines choses. Donc, ici, il y a
des annotations partout! (Rires) Et chacune signifie quelque chose! (Rires) Il
y a des trucs profonds là-dedans.
Wayne Shorter a dû
être très ému en entendant sa musique pour la première fois.
Il m’a envoyé un très beau compliment et écrit un mot sympa
dans Downbeat. Je suis honoré.
Avant d’enregistrer A Tribute to Miles (1994), aviez-vous joué avec V.S.O.P.?
Je vais vous raconter comment j’ai rencontré Freddie Hubbard.
Il jouait avec Carl Burnett, Jr. (dm), Carl Randall (ts), George Cables (p) et
Henry Franklin (b). Junior (Cook) venait de le quitter. Freddie jouait à fond.
Ensuite, je l’ai entendu avec V.S.O.P., mais ça ne m’a pas emballé. Herbie et
Wayne jouaient plus créatifs. J’aimais Freddie, mais ce n’était ni Miles ni Lee
Morgan. Ensuite, je l’ai rencontré à un concert de Clark Terry à New York.
C’était le réveillon du Nouvel An. Je venais d’emménager en ville, mais j’avais
perdu mon appartement, etc. Je suis allé voir jouer Art Blakey, je traînais, et
je croise Woody Shaw qui était aussi mon mentor. Je le connais depuis mes 15
ans. Woody a toujours été super avec moi. Il m’a dit que Dizzy jouait au Village
Gate et qu’on devrait y aller. On y va, on fait le bœuf avec Woody et Dizzy. Après,
Dizzy partait jouer avec Machito pour le réveillon du Nouvel An. Nous, on est
allés voir Clark Terry au Blue Note. Clark m’a invité sur scène et a invité
quelqu’un d’autre: Freddie Hubbard! Il jouait super! A la fin, Freddie a dit,
tout comme Joe Henderson: «Hé mec, attends une seconde.» J’attends, je me
prépare à partir, il me rattrape. C’est textuellement l’histoire de Joe
Henderson! Il me dit d’attendre. J’attends encore. Je vais pour m’en aller.
Finalement, il descend et me dit: «Tu sonnes très bien. Comment tu attaques
comme ça?» J’ai dit que je pratiquais le détaché simple. Puis, il m’a
demandé quel genre de trompette je jouais. J’ai dit: «Une Bach.» Il a dit qu’il en
avait joué aussi. Ensuite, il m’a montré sa technique de
respiration. A partir de là, chaque fois que je le voyais, il était toujours sympa
avec moi. Quand j’ai commencé à traîner avec Miles, Freddie, Woody, tous les
trompettistes, me demandaient toujours si Miles parlait d’eux. (Rires)
Une autre histoire à propos de Freddie. Il jouait avec
V.S.O.P. On jouait au Japon, au Mount Fuji Jazz Festival. Tony n’aimait pas Freddie. Ils préparent
la setlist. Et l’un des morceaux qu’ils allaient faire est de Tony, «Sister
Cheryl». Freddie a dit: «Merde! Pourquoi on doit jouer ça?» Tony lui a dit d’aller
se faire foutre, et lui a interdit de la jouer. Ils se sont disputés. Freddie
dit à Tony: «Wallace n’a qu’à jouer à ma place là-dessus». Le soir-même, quand vient
le temps de jouer «Sister Cheryl», Freddie sort de scène. Moi, je monte.
C’était la première fois que je jouais avec V.S.O.P., enfin, une version de ce
groupe, parce que Wayne n’était pas là. Mais après «Sister
Cheryl», on devait aller chercher Freddie. On a ensuite joué un autre morceau! Freddie
n’a pu revenir de la soirée! Une fois le concert terminé, on est retourné à la
tente, Freddie a dit très fort: «Vous avez entendu ce garçon, Wallace Roney? Ce
garçon a un son!» Tony Williams a répondu: «Absolument!»
Wallace Roney, Jazzaldia San Sebastian 2012 © Jose Horna
Vous avez dit que Ron
Carter vous avait présenté à Tony Williams et Herbie Hancock.
C’était pour l’hommage à Miles (« Miles Ahead », 6 novembre 1983, ndlr) à Radio City Music
Hall. George Butler (vice-président de
Columbia, en charge du jazz, ndlr) avait préparé une rétrospective en musique. Et
Miles allait recevoir un diplôme honorifique de l’Université Fisk. Butler
voulait des musiciens de jazz, pop, R&B. Donc, il y avait des gens comme
George Benson, George Coleman, J.J. Johnson, Roy Haynes, Jackie McLean, etc.
Ils allaient jouer la première partie et le groupe de Miles la seconde. Butler
voulait que sept trompettistes jouent avant que Miles ne reçoive son diplôme
honorifique. C’était Jon Faddis, Lew Soloff, Randy Brecker, Art Farmer, Jimmy
Owens, Maynard Ferguson, et moi. La section rythmique, c’était Tony Williams,
Herbie Hancock et Ron Carter. A la répétition, je suis à la fois nerveux et excité.
Tous les trompettistes se prennent au sérieux. Mais Jon Faddis est cool. Art
Farmer a découvert la moitié des musiciens présents. Donc, il est cool. On commence.
Tony, Ron et Herbie tirent une de ces têtes quand ils comprennent qu’ils vont
devoir soutenir sept trompettistes… On joue «Walkin’». Premier solo, deuxième
solo... Tony et Herbie n’ont pas l’air heureux. Ensuite, je prends un solo.
Tout d’un coup, Herbie réagit puis Tony réagit. Puis, on joue tous en fanfare. Pour
chronométrer la performance, on a dû recommencer... Premier solo, deuxième solo...
Herbie a l’air de s’ennuyer. Tony joue avec une seule main. Ensuite, je joue et
ils réagissent à nouveau! Lors du concert du lendemain, il se passe la même
chose. Un journaliste l’a écrit. Après la répétition, Ron Carter m’a demandé
mon nom. Puis, il a appelé Herbie et m’a présenté à lui. Ensuite, il a appelé
Tony et m’a présenté à lui.
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